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Les « prénoms d’origine musulmane » de Robert Ménard, ça n’existe pas [MAJ]

Robert Ménard, le maire de Béziers, a fait scandale en déclarant lors de l’émission « Mots Croisés » du 4 mai dernier qu’il avait pu compter les élèves musulmans de sa commune sur la base de leur prénom.

Mise à jour du 29 mai 2015 –

Après les propos de Robert Ménard, l’association Emmaüs a voulu mettre en avant sa mission d’accueil tout en manifestant sa désapprobation totale du message et des méthodes du maire de Béziers. Le visuel de la nouvelle campagne Emmaüs s’attaque frontalement à Robert Ménard, puisqu’il dit sans détours :

« Emmaüs pratique l’accueil inconditionnel de tous. Que l’on s’appelle Ali, Ivan, Jacob, Mustafa, José et même Robert… de Béziers ou d’ailleurs »

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La campagne a été imaginée par la jeune agence de La Secte, et le modèle est Mamadou, un compagnon d’Emmaüs, qui a accepté de poser pour illustrer le propos.

Sur son site, Emmaüs dénonce la « fâcheuse tendance » des représentants politiques français actuellement « à oublier que leur toute première responsabilité est de nous faire vivre ensemble les uns avec les autres et non les uns contre les autres. » 

L’association en profite pour souligner que son accueil est et a toujours été inconditionnel, c’est-à-dire qu’il ne fait pas de différences ni selon l’origine, ni selon la religion, ni en fonction de l’orientation sexuelle.

Le président d’Emmaüs a souligné :

« Des bancs sous cages d’Angoulême à l’instrumentalisation des repas servis à la cantine, les dérapages du personnel politique sont légion alors même que les signes de dislocation de la société sont bien réels. Notre message est simplement humaniste : à la peur de l’autre nous répondons tolérance, au repli sur soi nous répondons fraternité, à l’individualisme nous répondons solidarité, à la stigmatisation nous répondons dignité… ».

Malheureusement, la réaction de Robert Ménard sur Twitter ne laisse pas franchement espérer une remise en question de ses déclarations :

https://twitter.com/RobertMenardFR/status/604181504684625920

Article original du 6 mai 2015 –

Robert Ménard est un homme politique apparenté au Front National. Robert Ménard est aussi, depuis 2014, le maire de Béziers, une ville de l’Hérault, située dans le Languedoc-Roussillon. Robert a un prénom qui sonne bien français. Mais il n’a pas l’air d’aimer tellement les prénoms un peu plus originaux que le sien.

Le 4 mai dernier, alors qu’il participait à l’émission Mots croisés sur France 2, Robert Ménard a expliqué que selon lui, 64,5% des élèves de sa commune seraient musulman•e•s. Et comment le sait-il ? À l’aide d’une méthode révolutionnaire, ou plutôt très vaseuse :

« Ce sont les chiffres de ma mairie. Pardon de vous dire que le maire a les noms, classe par classe, des enfants. Je sais que je n’ai pas le droit mais on le fait. Pardon de le dire, les prénoms disent les confessions. Dire l’inverse, c’est nier une évidence. »

Cette remarque a bien évidemment provoqué une polémique. D’abord parce qu’elle révèle un des visages de l’extrême-droite, celui de la discrimination et du racisme, lorsque Robert Ménard estime qu’il y a « trop d’enfants immigrés » en France. Ensuite parce que la prétendue « méthode » sur laquelle elle s’appuie, celle de ficher les individus en fonction de leur origine ethnique, est illégale  mais j’y reviendrai.

Et enfin et surtout, parce qu’elle est aberrante : la consonance d’un prénom n’a jamais été la preuve d’une quelconque confession religieuse. Penser cela, c’est faire preuve de préjugés. Et se tromper.

