Le mercredi 3 janvier, l’un des films les plus attendus de l’année est sorti en salle. Moins de deux ans après le survolté Elvis, Priscilla semblait se présenter comme le parfait inverse du film de Baz Luhrmann. À revers du biopic à 85 millions de dollars sur la superstar, le rock et les paillettes, Priscilla et son budget de 20 millions de dollars s’annonçait comme une plongée dans l’envers de la lumière et vers l’intimité d’Elvis Presley, en se concentrant sur la vie de la jeune Priscilla.
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Priscilla : une femme-objet sous le regard d’Elvis…et de la caméra de Sofia Coppola
Priscilla est un film sur une femme qui attend. À 14 ans, Priscilla est une adolescente timide qui ne connaît que l’école et sa maison. C’est à cet âge-là qu’Elvis Presley demande à passer du temps avec elle et, presque immédiatement, à ce qu’ils soient en couple. À son jeune âge, l’influence de la plus grande rock star du monde sur l’adolescente est évidemment immédiate : Priscilla devient la chose d’Elvis, présente quand il le demande, absente quand il la congédie. Son quotidien se résume à se faire belle en attendant les moments où il l’emmène faire du shopping, la coiffer et l’habiller comme il le souhaite et rouler dans des voitures de luxe.
De ce simple synopsis surgissent des questions brûlantes. Que pense Priscilla ? Qu’éprouve-t-elle ? Est-ce, comme elle se le raconte, de l’amour ? Ou son histoire est-elle plutôt celle d’une personne privée d’épanouissement personnel car changée en femme au foyer avant même la sortie de l’enfance ? Et pourquoi Elvis a-t-il choisi cette jeune fille ? Au-delà de l’icône, qu’est ce que cela raconte de sa masculinité et plus généralement, de la violence des hommes puissants ?
Toutes ces questions, Sofia Coppola n’y répond pas. La réalisatrice a beau tisser son film à partir d’une héroïne, on ne saura jamais ce que Priscilla pense, veut, désire. Autrement dit, le film a beau avoir été réalisé avec une femme derrière la caméra et une autre devant, il ne contient pas une once de female gaze.
L’obsession du screenshot
Car, dans Priscilla, l’image se nourrit seulement de la douceur d’un pull en cachemire, de l’allure d’une paire de faux-cils, de la flamboyance d’ongles vernis ou d’un capot de Ferrari. Peu importe les choix de montage, de mouvement de caméra, de dialogue ou d’échelle de plan : ce qui semble compter, c’est créer des images qui donneront de jolis screenshots sur Pinterest.
Dès lors, Priscilla ressemble à une série de shooting photo vintage. Un mariage, une soirée au casino, un moment au bord d’une piscine… Autant d’instants énumérés sans jamais être racontés.
Un film-objet
En d’autres termes, la matière du film se résume strictement aux objets. À tel point que cette esthétique contamine tout, jusqu’aux personnages. Dans ce long-métrage où tout est filmé de la même façon (en plan d’ensemble, pour pouvoir contenir un outfit of the day, un salon bien décoré ou une voiture), Cailee Spaeny et Jacob Elordi sont filmés comme tout le reste, c’est-à-dire, comme des éléments de décor parmi d’autres. Mannequins, ils sont maquillés, habillés, coiffés avec minutie mais ne prennent jamais corps, comme s’ils étaient eux-même des objets.
Dès lors, le film a beau durer deux heures, on n’arrive jamais à croire à leur incarnation des personnages (devant le film, on ne voit pas Elvis Presley mais Jacob Elordi déguisé en Elvis Presley) et encore moins à une quelconque alchimie entre eux. Le film apparaît comme le catalogue animé d’un imaginaire bourgeois, qui ne puise son intérêt dramatique et émotionnel que dans le matériel et le glamour.
L’histoire de Priscilla n’a rien de glamour
Or, si cela pose problème, c’est que l’histoire de Priscilla Presley n’a rien de glamour : c’est l’histoire violente d’une femme que l’on a objectifiée et traitée comme une poupée. Alors que Sofia Coppola avait une belle occasion de faire de ce film un espace de contre-pouvoir et d’émancipation pour son héroïne, elle rejoue de plus belle son objectification. Cette dimension problématique frôle l’indécence quand Sofia Coppola choisit le procédé de montage de la douceur par excellence, le fondu au noir, pour clore une scène dans laquelle Elvis jette une chaise à quelques centimètres de Priscilla. Cet évènement, on n’en parlera plus. Fondu au noir. Circulez, il n’y a rien à voir. Pourquoi refermer cette scène sur cet effet de montage, qui évoque plutôt le temps qui passe, un œil qui se clôt, alors que cet accès de violence méritait que l’on s’intéresse à Priscilla ? Plutôt que de le fermer, n’était-ce pas l’occasion de vraiment ouvrir le regard sur l’héroïne ?
Le spleen, la sensualité et la violence latente qui caractérisaient Virgin Suicides a laissé place à une image superficielle, presque publicitaire. Finalement, tout est fait comme si Priscilla était une simple illustration de l’autobiographie de Priscilla Presley (le film est l’adaptation du livre Elvis et moi). Seulement, le cinéma n’est pas seulement un moyen d’illustrer. La reconstitution de décors et de costumes n’est qu’une partie de tous les outils dont il dispose. Oui, Priscilla nous transporte dans les sixties plus vite qu’un clip de Lana del Rey, mais qu’en est-il du montage ? Du scénario, dont on aurait aimé qu’il s’intéresse à son héroïne comme un sujet plutôt que comme à un objet ? Faire un film, c’est moins illustrer que faire surgir ce qui se joue au-delà de l’image. La laideur, la souffrance, l’ambigüité nées de l’écrasement d’une femme par un homme gangréné par la célébrité, dont l’histoire de Priscilla regorgeait.
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