Live now
Live now
Masquer
prof-maison-d-arret
Justice

J’ai testé pour vous… être professeur stagiaire en maison d’arrêt

En maison d’arrêt, il y a des professeurs, eh oui ! Les personnes derrière les barreaux ont aussi le droit d’apprendre. Voici le témoignage d’une madmoiZelle qui y enseigne le français !

Il y a quelques mois, en arrivant pour la première fois aux cours de mon master, je n’aurais jamais cru me retrouver à faire mon stage dans une maison d’arrêt ! Et pourtant, je ne regrette pas d’avoir choisi un tel cadre.

En fait, je suis professeur de français (en formation) pour les étrangers. Ainsi, lors d’une réunion de présentation des stages, nous avons reçu une feuille des établissements demandant des stagiaires et la maison d’arrêt y était. J’ai contacté la responsable du secteur éducation (géré par l’Éducation Nationale) et un rendez-vous était pris.

La maison d’arrêt, première visite

La première visite a été assez intimidante. Je suis arrivée, habillée de manière neutre  (jean, pull, baskets), juste pour signer des papiers, et la directrice a été assez claire avec moi : je serais envoyée dans le secteur « hommes adultes » (la maison d’arrêt où je fais mon stage a trois sections : hommes, femmes et mineurs) et du coup, interdiction de s’habiller de manière provocante, interdiction de permettre la drague. Tant mieux, je n’étais pas venue pour ça ! Ensuite, elle me montre la fameuse classe (je ne m’y attendais pas alors j’ai pas été très à l’aise je crois) : on traverse la première partie de la maison d’arrêt et on arrive en zone scolaire, avec des murs colorés, des dessins… Relativement détendue quoi. On rejoint la zone des salles qui sont fermées, normales et vitrées. J’ai deux groupes à gérer avec la prof que j’assiste : un niveau débutant, et un niveau intermédiaire. Ils sont environs dix dans le premier et six dans le deuxième, mais le nombre change régulièrement puisqu’ils s’améliorent et changent de niveau, jusqu’à quitter le programme.

Première réaction : apparemment, c’était la première fois qu’ils voyaient une fille aussi jeune en maison d’arrêt. Mais ils ont vite compris qu’avec moi ça allait bosser ! Oui je me suis fait draguer, et je me fais encore draguer. Mais j’arrive à les repousser poliment, et ce n’est jamais très méchant ou très insistant. De toute manière, ils n’ont aucun intérêt à me brusquer : c’est contre le règlement, point à la ligne, et si j’en parle à la directrice de la zone scolaire, ils peuvent être renvoyés de celle-ci et ainsi perdre les éventuelles réductions de peine et l’opportunité de passer des diplômes. Ils n’ont donc aucune raison d’embêter les profs. De plus, la titulaire m’a fait remarquer que je risquais moins de me faire vraiment importuner qu’un professeur homme. En effet, pas mal d’entre eux ont des enfants de mon âge, parfois des filles, et comme je suis une femme, ils ne me considèrent pas comme un concurrent potentiel. Alors qu’avec un homme, ils auraient éventuellement besoin de se sentir supérieurs… En bref, ils auraient plus envie de me materner que de me dominer.

La dictature du « bonjour »

Difficile de s’en rendre compte quand on ne l’a pas vécu mais voilà : en maison d’arrêt et en milieu carcéral en général, on dit « Bonjour » à tout le monde et à toute heure de la journée. C’est important, très important. Tant pis si vous êtes en plein milieu d’une phrase : quand l’ombre d’un être humain se profile sur votre route, vous arrêtez tout et vous dites « Bonjour ». Si au début j’ai été un peu abasourdie par cette sainte tradition, j’ai vite compris que c’était pour des questions bien plus importantes que la simple politesse protocolaire. En effet, quand on est en prison en général, il est difficile de se sentir intégré dans la société, et pour cause, on ne l’est officiellement plus. Mais ce n’est pas une raison pour arrêter d’exister. Un bonjour, ça veut avant tout dire « Je vous vois, je sais que vous êtes là et je peux communiquer avec vous sans forcément avoir peur », que ce soit du côté détenu ou du côté intervenant-e extérieur-e. À force, ça devient un réflexe et on y pense plus vraiment.

Une éternelle « visiteuse accompagnée »

Tout d’abord, je dois rentrer dans la maison d’arrêt, ce qui n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, le problème étant que je ne travaille pas vraiment là-bas, je suis stagiaire. Ainsi j’ai un statut de « visiteur accompagné » : je ne peux pas circuler seule dans la maison d’arrêt.

