Article initialement publié le 25 juin 2015
On va se tutoyer dans cet article, parce que telle que je te connais, tu vas croire que ces conseils sont destinés à d’autres, à des personnes qui ont déjà en elles un capital de confiance que toi, tu n’as pas.
Prends la parole !
À ces personnes qui disent des choses intéressantes, quand toi, tu as le sentiment que tu n’aurais rien à apporter à la conversation. À ces personnes qui ont toutes les raisons de prendre la parole, mais qui n’osent pas !
Premier scoop : toi aussi, tu en fais partie. (Ça rime, en plus). Alors tu peux fermer tes onglets de distraction, poser ton casque sur tes oreilles, et lire ce qui suit avec attention : c’est à TOI que je parle, précisément toi, qui a cliqué sur cet article en pensant que tu n’en étais pas la cible…
J’ai quelque chose à dire
Je l’avoue volontiers, ce premier conseil est un plagiat éhonté de l’excellente conférence de Bruno « Navo » Muschio et Kyan Khojandi, les co-créateurs de Bref., sur la créativité.
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Ils détaillent les étapes de l’écriture de Bref., et de la réalisation d’un projet né dans leur imagination pour finir au Grand Journal, carton incontesté sur l’Internet. L’un des premiers conseils que ces deux personnes de talent ont donné était celui-ci :
« Tu as quelque chose à dire »
« Toi aussi, tu as quelque chose à dire. »
Tout simplement. La première chose que tu dois imprimer, c’est que toi aussi, tu as des trucs à dire. Tous ces gens que tu admires pour leur aisance à l’oral, que tu trouves intéressants, passionnants, que tu écoutes avec attention, au départ, ce sont aussi des gens en slip dans leur chambre, qui se sont dit « j’ai un truc à dire ».
Ils n’ont pas reçu un diplôme les autorisant à s’exprimer, pas de certificat qui légitime leur prise de parole par rapport à la tienne. Ils avaient un truc à dire, et ils l’ont dit.
Le pire qu’il puisse t’arriver, c’est que quelqu’un trouve que ce que tu as à dire n’est pas intéressant. Ça arrivera souvent, et ce n’est vraiment pas une raison pour se retenir de prendre la parole !
On en a rien à foutre de ce que la plèbe pense.
Mais plus souvent encore, ce que tu as à dire intéressera d’autres gens, les fera réagir. Ce qui m’amène à mon deuxième point…
Ce que j’ai à dire EST pertinent
Le corollaire de la première leçon est logiquement celle-ci : ce que tu as à dire est pertinent.
Tu n’as pas besoin d’avoir un doctorat en sciences et techniques de l’atome pour avoir un avis sur l’énergie nucléaire. Tu n’as pas besoin d’avoir vécu quarante ans et voyagé à travers 128 pays pour partager une expérience personnelle.
Peut-être que ce que tu as à dire ne va pas révolutionner le débat sur les énergies renouvelables, peut-être que les récits de ta vie ne vont pas convertir des millions de fidèles à ta philosophie. Et alors ? Est-ce une raison suffisante pour se retenir de s’exprimer ?
S’il n’y avait que des prix Nobel qui prenaient la parole en public et dans les médias, ça se saurait… Le fait est qu’énormément de gens qui s’expriment disent des choses que toi-même tu juges inintéressantes, ou que tu aurais exprimées différemment.
Les mecs, vous n’en avez aucune idée mais je suis vraiment intelligente maintenant
Le point « syndrome de l’imposteur »
Il faut savoir que cette tendance à sous-estimer sa compétence est loin d’être un complexe isolé. Elle est extrêmement répandue, en particulier auprès des jeunes femmes, et il porte un nom : le syndrome de l’imposteur. Najat Vallaud-Belkacem en parlait lors d’une interview dans C Politique, c’est vous dire si cette saleté de complexe n’épargne personne, pas même les femmes brillantes !
Le syndrome de l’imposteur est facile à identifier, et extrêmement difficile à combattre. J’ai beau en avoir pleinement conscience, je rechute à chaque fois qu’on me propose une nouvelle responsabilité, voire simplement de mettre un orteil en dehors de ma zone de confort.
Cette propension à présumer par défaut que je ne serai pas capable, pas assez compétente, pas à la hauteur, pas légitime à dire ou faire quelque chose… cette réaction est typique du syndrome de l’imposteur.
Et comment le combattre, alors ? Écoute, on peut commencer par en parler, en prendre conscience, et se soutenir mutuellement à chaque rechute (et pour ça, le forum et ses douces membres seront tes meilleures alliées !)
C’est un travail de longue haleine ; personnellement je suis encore en plein dedans, je t’en donnerai des nouvelles prochainement.
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Se faire confiance, tout simplement
Pourquoi tu écoutes ce débat, cette conversation, cet échange ? Parce que le sujet t’intéresse ? Dans ce cas, tu as au minimum des questions à poser dessus, ou un avis, une conviction même peut-être.
Le temps que tu t’interroges pour te demander si ce que tu as à dire est pertinent, ton tour de parole est passé. La discussion a avancé, on a changé de sujet, quelqu’un d’autre a pris la parole, pendant que toi, tu hésitais, parce que tu n’étais pas sûr•e que ce que tu avais à dire contribuerait intelligemment au débat.
Mais la seule façon de répondre à cette question EST d’intervenir dans le débat, sinon évidemment, impossible d’évaluer l’intérêt de ton idée.
