C’est bientôt l’heure des vacances pour ma pomme : après avoir durement travaillé pendant quarante-huit semaines, je m’offre le luxe un peu indécent de quatorze jours de congés payés. Je repense en souriant à mes années d’université où je paradais, doigts de pieds en éventail, de mai à octobre, en me plaignant de trouver le temps un peu long : qu’est-ce que j’étais con… Je souris à mes souvenirs et j’envisage l’avenir, car si jadis, naguère, hier encore, j’ai pu me permettre d’écouter mes cheveux pousser pendant des journées entières, ce temps est révolu, maintenant j’entre dans une phase toute différente, j’active le plan vacances niveau écarlate, alerte maximum, tous les sens sont en éveil, je suis victime d’illusions optiques plus cruelles que les mirages humides en plein désert.
Je me vois en train de siroter de grands verres de sangria au coucher du soleil quand je ne fais que boire de la grenadine à 22h en pyjama, je remplis les mots-fléchés du Version Fémina alanguie sur mon lit en le prenant pour une plage de sable chaud, je me surprends à écouter les Beach Boys et à chantonner alors que je déteste la Surf Music. A la télé je m’inflige des reportages de Capital et d’Enquêtes exclusives spécial vacances uniquement pour voir un morceau de mer et un bout d’été, tellement le manque se fait sentir. J’irai presque jusqu’à acheter le dernier ELLE spécial régime alors que je n’ai pas besoin de maigrir, uniquement pour lire les injonctions sociales saisonnières et découvrir des recettes de cuisine fascinantes telles que la salade melon-roquette-mozza allégée ou la soupe à l’eau qui nous fera perdre un os et la tête d’ici la fin du mois. Alors, pour compenser, je planifie mes congés, je fais glisser mes préoccupations quotidiennes vers des sujets plus frivoles. Plus rien d’autre ne compte hormis ce Graal sacré. Je suis en mode vacances, et quand je ne pense pas aux vacances je vis comme une touriste dans mon quotidien trop concret. Histoire de vous faire voyager un peu vers l’horizon, côte d’azur et tong de Chine, voici quelques préparatifs qui aident à se mettre en conditions.
SNCF, nique ta mère
La SNCF ne m’a jamais fait préférer le train mais je n’ai pas de voiture (ni de permis, oui à vingt-trois ans c’est inouï, je le sais et je l’assume, n’en parlons plus) et mes grandes jambes avancent (certes très vite), mais ne peuvent aller bien loin et me forcent à prendre les transports en commun. Le problème de la SNCF ce n’est pas uniquement ses nombreux retards, incidents techniques, arrêts mystérieux sur les voies en rase campagne ; ce n’est pas non plus les autres voyageurs, braillards, odorants, encombrants et impolis. Ce n’est pas uniquement la faute de ces contrôleurs vêtus de violet flamboyant qui exercent leur tyrannie sur des passagers somnolants. Ce n’est pas ce type du service de restauration ambulante qui traîne son chariot parmi les valises Samsonite de quarante-cinq kilos et qui promène avec lui une vague odeur de sandwich au thon et de café bouilli. Non, le problème de la SNCF c’est l’accumulation de tout ces détails insignifiants alliés à un billet au prix prohibitif. Moi, j’ai des priorités dans la vie : ça ne me dérange aucunement de payer un livre 25 euros, de mettre le prix pour quelque chose qui en vaut la peine, mais lâcher trente balles dans un voyage de deux heures sans garantie de place assise, avec des possibilités d’arrêts en gare de Tarascon-sur-mon-fion qui entraîneront un retard de douze minutes à chaque fois : c’est non.
Alors, chaque veille de vacances, c’est une logistique implacable qui se met en place : choix des dates, choix des horaires, choix des horaires en changeant de date, changement éventuel de gare, de place, de classe en fonction des éventuelles réductions, carte Smiles ou trajets orange, bleu, vert ou arc-en-ciel. Je traque le billet qui sera le moins cher, je pose quatre ou cinq options sur des voyages différents et je fréquente les forums de l’Internet pour savoir si la ligne que je vais emprunter est une destination à incidents techniques, suicides récurrents, retards perpétuels ou non. Je fais le tour des sites d’information : aucun préavis de grève pour le seize juin ? Aucun terroriste anarcho-syndicaliste du Larzac n’a envoyé de cassette à Al Qaida pour revendiquer un attentat électrique sur la ligne Bordeaux – Montpellier ? Alors fébrilement, j’enregistre ma commande et mon coeur palpite un peu plus fort en pensant à ce jour pas si lointain où je m’assiérai dans la voiture quatorze en direction du ciel azur et de la mer bleu-verte mouchetée de bouteilles en plastoc et de balises fluorescentes.
Le choix du maillot de bain
Les conseils morphologiques des magazines féminins, je n’y ai jamais rien pigé. Ce n’est pourtant pas faute de veiller sur M6 jusqu’à deux heures du matin pour écouter les conseils avisés de Cristina «ma chéwwwiiiiie» Cordula. Je suis hermétique à tout concept de géométrie physique, il y a des jours où je me trouve aussi H que triangle inversé, d’autres où je suis convaincue que mon voluptueux bonnet B frôlant parfois avec le A sera tout autant à son aise dans
un balconnet rétro-pin-up-pump-up-vichy à nouer que dans un bandeau sans armature. J’avais acheté un maillot de bain aux soldes d’hiver en me trouvant bien astucieuse de m’y prendre six mois à l’avance, mais c’était sans compter sur mon besoin de conditionnement estival : j’ai eu besoin – un besoin physique, urgent, venant du fond de ma chair – de me racheter un maillot, de swinguer dans les cabines en bikini pour m’acclimater à l’idée des vacances.