La première étape consiste à rentrer dans l’enceinte de l’établissement. Il faut laisser à l’entrée une pièce d’identité et son téléphone portable, objet interdit dans la maison d’arrêt. Puis je dois attendre que le garde m’ouvre la porte (je n’ai pas trop compris quand il décidait ça et pourquoi, du coup je me contente de le fixer avec insistance à travers la vite à moitié teintée de la cabine et de sauter sur la poignée quand j’entends le « CLAC » providentiel). Ensuite, passage au détecteur de métaux et petit séjour de mon sac et mon manteau dans la boîte à rayons X, comme à l’aéroport. On doit attendre pour sortir du premier bâtiment (le fameux « CLAC » d’ouverture de la porte, activée à distance). Je traverse ensuite une petite cour vers la vraie maison d’arrêt. Une fois dans le hall, je ne peux aller plus loin toute seule. Je reçois mon badge de visiteur accompagné et là, je dois attendre que quelqu’un m’emmène en zone scolaire, que ce soit un garde ou un-e prof. Ce n’est qu’une fois arrivée dans cette zone que je peux me déplacer librement.

Dans cette maison d’arrêt, les entrées pour le personnel et les gens du parloir se font par la même porte. Les visiteurs arrivent à des heures précises, et si on a le malheur d’arriver à ce moment-là, on est bon pour une demi-heure de retard car ils/elles ont la priorité sur tout le personnel. Du coup, je me lève très tôt pour arriver 30 minutes en avance, et avoir le temps de me réveiller en salle des profs !

Comment se déroule le cours en lui-même ?

Généralement, j’arrive en classe avec la professeur que j’assiste. On dit bonjour, on commence souvent par répéter ce qu’on a fait la dernière fois – ça prend du temps car les détenus, pour la plupart, ne prennent pas le temps de réviser ce qu’il y a dans leurs cahiers. On se retrouve souvent à répéter des choses vues et revues. Mais tant pis, après tout je suis pas payée sur les performances (et en fait, je suis pas payée du tout !).

La chose la plus difficile étant qu’on a tendance à oublier que pour certaines personnes, les exercices habituels d’école et de fac ne sont pas une évidence. Je suis également stagiaire dans un centre de langue pour étudiants et quand je leur donne un texte à trous, ils le commencent immédiatement. Mais les apprenants de la maison d’arrêt n’ont pas ces facilités : beaucoup ont quitté très tôt le chemin de l’école, certains ne savent pas écrire… Il faut prendre du temps, beaucoup de temps. Ce n’est pas un métier pour les impatient-e-s, ni pour ceux et celles qui supportent mal la frustration !

Le réflexe classique de « recopiage et répétition », qui consiste à réussir un exercice uniquement grâce à l’exemple donné, sans comprendre la logique de la langue, n’est pas du tout répandu chez les apprenants de la maison d’arrêt, justement car beaucoup d’entre eux n’ont pas été scolarisés très longtemps. Si je leur montre « Je suis marié

» et ensuite « Je _____ ouvrier » et que je leur dis « C’est la même chose, c’est « je », « moi », avec le verbe être », en pointant le verbe du doigt… Ça ne marche que dans la moitié des cas, alors que ça nous semble évident.

« Mademoiselle, comment on sait si une table c’est une fille ou un garçon ? »

S’il y a bien une chose qui m’emmerde autant qu’eux, c’est tous ces trucs qui sont « juste comme ça » en français. Et il y en a plein. Comment on sait qu’une table c’est féminin ou masculin ? Ben on doit l’apprendre… Comment on sait que pour un passé composé il faut prendre « avoir » pour le verbe « entendre » ? Ben on doit l’apprendre… Des fois je m’énerve toute seule quand je vois leurs visages perplexes, comme s’ils pensaient « Putain dans quelle arnaque on est tombés ? », une fois que je leur ai donné pour la énième fois cette réponse qui n’en est pas une : « C’est comme ça ». Ben oui, mais le français, c’est aussi ça…

Prof en maison d’arrêt, c’est s’adapter à son public

Je suis personnellement en croisade contre les clichés des manuels de langue qui ne reconnaissent que « Jean-Michel » et « Édouard Martin » comme les dignes représentants de la France, aux côtés de nos chères « Marie Petit » et « Martine Lebrun »… Alors généralement, je m’inspire de manuels et je réécris des exercices à ma sauce. Ainsi, chez moi « Jean-François et Léonard » ne vont pas « au musée » mais c’est « Ahmed et Majo » qui vont « faire du sport ». Ils ne vont pas « au marché » mais « au réfectoire » et ils ne sont pas banquiers ou médecins mais ouvriers et vendeurs.

Une de mes amies a été presque choquée de savoir que je faisais ce genre de modifications mais il faut être réaliste : mes élèves vont moins fréquenter de banquiers qui font du golf et vont au musée tous les samedis que leur compagnon de cellule ou leur beau-frère ouvrier. À la question « Quel est votre métier ? » il y en a même deux ou trois qui m’ont répondu, le plus sérieusement du monde : « voleur ». De même que je ne leur apprendrai pas en priorité à dire « dinde aux marrons » mais plutôt des choses basiques comme « viande » « poulet » ou « pâtes ».

Les manuels ont tendance à vouloir être « branchés » et « jeunes » (je met des guillemets car souvent ils ont des années de retard et ça fait plus ringard qu’autre chose) sauf que même pour un public adulte, je ne trouve pas de choses adaptées. Comme si les gens qui apprenaient le français étaient forcément riches et totalement intégrés à la société. Bien sûr qu’il y en a qui sont intéressés par les musées, les théâtres, les cinémas, le golf même ! Mais je préfère m’insérer dans une logique pratique, qui sera vraiment utile à mes élèves lorsqu’ils sortiront de la maison d’arrêt.