Non, un prénom n’indique pas une religion

Il y a des Marie musulmanes, comme il y a des Aïcha athées. Ce n’est pas moi qui le dit : c’est la réalité. Sur le Web, plusieurs témoignages ont ainsi répondu à la déclaration de Robert Ménard pour en souligner l’absurdité. Sur Rue89, c’est Jihad, un lecteur d’origine libanaise dont le prénom rappelle forcément le terme « djihad » qui prend la parole :

« Je m’appelle Jihad Alachkar, j’ai 36 ans. Grâce à mon prénom, M. Ménard, allez-vous deviner mon origine confessionnelle ? Roulements de tambour… Perdu, je ne suis pas musulman.

Je suis issu d’une famille chrétienne maronite du Liban par mon père, française de ma mère et je suis né en France. J’ai cette double culture et je me permets en plus le luxe d’être athée. »

Sur Slate, la journaliste Nadia Daam en remet une couche avec son propre vécu :

« Je m’appelle Nadia. Je suis athée. Je ne suis pas musulmane. Je ne l’ai même jamais été. Y compris à l’école, à l’âge auquel j’aurais pu être fichée en tant que musulmane. Ma mère, Khadija, est musulmane pratiquante. Mon père, Mustapha, non. J’ai des amis dont les noms de famille sont Cohen, Abecassis, Essayag, certains sont juifs, d’autres non. »

Sur Twitter aussi, plusieurs utilisateurs ont relevé l’absurdité de la démarche et confirment : leur prénom, tout « arabe » qu’il sonne, ne fait pas d’eux des musulmans, et n’est, encore une fois, pas l’indicatif d’une religion ou d’une autre.

https://twitter.com/zebodag/status/593702347940958208

https://twitter.com/Solarus0/status/595463412223746049

https://twitter.com/MissTerion/status/595551680688627712

Le choix du prénom ne dépend pas de la religion

Posséder un prénom à consonance arabe ne fait donc pas d’une personne un•e musulman•e. D’abord parce que l’attribution des prénoms n’est pas systématiquement liée à la religion transmise ou non par les parents, loin de là. Certains prénoms ont une origine religieuse — notamment les « Saint•e•s » dont les fêtes sont inscrites sur le calendrier — mais ce n’est pas le cas de tous.

Et quand bien même un enfant porterait un prénom communément attribué à l’une ou l’autre des religions, ce n’est pas forcément elle qui a guidé le choix des parents. Leur raisonnement est plutôt une question de goût, si l’on en croit l’interview du sociologue Baptiste Coulmont qu’avait réalisée le magazine Psychologies :

« […] Aujourd’hui, ces règles ont totalement disparu et la seule qui s’impose, c’est celle du goût. Le goût pour telle ou telle sonorité, le fait que cela sonne bien avec le nom de famille. Pour certains, ce peut aussi être le fait de choisir un prénom peu conformiste, ou au contraire, pas trop original.

C’est seulement ensuite que certains parents vont chercher des références prestigieuses, notamment via les guides de prénoms, pour rationaliser leur choix. Ils vont trouver un sens, des origines, des traits de caractère… autant d’éléments qui vont conforter ce choix. »

Par ailleurs, puisque Robert Ménard prend l’exemple particulier de l’Islam, on peut aussi rappeler que selon plusieurs sources, les croyant•e•s ne sont pas forcés d’avoir ce qu’il appelle un « prénom musulman » pour être effectivement musulman•e•s. Si les converti•e•s changent parfois de prénom, il ne s’agit en aucun cas d’une obligation, sauf peut-être si la signification du prénom en question est contraire aux principes de l’Islam, selon les sites Virtual Mosque et Le message de l’Islam — par exemple s’il indique qu’on vénère un autre dieu, comme pourrait le suggérer « Christian », dérivé de « chrétien ».

Mince alors, on peut donc s’appeler Mélanie et être convertie à l’Islam… Mais ça, comment Robert Ménard pourrait-il le savoir ?

