Cela a été annoncé le 18 août sur Twitter : le site des Expertes est en danger, faute de financement.
Caroline De Haas, militante féministe et directrice associée du Groupe Egaé, a raconté à Rockie l’histoire des Expertes et son difficile équilibre financier.
Voici l’histoire de la vie incertaine d’un annuaire féministe d’utilité publique, largement et quotidiennement utilisé par les médias français.
Les Expertes, qu’est-ce que c’est ?
Le site Internet des Expertes, c’est tout simplement un pont entre des femmes expertes, comme son nom l’indique, et des journalistes. C’est le premier annuaire gratuit et 100% numérique de toutes les femmes expertes françaises et francophones.
Un projet lancé en 2012 — d’abord en format papier — à partir d’un constat simple : seulement 19% des experts et expertes invitées dans les médias sont des femmes.
Au fur et à mesure des années, cet annuaire est devenu une base de données précieuse, principalement pour les journalistes.
Il est ouvert à tous et à toutes en version classique, c’est-à-dire avec simplement l’adresse mail des femmes qui y sont recensées, et ouvert aux journalistes en version accréditée, avec des données supplémentaires comme leur numéro de téléphone.
Pour s’y inscrire en tant qu’expertes, il faut appartenir à l’un des trois profils représentés : Métier, Recherche ou Société civile
.
Les expertes « Métier » sont des spécialistes de tous secteurs professionnels (santé, justice, logement, agriculture..) ayant publié au moins un ouvrage ou un article en lien avec leur activité professionnelle.
Les expertes « Recherche » sont des universitaires et des chercheuses ayant publié dans une revue scientifique. Les expertes « Société civile » sont des femmes exerçant une responsabilité exécutive dans une association, un syndicat ou une institution.
Les expertes dont l’activité principale est le journalisme, les élus et élues politiques et les femmes travaillant dans une association rattachée à un parti politique ne sont pas acceptées.
L’entreprise Egaé de Caroline De Haas, à la tête du projet depuis 2015, propose aussi des formations pour les expertes souhaitant renforcer leurs qualifications et contourner l’auto-censure.
L’histoire et le manque de financement du site Internet des Expertes
Historiquement, derrière les Expertes, il y a d’abord Marie Francois Colombani et Chekeba Hachemi qui publient en 2012 la première version papier de l’annuaire, imprimée jusqu’en 2014.
Dans cette version physique, pas de numéros de téléphone, mais le contact de 450 femmes universitaires. Dès l’année 2013, la question se pose : comment trouver des financement significatifs pour permettre au projet de continuer à exister ?
C’est à cette étape que Caroline De Haas et son entreprise Egaé, engagée pour l’égalité, entrent en jeu. Elle engage des campagnes de financements, lève des fonds auprès d’acteurs divers dont des médias, et lance le site 100% numérique des Expertes en 2015.
Selon Caroline De Haas, 90 000 € on été levés la première année, dont 15 000 de France Télévisions et Radio France et d’autres chèques d’une dizaine de partenaires dont Région Île-de-France et la Mairie de Paris.
France Télévisions et Radio France ont continué à donner chaque année, en diminuant la hauteur de leur contribution de 5 000€ de 2016 à 2018.
D’autres partenaires ponctuels ont aussi participé au projet comme la Fondation Chanel (10 000€ en 2018) ou la fondation Open Society (15 000$ en 2019), mais cela n’a pas suffit, puisque malgré les 700 vues par jour sur le site Internet des Expertes, prouvant son utilisation fréquente et constante, France Télévisions et Radio France ont décidé de mettre fin à leur financement en 2019.
Dans la foulée, selon Caroline De Haas, France Télévisions lance un appel d’offres pour construire son propre outil sur la diversité qui remplacerait les Expertes et qui ne serait pas partagé avec les autres rédactions.
Pendant toute l’année 2020, sans aucun financement, le site des Expertes a malgré tout continué à fonctionner, porté à bout de bras, bénévolement et sur leur temps libre par 10 personnes de l’entreprise Egaé.
Jusqu’à il y a seulement quelques jours, seules deux solutions s’offraient au Guide : fermer ou devenir payant, tout en sachant qu’un passage à un fonctionnement payant demanderait d’avancer des frais de développement.
Caroline De Haas explique à Rockie :
« On pourrait faire une levée de fonds : mais je n’ai pas le temps. Tout le temps que je passe sur les Expertes, c’est du temps que je ne passe pas sur la boîte Egaé.
[…] Je suis fatiguée du décalage entre l’utilisation du service et son efficacité et le manque d’investissement des pouvoirs publics qui l’utilisent.
[…] On est fatiguées de porter le truc à bout de bras. On produit un service gratuitement, et les rédacs s’en foutent. »
Un nouveau financement du Guide des Expertes en 2020
Jusqu’à ce début du mois de septembre 2020, l’avenir des Expertes était presque scellé : avec un besoin de 70 000€ par an pour être pérenne, le projet allait prendre fin.
Pour avoir la version des faits de Radio France et France Télévisions, Rockie les a contacté. Pas de réponse de Radio France, mais une réponse inattendue de Véronique Provost de France Télévisions, annonçant le récent engagement du média pour une contribution financière aux Expertes pour les trois années à venir.
D’après Caroline De Haas, trois médias auraient eux aussi signé aux côtés de France Télévisions, dont Radio France, et deux autres dont nous n’avons pas l’identité.
Cette relance de financement est certes une bonne nouvelle, mais n’atteint pas le budget annuel que requiert le projet. L’avenir du site des Expertes, quotidiennement utilisé par Rockie et madmoiZelle depuis plusieurs années, est donc très incertain.
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