Et la morale dans tout ça ?

On m’a déjà posé la question : « Ça ne te dérange pas d’aider des criminels en prison ? ». Alors bon, déjà : une maison d’arrêt n’est PAS une prison. Une prison, c’est autre chose. Une maison d’arrêt c’est pour garder les gens en attente de procès. Oui, il arrive que certains, après condamnation, y restent mais c’est surtout en cas de courte peine, ou alors s’ils ont déjà purgé la quasi-totalité de leur peine en attente de jugement.

Donc ces gens ne sont pas encore jugés pour la plupart. Ensuite, même s’ils étaient jugés coupables, ça ne change rien de mon côté. Je ne suis pas juge, juré ou avocate. Je suis professeur et je n’enseigne pas à des criminels mais à des gens, des êtres humains. Certes je n’enseigne pas dans un lieu « classique » avec des gens considérés comme « fréquentables » par la plupart des citoyens « du dehors », mais ça reste des êtres humains. Je préfère qu’ils étudient pendant leur peine, qu’ils rentabilisent un maximum tout ce temps derrière les barreaux plutôt qu’ils se morfondent dans leurs cellules. Un être qui a été ignoré et délaissé pendant sa peine ne peut pas se réinsérer normalement dans la société qui l’a puni, puis oublié.

En plus, considérer que prendre des cours et suivre une formation est quelque chose qui va contre l’idée d’emprisonnement, c’est vraiment avoir une idée fausse des prisons et des maisons d’arrêts. La criminalité ne s’arrête pas aux portes de ces bâtiments, elle est aussi à l’intérieur. Il y a des détenus violentés pour de simples suspicions, d’autres recrutés dans des gangs… Alors non, je ne considère pas que quatre heures de cours de français par semaine soient contre-productives. Être emprisonné, ça ne veut pas dire être forcé de sombrer en dépression et se sentir comme une sous-merde. On est plus au temps du bagne…

Dans mes classes, ils sont tous cordiaux, sympathiques et motivés. On rigole pas mal, on discute, on s’agace ensemble quand les salles ne sont pas ouvertes à temps… Comme je le ferais avec une autre classe. Je refuse de voir des étrangers comme des handicapés ou des pestiférés, comme j’ai vu certains professeurs le faire. S’ils viennent en classe, c’est qu’ils l’ont choisi. Jamais je ne me suis sentie en danger, même quand la prof me laissait seule avec la classe.

En fait, je suis juste prof de français pour des apprenants étrangers. Et ce qui pourrait distinguer ces apprenants des autres, c’est qu’ils sont en maison d’arrêt. C’est tout.

Témoignez sur Madmoizelle

Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !


Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.

Les Commentaires

27
Avatar de MiaAttacks
4 avril 2017 à 21h04
MiaAttacks
Super article !!

Je travaille pour une association, on organise parfois des concerts et des ateliers en maison d'arrêt.
C'est assez impressionnant d'y mettre les pieds, quand on ne connait pas ce milieu. On perd tous ses préjugés et on rencontre des personnes adorables, avec parfois énormément de talent. J'ai assisté à plusieurs ateliers d'écriture animés par un artiste qui y allait quelques heures par semaine. Chaque fois les "détenus" écrivent de ces choses, ça sort de leurs tripes, c'est touchant ! Ça permet d'ouvrir ses œillères et d'avoir un autre regard sur le monde.
1
Voir les 27 commentaires

Plus de contenus Justice

Source : John Locher
Justice

La boxeuse algérienne Imane Khelif s’attaque à Elon Musk et J.K. Rowling !

11
journee-pas-chere-paris
Société

Harcelée, la chorégraphe de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 a déposé plainte

Source : Henrique Campos / Hans Lucas
Société

#MeTooInceste : quand le système judiciaire broie les mères qui protègent leurs enfants

8
Source : Henrique Campos / Hans Lucas
Société

#MeTooInceste : comment le « syndrome d’aliénation parentale » accable les mères qui protègent leurs enfants

8
Source :  Sebastien Soriano
Société

Édouard Durand : « La CIIVISE répond à un besoin vital, pour les victimes et la société »

Source : Canva / Lesia Sementsova
Justice

#MeTooInceste : Comment recueille-t-on la parole des enfants ? Une spécialiste nous éclaire

1
Kendji-girac
Justice

Affaire Kendji Girac : la justice conclut que l’artiste s’est volontairement tiré dessus

tingey-injury-law-firm-unsplash justice
Société

#MeToo des armées : un sous-officier condamné pour harcèlement sexuel

1
image
Culture

Dominique Boutonnat : une affaire d’agression sexuelle glaçante ignorée par le gouvernement

2
Source : cava
Société

86 % des plaintes pour violences sexuelles classées sans suite, et pourtant leur nombre n’a jamais été aussi important

La société s'écrit au féminin