— Mise à jour du 27 septembre 2018
Le groupe Pathé Gaumont répond aujourd’hui aux nombreuses critiques soulevées par « Histoire d’Amour », sa dernière pub pour le CinéPass.
Mettant en scène un jeune homme qui piste son crush semaine après semaine au cinéma, le spot a été dénoncé par ceux qui y voient une « romantisation » du harcèlement.
Dans 20 Minutes, le groupe Pathé Gaumont répond être surpris par cette polémique :
« On ne s’attendait pas à cette réaction. Nous voulions mettre en avant notre amour pour le cinéma et montrer qu’une belle histoire d’amour peut se produire comme on peut en voir sur grand écran. »
Le groupe a précisé qu’il continuera de diffuser le clip qui a eu « de très bons échos d’énormément de gens dans les salles ».
— Article initialement publié le 25 septembre 2018
Cette « Histoire d’amour » au cinéma, est-elle romantique ou est-elle flippante ?
Olala, mais on peut plus rien dire ! C’est la mort de la séduction !
Voilà le genre de phrases pas drama du tout que l’on entend à foison depuis le mouvement #MeToo.
Quand est-ce que le drague devient du harcèlement ? La question mérite d’être posée et ce spot de Pathé Gaumont tombe à point nommé.
Histoire d’amour, le spot des cinémas Pathé Gaumont
Ce spot, je vous le résume : un jeune homme tombe sous le charme d’une jeune femme dans une salle de cinéma.
Il ose se retourner vers elle pour lui jeter un regard auquel elle répond par un air incrédule, voire gêné.
Qu’à cela ne tienne ! Le héros retourne au cinéma (vu qu’il a un CinéPass), probablement dès la semaine suivante, et espère visiblement y croiser son crush.
Par un incroyable hasard scénaristique, les deux jeunes gens se retrouvent à nouveau dans la même salle. Michel (appelons-le Michel) choisit alors de se placer à quelques fauteuils de Josiane (appelons-la Josiane).
Ce petit manège s’étale sur plusieurs séances au cours desquelles Josiane ne montre aucun intérêt pour Michel, qui persévère pourtant et la regarde de façon appuyée. Pas hostile, mais appuyée.
Le dénouement est évidemment heureux puisque Josiane décide un jour d’inviter Michel à regarder le film à ses côtés…
Histoire d’amour, drague ou harcèlement ?
Dans les commentaires du tweet de Pathé Gaumont, nombreux sont ceux qui ont vu dans ce spot (qui se veut romantique) une pure apologie du harcèlement.
Le message sous-jacent incriminé est le suivant : à force de suivre une femme et, plus généralement, d’insister auprès d’elle, elle finit par céder à vos avances.
Il est vrai que la démarche du héros peut être critiquée.
Certes, à aucun moment, Michel n’envahit l’espace de Josiane, ou se montre coercitif ou manipulateur. Mais en dépit de toute considération de genre… suivre quelqu’un, c’est creepy.
Il est gênant qu’en 2018, on continue de montrer comme mignonne une approche indirecte, chelou, basée uniquement sur le coup de cœur physique (et quelques goûts cinématographiques communs, certes).
Il est gênant que ce genre de comportement détourné, cet acharnement proche de l’obsession, qui ne débouche concrètement sur aucune tentative de séduction claire, soit présenté comme l’image de l’amour sincère.
Au sein de notre rédaction, certaines se sont également senties mal à l’aise face à ce spot qui rappelle de trop nombreuses comédies romantiques dans lesquelles le prince charmant… adopte le comportement d’un stalker.
Peut-être es-tu toi aussi un peu mal à l’aise, notamment si tu as déjà vécu des situations de harcèlement, voire d’agression.
Mais ce spot de trois minutes doit-il vraiment endosser la responsabilité de sensibiliser pleinement au respect de l’autre, tout en étant un manuel de séduction et en diffusant une éducation sexuelle de qualité ?
Drague, harcèlement, romantisme… les avis divergent
Peut-on laisser à Gaumont le bénéfice de la naïveté ? Ou doit-on considérer que l’apparente innocence de la démarche n’est qu’une excuse pour continuer à distiller du machisme partout sous couvert de romantisme ?
À titre personnel, lorsque j’ai découvert ce spot au cinéma, un seul adjectif m’est venu à l’esprit : NIAIS.
Pour moi, ce genre de fiction mièvre pose un autre problème.
Présenter ce genre de comportement comme mignon, ce n’est peut-être pas promouvoir le harcèlement, mais ça ne permet pas non plus d’apaiser les rapports de séduction.
C’est valider l’idée qu’aborder une femme est terrifiant, en sous-entendant que le risque de se faire jeter est quasi insupportable et qu’un ego mâle ne pourrait y survivre que très difficilement.
