Pour celles et ceux qui traînent leurs savates dans le coin psycho-socio de notre site préféré (je leur fais des bisous, d’ailleurs*), vous avez déjà entendu parler de Zimbardo et de sa fameuse « expérience de la prison de Stanford » ici et plus récemment là. Depuis quelques temps, le chercheur atteint un nouveau degré de génie et est à l’origine d’un projet brillant qui fait du bien au moral – je vous le jure : the Heroic Imagination Project (le Projet d’Imagination Héroïque).
Genèse du projet : la prison de Stanford et l’effet Lucifer
Rappelons tout de même pour les dilettant-e-s qui n’auraient pas suivi : il y a une quarantaine d’années, une équipe de chercheurs lance une expérience immersive où des étudiants sont placés en prison – certains jouant le rôle de geôlier, d’autres endossant celui de prisonnier. En moins d’une semaine, les choses dégénèrent, les gardes se transforment en bourreaux, deviennent agressifs et violents et l’équipe de recherche elle-même se « prend au jeu ».
Marqué par cette expérience, Zimbardo dédie sa carrière à la compréhension de ce qu’il nomme l’Effet Lucifer : placés dans un certain contexte, nous pourrions tous subir une « luciférisation » et devenir des monstres.
À l’aube de sa retraite professionnelle, le psychologue réalise que les recherches portent quasi-systématiquement sur ce qui pousse les gens à adopter des conduites monstrueuses, mais presque jamais sur ce qui les pousse à se conduire en héros. Pour lui, le processus devrait pourtant être similaire – et si nous pouvons tous être des bourreaux, nous pourrions tout aussi bien être des héros ; il faudrait simplement s’entraîner à se comporter en Spiderman plutôt qu’en suppôt de Satan.
BAM, l’idée du Projet d’Imagination Héroïque se met en marche.
Sur la page de présentation de leur site, les créateurs de l’H.I.P. partent du postulat suivant : parce que notre société actuelle valorise les stars du sport (à condition que le sport soit un chouchou médiatique), les chanteurs à paillettes et les acteurs bankables, nos générations n’auraient pas une nette représentation de ce qu’est l’héroïsme et n’entendraient que peu parler de gens ordinaires accomplissant quelque chose « d’extraordinaire » pour une cause.
L’objectif des membres du Projet d’Imagination Héroïque : distiller de l’héroïsme dans les générations actuelles et futures. OUAIS, rien que ça.
Un héroïsme normal
Zimbardo et son crew ne souhaitent ni encenser des héros aux pouvoirs surnaturels, ni exiger de nous que nous devenions tous des Mère Teresa. Ils veulent simplement nous amener à faire quelques pas dans le bon sens, nous encourager à devenir des « héros ordinaires », à réagir de la bonne manière tant dans les situations d’urgences que dans celles du quotidien.
Sur le site dédié au projet, l’héroïsme est défini comme « une action pour le bien d’autrui ou pour la défense d’une cause morale » et s’appuie sur 4 éléments : l’action doit être volontaire, apporter un service à une ou plusieurs personnes dans le besoin, avoir un coût potentiel (en termes de confort, physique, de qualité de vie, de risque pour le statut social) et doit être désintéressée (initiée sans attendre de gain matériel).
Selon la bande de mignons chercheurs, l’imagination héroïque serait la capacité que nous avons tous de rêver de lendemains meilleurs, et le Projet d’Imagination Héroïque voudrait enseigner les compétences pour commencer à transformer ces ambitions en réalités, pour que chacun puisse se dire « Je suis un héros en devenir, et lorsque la bonne situation viendra, je pourrais agir de façon héroïque ».
La mise en œuvre du projet
Je vous vois venir : comment s’y prendre pour que la planète soit peuplée de justiciè-r-e-s du quotidien ?
En pratique, le Projet d’Imagination Héroïque prend la forme d’une organisation à but non lucratif et est doté de
deux programmes éducatifs, l’un à l’intention des entreprises, l’autre dédié au système éducatif (lycées), et file aussi quelques astuces pour celles et ceux qui voudraient tenter l’expérience en solo.
Ces programmes se fondent sur deux idées principales : pour devenir des héros ordinaires, nous devrions :
- Pouvoir avoir conscience de la situation (situational awareness) et des forces d’influences sociales en jeu dans cette situation (ce qui suppose d’avoir appris quelques notions clés de psychologie, de sociologie…)
- Nous être adonnés au « fitness » social (comme nous exerçons notre physique, nous devons exercer nos « compétences sociales », nos capacités d’adaptation).
Si nous maîtrisons ces deux aspects, nous pourrons alors :
- Résister aux influences sociales négatives
- Initier des changements personnels positifs
- Entreprendre des actes d’héroïsme quotidiens
- Et avoir de plus en plus confiance en notre propre potentiel à nous améliorer et à améliorer le monde autour de nous.
Exemple : un programme pilote auprès de lycéens
Les premières actions du Projet d’Imagination Héroïque ont débuté en septembre 2011 au sein de deux lycées étasuniens.
Pendant un semestre, une fois par semaine, les élèves apprennent les principes de psychologie sociale qui s’appliquent à l’héroïsme, visionnent des vidéos d’expériences… Ils doivent pouvoir comprendre l’importance du contexte, le pouvoir de la situation sur les comportements, et de ce fait apprendre à dépasser ces contextes et à agir héroïquement.
Au semestre suivant, les lycéens doivent développer des projets de services afin de renforcer leur « imagination héroïque » – par exemple, identifier des individus « ordinaires » ayant accompli quelque chose d’héroïque et documenter leurs histoires.
Devenir un héros par soi-même
Si vous souhaitez vous entraîner à devenir des héros ou héroïnes, chères madmoiZelles, le site diffuse quelques informations et outils pour vous apprendre à adopter des habitudes sociocentriques et vous préparer à agir héroïquement si l’opportunité se présente.
Par exemple, chaque semaine, les membres de l’Heroic Imagination Project vous invitent à participer à un « challenge de fitness social » : cette semaine, l’objectif est de se présenter à quelqu’un dans son voisinage (afin de contribuer à créer ou renforcer une communauté) ; la semaine dernière, il fallait écouter attentivement quelqu’un sans tenter de régler son problème ; le premier challenge demandait de sourire à 10 inconnus pour répandre notre bonne volonté… Rien d’insurmontable, mais quelques exercices « du quotidien » pour devenir des héros ordinaires.
Selon les mots de Zimbardo, « le but ultime est de pousser autant de gens que possible, dans chaque ville et chaque état et chaque nation, à s’adapter à notre définition du héros ».
Présent sur Facebook, Twitter, ou YouTube, le projet veut initier un changement social positif de façon pédagogique – et franchement, il m’a tapé dans l’œil ; j’espère qu’il vous enthousiasmera tout autant que moi. Le site, en anglais, est une mine d’or : des vidéos, des textes, des entraînements, une « salle de lecture » pleine d’articles.
J’ai essayé de farfouiller pour voir s’il y avait une option « langue », mais je ne crois pas que ce soit possible. Si certain-e-s d’entre vous souhaitent en savoir plus et ne sont pas familiè-r-e-s avec la langue anglaise, n’hésitez pas à le dire et nous reviendrons sur le sujet ici !
*Oui, des bisous, au diable l’avarice.
Pour aller plus loin :
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Il m'est déjà arrivé d'être confrontée à des évènements qui auraient pu révéler mon héroïsme profond (quelque part, si si !) et j'étais bien embêtée de pas trop savoir, oser quoi faire. Effectivement, on a pas assez de réflexes héroïques, pourtant on se sent bien après avoir joué les héros ordinaires.