À lire aussi : Juliette Boubaaya, musulmane pratiquante et candidate à Miss France 2010

Arabe n’est pas un synonyme de musulman•e

Le maire de Béziers fait en effet une confusion importante : arabe et musulman ne sont pas des synonymes. Ce ne sont pas des termes qu’on peut remplacer l’un par l’autre. On peut être musulman•e et ne pas être arabe. Et inversement.

  • Une personne musulman•e est une personne qui a pour religion l’Islam.
  • Une personne arabe, est, selon le dictionnaire Larousse, une personne « d’Arabie et de tout pays ou communauté dont la langue est l’arabe ». Cette définition, bien qu’imprécise, a au moins le mérite de clarifier les choses : il n’est pas question de religion.

À lire aussi : Je suis arabe et je ne vous veux aucun mal.

Cette confusion est d’autant plus à dénoncer qu’elle est le prétexte à une discrimination bien ciblée : avec ces propos, Robert Ménard ne fait pas seulement preuve de racisme, il fait aussi preuve d’islamophobie. « Trop d’immigrés », quand le terme « immigrés » est utilisé pour désigner des personnes qu’on suppose musulmanes, ça signifie « trop de musulmans ».

Sur L’Express, l’écrivain Mabrouck Rachedi qui a répondu à Robert Ménard, et rappelle encore une fois qu’il n’existe pas d’« origine musulmane ». L’écrivain s’appuie sur ses souvenirs d’enfance, les renseignements qu’il devait fournir à chaque début d’année scolaire :

« La fiche contenait la mention « nationalité ». Mon souci était de savoir si je devais écrire « française » pour accorder avec le féminin de « nationalité » ou « français » pour accorder avec le masculin de mon genre. C’était mon seul doute : j’étais français, un point c’est tout.

Si j’étais élève à Béziers aujourd’hui, je serais aussi musulman. Ce n’est pas moi qui aurais décidé de ma religion mais mon prénom. […]

Être un Mohamed, c’est plus qu’une confession religieuse de la part de Ménard, c’est un aveu d’appartenance communautaire. D’après lui, on peut être « d’origine musulmane », nouvelle ethnie d’une catégorisation des populations. […] »

Nadia Daam, elle aussi, explique dans son article que l’assimilation au statut de « musulman » est un prétexte à stigmatiser une certaine partie de la population :

« Mais surtout, SURTOUT, il faut désormais marteler qu‘il est impensable de connecter les prénoms, les noms de famille et/ou les origines à une religion. Que l’idée même de « religion supposée » est une aberration.

Mais il convient aussi de rappeler que l’assimiliation ethnie/religion n’est en rien l’apanage de l’extrême droite. […]

Tout cela relève évidemment de l’essentialisation des immigrés, de la constitution d’un islam imaginaire qui serait incarné par des musulmans supposés, sinon suspectés. […]

Alors, oui, il faut s’insurger contre les pratiques de Robert Ménard. […] Mais il faut aussi lutter contre cette tendance insupportable qui consiste à dénier aux personnes de culture musulmane le droit d’être plus que des personnes de culture musulmane, d’être autre chose, d’être même profondément athée. »

De même, Jihad rapporte avoir été victime des préjugés que subissent les Musulmans. Supposer une origine n’a pas seulement pour conséquence de classifier une personne, mais aussi de se servir de cette origine à ses dépends :

« J’ai l’habitude des bêtises. Les blagues et les jeux de mots sur mon prénom, j’ai vraiment tout entendu. On m’a même suggéré de changer de prénom mais non, ce n’est pas à moi de me mettre à genoux devant les clichés des autres. Je ne vois pas l’intérêt d’en changer.