C’est flouer les frontières entre drague et harcèlement avec l’excuse de la timidité, de la maladresse et en oubliant qu’il existe une approche beaucoup plus saine : s’adresser la parole.
Car, oui, il est possible de parler à une femme comme à un être humain et d’engager la conversation pour tâter le terrain !
C’est moins romantique ? Pas forcément. C’est en tout cas moins gênant que suivre quelqu’un six mois en lui jetant des regards en coin, ce qui réduit de fait les protagonistes aux rôles de chasseur et de chassée…
Le cinéma et la vraie vie
Celles et ceux qui voient dans cette pub du harcèlement n’ont ni tort, ni raison. Pas plus que celles et ceux qui trouvent cela romantique.
Il n’y a pas de juste ni de vrai dans le ressenti et l’interprétation !
Ça n’empêche pas d’en tirer un commentaire, de réfléchir à ce que ce spot et les réactions qu’il engendre disent des rapports sociaux dans notre société.
Y voir un « Grand Moment » romantique, c’est occulter la peur de toutes celles et ceux que des situations de ce genre peuvent angoisser.
Et condamner ce spot comme une apologie du harcèlement, c’est aussi enfermer d’office la jeune femme dans un rôle de victime, de proie impuissante.
Il est pourtant important de rappeler que les femmes ne sont pas condamnées à subir des comportements qu’elles ne désirent pas, qu’ils relèvent de la drague bancale ou de la pure malveillance.
Cette pub ne montre pas que, dans la vraie vie, une femme que ce comportement gênerait pourrait se tourner vers un vigile, ou s’adresser directement à Michel pour lui dire, au choix : « On se connaît ? » ou « Bon tu me lâches, merde ! ».
Sortir de la peur
Michel et Josiane ne sont pas dans une ruelle sombre, à 4h du matin. Ils sont dans une salle de cinéma, un dimanche après-midi.
Et oui, on peut être agressée, violée dans un cinéma. On peut aussi mourir en traversant la route, ça n’oblige personne à rester toute sa vie sur le même trottoir.
À l’heure où je termine cet article, Eugénie Bastié défraie la chronique avec son interview par Léa Salamé sur France Inter. L’écrivaine qui se présente comme « alterféministe» considère que depuis #MeToo, « la peur a changé de camp ».
Déjà, je pense que c’est faux et que plein de femmes ont encore peur d’être agressées, malheureusement.
Et ensuite, le but de #MeToo, le but du féminisme, ce n’est pas de faire changer la peur de camp, c’est plutôt de réussir à se débarrasser complètement de la peur !
Si j’étais Josiane, et qu’un mec m’attendait dans le ciné chaque dimanche après midi, je reviendrais avec un pote pour le confronter si j’ai peur d’y aller seule.
Ou j’alerterais le management du ciné, en leur disant que je ne mettrais plus les pieds ici et que je déconseillerais à mes amies d’y venir, s’ils ne vont pas a minima vérifier si ce mec est chelou ou juste extrêmement timide.
Je ne suis pas Michel, mais si un Michel voulait me parler, j’aimerais qu’il le fasse dans la file d’attente du cinéma, et pas dans la rue, la nuit, quand j’attends au distributeur de billets.
Pas dans un wagon de métro quand je suis plongée dans un bouquin, un casque sur les oreilles, signe universel de « merci de ne pas me déranger ».
Mais quand je suis en train de choisir entre du pop corn et une glace, si quelqu’un m’aborde d’un « Bonjour » courtois et me parle du film qu’on va voir, ça me donne l’opportunité de rebondir si j’ai envie d’avoir une conversation avec cette personne, ou juste d’acquiescer poliment et de sortir mon téléphone si je n’ai pas envie de parler avec Michel.
La vraie vie, la socialisation !
Il n’y a pas de manuel pour savoir « comment aborder quelqu’un », mais il y a des règles de base pour une vie harmonieuse en société.
Ne pas suivre quelqu’un, ne pas insister après un refus, ne VRAIMENT pas insister après plusieurs refus, mais aussi, en face : ne pas avoir peur d’exprimer ses désirs !
Josiane, si un Michel te plaît, ou juste t’intrigue, tu as le droit de briser la glace sans attendre qu’il ne le fasse.
Michel, si Josiane te plaît, ou juste t’intrigue, tu as le droit d’aller lui parler poliment, en prêtant attention à sa façon de réagir.
Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Quelle a été ta réaction en visionnant ce spot ? Comment est-ce que #MeToo et/ou ton féminisme influencent ton rapport aux autres ?
Ces questions sont importantes et tes réponses m’intéressent ! Une société qui se mobilise fermement contre les violences sexistes et sexuelles, je suis pour. Et une société dans laquelle on n’ose plus se parler, bien évidemment je suis contre.
Mais ces deux sociétés ne sont pas en concurrence : lutter contre les violences sexistes et sexuelles doit nous permettre de mieux vivre ensemble, justement. Pas séparément.
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