Mise à jour du 13 octobre 2021
C’est un vrai soulagement pour Terra Field, l’employée de Netflix qui a dénoncé les propos tenus par Dave Chappelle à l’égard des femmes trans dans son spectacle The Closer (lire ci-dessous) : elle vient d’être réintégrée à l’entreprise. L’enquête n’a finalement pas prouvé que Terra Field avait des intentions hostiles.
Netflix a-t-elle senti que suspendre plusieurs salariées trans alors que ces dernières avaient simplement émis des critiques sur la portée profondément nocive de blagues transphobes, n’était pas du meilleur effet quand on veut conserver son image d’entreprise progressiste et LGBTQI-friendly ?
Peut-être bien : selon Deadline, les autres employées suspendues seront elles aussi réintégrées.
« Je suis team TERF » : le spectacle transphobe de Dave Chappelle
Article publié le 12 octobre 2021
C’est l’affaire qui secoue Netflix depuis plusieurs jours. La sortie du dernier spectacle de Dave Chappelle, figure du stand-up américain, ne se passe comme prévu.
Dans The Closer, show dans lequel l’humoriste « dit ce qu’il a sur le cœur », il se déclare de la « team TERF » et se place en défenseur des positions transphobes de J.K. Rowling, non sans plusieurs plaisanteries sur les organes génitaux des femmes trans.
Les propos sont violents, tout comme les rires qui les accompagnent dans la salle.
Derrière l’humour, la communauté trans compte ses morts
Ingénieure salariée de Netflix, Terra Field a rappelé à juste titre qu‘il ne s’agit pas de se sentir « offensée » ou non par les propos de Dave Chappelle, car le sujet dépasse le seul cas de l’humoriste. Voici son thread, traduit par nos soins :
« Le problème c’est que les gens répondent à quelque chose que nous n’avons jamais dit. Nous ne nous plaignons pas d’être “offensés”, et nous ne sommes pas trop “sensibles”. Essayez d’aller à la pharmacie et qu’on vous appelle “monsieur” devant tout le monde alors que vous achetez de l’estradiol [traitement hormonal pris par les femmes trans, ndlr]. Trop sensibles.
Ce contre quoi nous protestons c’est contre le mal que ce contenu fait à la communauté trans (spécialement aux personnes trans de couleur) et TRÈS spécifiquement aux femmes trans noires. Les gens comme moi ne se font pas tuer. Je suis une femme blanche, ma source d’inquiétude, c’est quand on écrit “Tara” sur mon gobelet au Starbucks.
Promouvoir l’idéologie TERF (ce qui est ce que nous avons fait en offrant une plateforme [à Dave Chappelle, ndlr]) blesse directement les personnes trans, ce n’est pas un acte neutre. Ce n’est pas un débat avec deux côtés. C’est un débat entre des personnes trans qui veulent être vivantes et des gens qui ne veulent pas que nous le soyons. »
L’employée de Netflix conclut avec la longue et terrible liste des noms des personnes trans assassinées aux États-Unis depuis le début de l’année 2021.
Conséquence de cette prise de position ? Terra Field a été suspendue, ainsi que deux autres personnes trans, elles aussi employées de Netflix, qui se sont exprimées sur Twitter.
« En me levant ce matin, je ne pensais pas que mon boulot impliquait de défendre la propagation de discours haineux, et pourtant nous y voilà »
Commentaire ou discours haineux ? Netflix a tranché
Auprès de The Verge, l’entreprise se défend d’avoir agi en réaction aux propos des salariés, et affirme que la suspension a été prononcée parce que ces personnes auraient tenté d’assister à une réunion à laquelle elles n’étaient pas conviées :
« Il est absolument faux de dire que nous avons suspendu un employé pour avoir tweeté à propos de ce spectacle. Nos employés sont encouragés à faire part ouvertement de leur désaccord et nous soutenons leur droit à le faire. »
À la tête de Netflix, on estime que le spectacle de Dave Chappelle ne coche pas la case de l’incitation à la haine ou à la violence. « Je reconnais néanmoins, que distinguer le commentaire du propos haineux est difficile, particulièrement avec le stand-up qui existe pour repousser les limites » a déclaré l’un des PDG de la plateforme, Ted Sarandos.
Netflix peut-elle avoir le beurre et l’argent du beurre ?
Comment diffuser et défendre un documentaire comme Disclosure, qui décrypte brillamment les ressorts transphobes et les clichés du cinéma et des séries sur les personnes trans… et l’année suivante présenter le spectacle d’un humoriste qui se présente comme ouvertement transphobe ?
Depuis sa création, Netflix a brillé par sa capacité à donner une visibilité et une représentation inédite à des histoires et à des personnages qui vont toucher les personnes LGBTQI+ à travers le monde : Orange Is The New Black, Sense8, Sex Education…
La plateforme a réussi à capitaliser sur ce public. Mais peut aujourd’hui, sans ciller, promouvoir la diffusion d’un spectacle comme celui de Dave Chappelle. Et cela laisse forcément un goût amer.
Jaclyn Moore, showrunneuse de la série Dear White People sur Netflix, a annoncé qu’elle ne travaillerait plus avec la plateforme. Dans Variety, elle a expliqué sa décision et ce qui, selon elle, a poussé Netflix à valider et diffuser le spectacle de Dave Chappelle.
« Je ne sais pas comment cela est validé car je dirais qu’ayant travaillé sur une série là-bas, je sais qu’ils prennent ces choses en considération et en discutent. Je crois qu’une part est due au fait que Chappelle a carte blanche pour dire ce qu’il veut, et c’est génial. Je crois en la liberté d’expression. Vraiment.
Mais j’ai la liberté de dire que le discours de quelqu’un me dérange, et que je ne veux plus travailler avec une entreprise qui promeut ce discours. C’est dangereux, c’est un langage dangereux. Je ne peux pas le dire de façon plus claire. »
En se cachant derrière l’idée que Dave Chappelle est coutumier de l’outrance et de la controverse, Netflix se justifie en effet en brandissant la sacro-sainte liberté d’expression.
Ce jeu d’équilibriste, qui consiste dans le même temps à brosser son public LGBTQI+ dans le sens du poil — quitte à en faire parfois un peu trop ou à verser dans le queerbaiting — tout en permettant à une parole transphobe de se diffuser, cela ne montre pas autre chose qu’une certaine hypocrisie de la part de Netflix.
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Crédit photo : David Balev via Unsplash
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