Alors je suis allée faire valser les portants de chez H&M, j’ai dézingué les deux-pièces bien cintrés à la recherche de l’ultime 36 planqué entre douze 34 et huit 44. À la Morsay, j’ai fait mon regard bien zehef à toutes les femelles qui portaient de l’intérêt à ce sublime triangle à motifs tropicaux qui devait me revenir de droit. J’ai vaincu ; à la guerre comme à la guerre, il y eu des victimes collatérales, ce fut sale et violent, mais le goût de la victoire était si doux et apaisant que je ne saurais regretter ma bataille. Certains diront que trois maillots de bain pour dix jours de vacances par an c’est un peu excessif, mais le coeur a ses raisons que la raison serait trop bête d’éternellement ignorer, que voulez-vous : j’éprouve un besoin impératif de soleil et d’été.
Le choix littéraire
J’aime bien lire sur mon canapé, toute seule à la terrasse des cafés, dans le tromé désert de six heures vingt et un, mais rien n’égale jamais le plaisir de lire sur une plage, les coudes enfoncés dans le sable mouvant et le cou bloqué à quatre-vingt-dix degrés. On a probablement connu des postures plus agréables, mais on a rarement possédé autant de temps libre pour se livrer à la lecture rocambolesque d’une épopée moyenageuse et sanglante. Avant chaque départ en vacances, je visite assidûment mes bouquinistes et mes libraires préférés, armée de mes listes de romans épiques et romantiques. J’ai le coeur qui palpite entre les rayonnages, dans ce temple très sacré au silence étourdissant je lève les yeux sur les noms des grands auteurs en me sentant très petite, perdue dans cette mer de mots. Je prends un ouvrage, je le retourne, l’ouvre et le fouille délicatement, je détourne les yeux quand mon regard caresse certaines lignes d’un peu trop près, je le repose, je vois un autre titre à la couverture aguicheuse, je ne sais plus à qui offrir mes faveurs, quelles lignes me payer. Mon coeur s’emballe dangereusement devant l’étagère de BALZAC, lui succèdent BARBEY D’AUREVILLY et BERNANOS : je prends tout.
J’ai six trésors à cinq cent pages entre les mains et ma crise d’épilepsie s’intensifie quand je réalise que tous ces mots pèsent trop lourd pour ma carcasse et celle de mon bagage. Il me faudra choisir et j’en suis incapable : je repose le tout en me maudissant de ne pas posséder encore de livre électronique, de refuser le modernisme et l’opportunité de lectures infinies. (Mais à moins d’aimer l’iode, mon livre électronique ne m’aurait été d’aucune utilité à la plage – ce qui n’empêche pas certains aventuriers d’emporter leur iPad à la piscine. Plus rien ne m’étonne.) Deux heures plus tard, je ressors de la librairie avec des titres qui n’étaient absolument pas notés sur ma liste et j’ai une cargaison de romans pour tenir jusqu’à l’hiver prochain. J’ai évidemment envie de tous les commencer immédiatement, alors je me fais violence pour ne pas y toucher d’ici quinze jours en les cachant dans mon armoire sous une pile de vieux vêtements ; c’est qu’il est dur d’être biblio-dépendant. Le plus honteux dans cette attitude boulimique c’est que je vais certainement passer plus de temps à me régaler d’une boule de glace mangue-citron en feuilletant le dernier Cosmo sur la plage ou en faisant des mots fléchés, car je refuserai de flétrir mon Alexandre Dumas à coup de doigts humides et collés-sucrés sur ses pages blanches et neuves – voilà l’absurde paradoxe. Désormais je suis armée, j’ai avalé toute la boite d’Oenobiol, mes orteils rentrent encore dans mes paires de sandales achetées l’été dernier, j’actualise Météo France à un rythme régulier, je bois le monoï au goulot pour sentir bon l’été. Je vous enverrai une carte postale avec des chatons et une femme à poil sur fond de coucher de soleil, symbole ultime des congés payés, de l’état de grâce enfin retrouvé.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Hônnetement les billets ne sont pas si chers, les prestations commerciales ont bien évolué.
Enfin bref je ne suis pas là pour ça mais ça me révolte toujours de voir qu'on met tout sur le dos de la SNCF.
Pour ma part vacances à l'étranger, jamais parti aussi loin, donc préparation encore plus intense qu'habituellement, tableau excel des boutiques à faire, tableau excel des restaurants repéré sur la toile avec horaire, situation géographique, planning des 4 jours à Reykjavik et des 6 jours à NYC pour ne rien manquer, photocopie des passeport, impression de billet, achat d'adaptateur, et le plus dur le gros régime qui vient avant les vacances.
Tout ça à deux mois du grand départ et l'appréhension des 18h de vol A/R, j'ai peur aidez moi :'( je pense aller me faire prescrire des petites pilules magiques pour me détendre.
Ma plus grande peur quand je prépare des vacances en avance c'est de me dire que "merde je pourrais tomber malade juste avant de partir, ou pire me casser un bras, une jambe et paf 1700euros d'investissement foutu en l'air :'( "
Edit : j'adore préparer mes vacances ça rentre dans l'excitation du départ