On me prend régulièrement pour un musulman. Par ma position, je comprends tous les clichés que les musulmans de France vivent au quotidien. »

À lire aussi : L’islamophobie ordinaire — Vos témoignages

Le fichage ethnique et religieux est interdit par la loi

Le 5 mai, la député EELV Cécile Duflot a ainsi relevé à propos de la déclaration de Robert Ménard :

« […] Dans la ville de Béziers, nos concitoyens musulmans, ou supposés tels, sont dans le collimateur. Au-delà, ce sont les millions de musulmans de notre pays qui sont visés de manière injuste. L’assignation identitaire, qui revient à coller arbitrairement sur un prénom une étiquette religieuse est en effet anti-républicaine, offensante, excluante et discriminante. Ce sont nos valeurs qui se trouvent foulées aux pieds par un édile d’extrême-droite qui a visiblement décidé d’engager un bras-de-fer avec l’État de droit. »

Sur le Huffington Post, l’historien Marc Knobel s’indigne lui aussi sur cette méthode de classification, allant jusqu’à l’apparenter au fichage des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale :

« Je m’appelle Marc (c’est mon prénom), suis-je chrétien et/ou romain ? Non, je suis juif. Comme il existe des enfants qui ont un prénom à consonance musulmane (pense-t-on), et ne le sont pas. Et quand bien même. Quel est le problème ? Que voulez-vous dire ? Et que ferez-vous de ce fichage dégueulasse?

Mais, où va-t-on ? Et qu’est-ce donc que cette chose ? Que cette volonté de cataloguer ? De lister ? Qu’est-ce donc que cette exigence de basse petite police ? Qu’est-ce donc que cette manière qui nous rappellerait presque et de triste mémoire ce que l’on faisait en d’autres temps ? »

Car le fait de supposer une origine ethnique sur la seule base d’un prénom et de s’en servir pour faire des statistiques n’est pas seulement discriminatoire et dépourvu de sens, c’est aussi interdit par la loi française. La « méthode » présentée par Robert Ménard sur le plateau de Mots Croisés est illégale. Point.

Le Monde rappelle la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dont l’article indique :

« Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. »

Le non-respect de cette interdiction est punissable, selon le Code pénal, d’une peine de cinq ans de prison et jusqu’à 300 000€ d’amende.

La ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem a donc demandé à la rectrice de Montpellier :
« de saisir le procureur de la République, sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, afin de protéger les élèves de cette commune et de mettre un terme immédiat à ces pratiques qui déshonorent leur auteur. »

Si Robert Ménard affirmait en premier lieu qu’il prenait le droit de faire ce comptage alors qu’il ne l’avait pas, le maire a plusieurs fois fait marche arrière sur sa déclaration, comme le raconte encore cet article du Monde. Finalement, il n’existe pas de liste, dit-il. Ah non, en fait, la mairie de Béziers n’en a pas les moyens. Oh, et d’ailleurs, ses employé•e•s n’ont rien conservé, ajoute-t-il…

Le journal local Midi Libre rapporte qu’une perquisition a eu lieu à la mairie de Béziers le 4 mai, pour tenter de retrouver le fichier évoqué par le maire ; les forces de l’ordre n’ont rien trouvé, et n’ont pas saisi d’ordinateur. Mais sur la base de ses propos, plusieurs personnalités politiques ont demandé la suspension du maire.

S’appeler Robert, ça ne présageait certainement pas de tout ça, dis ?


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Les Commentaires

105
Avatar de Voyageuse
12 février 2016 à 08h02
Voyageuse
Je suis tombé sur cet article récemment, et j'avais envie de témoigner moi aussi.
Au Liban où je vis, les prénoms suivent la logique de Ménard. Les noms européens ou qui proviennent de disciples et de saints correspondent le plus souvent a des chrétiens. Les musulmans ont eux droits aux Mohammed, Ahmed, Fatima avec des répartitions internes telles que Ali et Hasan/Hussein à des chiites ou Omar a des sunnites.
(la liste est longue et je ne m'y intéresse pas tellement)
Cette différenciation est cultivée par le peuple, et il est rare d'observer des exceptions.
Je pense que l'"idée" de Ménard pour distinguer les religions pourraient correspondre pour des enfants à l'origine "récente" de ces pays, et donc qui conservent ce trait culturel.
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