En 1991, Demi Moore s’affichait nue et enceinte de 7 mois en couverture de Vanity Fair. Cette une iconique, photographiée par Annie Leibovitz, a su briser les codes de son temps et inspirer de nombreuses femmes à photographier leur baby-bump.
En 2021, les héritières de Demi sont sur Instagram, YouTube ou TikTok et n’ont plus besoin des magazines pour glamouriser leur grossesse.
De Chiara Ferragni à Caroline Receveur, en passant par Nabilla ou Jessica Thivenin, les influenceuses partagent ces neuf mois de leur vie à leurs followers, à coups de post et de stories léchées. De quoi séduire les marques et renflouer les caisses de leurs business.
Décryptage de ce nouveau phénomène qui rend la grossesse bankable.
Mieux que Friends : la grossesse de Zoella
Le 7 mars 2021, une des nouvelles les plus attendues du YouTube game est tombée : Zoella est enceinte ! La papesse des youtubeuses beauté, présente sur la plateforme depuis 2007, a fait part de l’heureux évènement dans une vidéo visionnée plus de 3,5 millions de fois.
Dans sa barre d’informations, l’influenceuse britannique nous invite à « passer sur Instagram » pour « découvrir comment [elle] l’a annoncé là-bas » (spoiler : par une vidéo Reels).
Comme Zoella, de plus en plus d’influenceuses et créatrices de contenu partagent leur (future) maternité sur les réseaux sociaux. Cette prolifération s’explique d’abord par un effet générationnel, la plupart étant devenues connues au début de leur vingtaine : le principe de leur métier est de documenter leur vie en ligne, alors pourquoi cacheraient-elles leur grossesse ?
D’autant que celle-ci offre de multiples possibilités, comme l’explique Marine Creuzet, autrice de Corps sous influence : les réseaux sociaux, entre carcan et émancipation :
« La grossesse est une source de contenu non-négligeables pour ces femmes. C’est quelque chose d’assez photogénique, qu’on peut mettre en scène et délivrer par épisodes : d’abord l’annonce, puis le gender reveal, la baby shower ou encore le choix du prénom. On peut continuer après avec l’accouchement, l’allaitement etc. »
L’attente d’un enfant devient alors un feuilleton dans le feuilleton déjà proposé par les influenceuses, sommées de produire en quantité pour ne pas être négligées par les algorithmes. Exit les vidéos sur ses produits de soin ou de make-up, Zoella nous emmène désormais choisir des poussettes ou acheter des bavoirs pour sa fille. Et ça marche.
Des taux d’engagement explosifs
Les mamans 2.0 des réseaux peuvent compter sur leur contenu grossesse pour agrandir leur communauté. Marine Creuzet commente :
« Souvent, les abonnements grimpent en flèche après l’annonce et cela se poursuit à chaque nouvel épisode raconté. Ce qui marche, c’est la proximité qu’on n’avait pas forcément avant avec les stars enceintes. Là, on entre littéralement dans leur chambre à coucher, on voit les échographies et cela créé un certain lien de confiance. »
Mieux, le taux d’engagement des créatrices explose à cette occasion, en particulier lorsqu’elles proposent des discussions face caméra pour répondre aux questions des abonnés, selon l’autrice.
Cette proximité entre les influenceuses et leur public est nourrie par la dissémination des détails les plus intimes de leur vie de maman. Jessica Thivenin, star des Marseillais, n’a par exemple pas hésité à raconter les difficultés qu’elle avait rencontré lors de sa première grossesse. Hillary Vanderosieren, une autre influenceuse issue de la télé-réalité, a demandé à ses abonnés de proposer des prénoms pour son futur enfant. Des démarches que Marine Creuzet analyse ainsi :
« Lorsqu’on est enceinte on a besoin de parler avec notre entourage proche ou familial, mais dans nos sociétés actuelles cela se passe aussi beaucoup sur les réseaux. Instagram est conçu pour ça, pour ces temps d’échanges privilégiés où tout est beau, rassurant. C’est comme un cocon. »
Sur les réseaux, une grossesse bankable
Il suffit de scroller pour se rendre compte qu’il y a autant d’Instamums que de lignes éditoriales différentes.
Tandis qu’Emily Ratajkowski propose des clichés ultra-sexys de son corps enceint, Juliette Katz (Coucou les girls) expose une réalité plus brute faite de doutes et de vergetures. Dans tous les cas, les likes pleuvent, et ça n’étonne pas l’autrice de Corps sous influence.
« Les réseaux permettent aux femmes d’être leur propre directrice artistique et de véhiculer l’image qu’elles veulent, tout en étant dans le spectacle. Cette infinité de propositions fait qu’on trouvera toujours le moyen de s’identifier à l’une d’entre elles. »
De quoi ravir les adeptes de publicité ciblée.
Depuis quelques temps déjà, les marques ont mis le grappin sur les nouvelles égéries du web pour promouvoir leurs produits. Crèmes pour le corps, produits de maternité, vêtements grossesse… les horizons offerts par les mamans d’Instagram sont multiples et leur taux d’engagement attractif. Marine Creuzet nuance cependant :
« Les marques ont accès à plein de données, elles savent par quoi les abonnés sont intéressés et proposent des codes promos pour inciter à l’achat. J’ai tout de même l’impression que ça marche surtout sur des domaines très spécifiques, car le paysage de l’influence est tellement large que tout le monde fait des partenariats. »
Alors que la création de contenus est déjà une source de revenus pour les influenceuses, la grossesse peut aussi être l’occasion de se lancer dans de nouveaux business. Léa, de la chaîne Jenesuipajolie, avait imaginé son e-shop Cracotte et Pyjama dédié à la maternité alors qu’elle attendait son premier enfant, en 2018 ; de son côté, Jesta Hillman (Koh-Lanta) a co-développé la marque Loupiann qui propose des tapis d’évolution bébé made in France.
Attention à l’effet miroir déformant
Même enceintes, les influenceuses ne lésinent pas sur leur image. Les photos sont souvent posées, retouchées et illustrent une réalité parfois bien éloignée de ce que peuvent vivre leurs abonnées.
« Ces plateformes sont un miroir déformant qui nécessite d’être déconstruit : certaines femmes vont suivre les conseils de leurs influenceuses préférées et déprimer de voir que ça ne marche pas sur elles ou que leur corps n’est pas aussi beau », avance Marine Creuzet.
Dieu sait qu’il est facile de scroller à l’infini sur des contenus bourrés d’injonctions culpabilisantes… Récemment, l’apparition de comptes Instagram comme @bordel.de.meres ou @postpartum_tamere illustre cette demande de casser les mythes et les clichés de la maternité sur les réseaux.
Toutes les mères peuvent souffrir d’Insta, même les influenceuses. Prises dans un système économique fait de statistiques et d’algorithmes, elles doivent produire du contenu à outrance pour perpétuer leur taux d’engagement au risque d’y laisser leur santé et leur épanouissement. « Elles ne postent pas ces photos par naïveté ou superficialité, ce sont de véritables cheffes d’entreprises », rappelle Marine Creuzet.
Au moins, les femmes d’aujourd’hui n’ont plus peur de poser avec leur ventre rondouillet, nues ou habillées. Merci Demi pour cette avancée ; il ne tient qu’à nous de surveiller les potentielles dérives de ce phénomène positif qu’est la communication autour de la grossesse.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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