Et ensuite : on est d’accord que dans la vie, on entend quand même beaucoup de gens dire des âneries ? C’est en partie parce que dans le feu du débat, ils ne prennent pas toujours le temps de la réflexion.
Je ne dis pas que c’est bien ; je t’explique juste que si toi, tu le prends à chaque fois, avant chaque prise de parole, tu ne pourras jamais en placer une, à moins d’être à une table de gens qui fonctionnent exactement comme toi.
C’est ce qu’il s’est passé, par exemple, lorsque nous avions convié cinq lectrices à échanger avec Pascale Boistard au sujet du harcèlement de rue.
J’ai donné à ces jeunes filles les mêmes conseils : si vous avez été invitées aujourd’hui, c’est que je sais que vous avez quelque chose à dire sur le sujet (elles en avaient parlé sur le forum, et nous avions fait un tour de table rapide avant l’arrivée de la ministre, histoire de lever le doute dans leur esprit).
Je leur ai dit ensuite que pendant la discussion, lorsqu’elles auront envie de dire quelque chose, je comptais sur elles pour LE DIRE, et surtout, surtout ne pas commencer à se demander si ce quelque chose est pertinent…
OUI, puisque vous êtes là parce que vous aviez envie de participer à cette discussion, sur un sujet qui vous intéresse, alors quand vous avez envie de dire quelque chose, c’est pile le moment de le dire !
La clé est donc de s’interroger sur la pertinence de nos propos bien en amont de la discussion, mais pas pour se demander « si on a quelque chose de pertinent à dire » : si le débat nous intéresse, la réponse à cette question est « oui » (ne serait-ce que pour expliquer justement pourquoi le débat nous intéresse !).
Bref : tu as quelque chose à dire, et ce que tu as à dire est pertinent. Ne serait-ce que parce que personne d’autre n’exprimera ce que tu penses à ta place. Il n’y a que toi qui détienne le pouvoir de traduire tes propres pensées en paroles… Alors pourquoi t’en priver ?
Mon cerveau est trop occupé à être au top
Mais pourquoi est-ce que je m’auto-modère ?
Elle serait pas en train de m’arnaquer, Clémence Bodoc, avec ses conseils qui sentent surtout l’auto-persuasion ? L’escroc dans l’histoire, très chère, ce n’est pas moi, c’est le patriarcat : c’est une construction sociale qui imprègne notre éducation, et globalement nos vies.
Quand tu étais petite, tu ne parlais pas beaucoup, et tout le monde (parents, professeurs, adultes en général) te complimentait car tu étais « sage comme une image » ? Ou bien, au contraire, tu parlais beaucoup, souvent, spontanément…
Alors ces mêmes adultes disaient de toi que tu étais turbulente, « bien bavarde » ? En grandissant, ils trouvaient ça de moins en moins mignon, et te demandaient régulièrement de « te taire 5 minutes » ou de « laisser les autres s’exprimer » ?
Moi, j’étais de cette deuxième catégorie. Je parlais trop. Alors j’ai arrêté. À l’adolescence, je ne parlais plus que lorsque l’on me donnait la parole, je ne la demandais pas (ni en classe, ni aux repas de famille… en gros, pas en présence des adultes). Du coup, je parlais beaucoup moins, beaucoup moins souvent.
Première leçon : si tu attends que quelqu’un te donne la parole, tu risques de patienter longtemps avant de pouvoir en placer une.
Mais surtout, même lorsqu’on me donnait la parole, on finissait très vite par me dire que je parlais trop, trop souvent, j’étais trop bavarde. Encore… C’était peut-être vrai quand j’étais petite, mais à l’adolescence, ça ne l’était plus, parce que je me retenais d’intervenir, même quand je voulais le faire.
Et puis, des années plus tard, (mais vraiment très très très longtemps plus tard), j’ai réalisé que j’avais été éduquée « comme une fille » dans une société qui traite différemment les filles et les garçons ; qu’on encourage chez eux la prise d’initiative et de parole, et qu’on a plutôt tendance à encourager chez les filles la réserve et la discrétion.
Donc toi qui me lis, et qui t’es peut-être déjà dit que prendre la parole en public était une qualité que tu n’avais tout simplement pas (et que c’était pas grave parce que tu as d’autres talents), je t’apprends peut-être que le problème n’est pas forcément que tu n’as jamais appris à le faire, mais carrément qu’on t’a sans doute désappris à le faire !
Je ne vais pas m’excuser pour qui je suis.
Bon. Maintenant qu’on a dégagé les barrières psychologiques et la partie « auto-limitation » du problème, passons aux conseils pratiques.
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Comment en placer une ?
La langue française est bien faite : il y a des pauses dans les phrases, de sorte que même à l’oral, on entend assez distinctement les virgules et les points.
Une virgule ? Prépare ta réponse, le point n’est pas loin. Et dès que tu entends la voix de ton interlocuteur baisser, tu peux entrer dans la conversation.
Ce n’est pas couper la parole que d’enchaîner pile à la fin de phrase d’une autre personne. Peut-être que quelqu’un d’autre voulait parler, mais eh : si tu as envie de prendre ton tour, prends-le !
Ce qu’il ne faut pas faire, c’est laisser « un petit blanc », histoire de voir si celui/celle qui avait la parole va ajouter encore quelque chose. Dans un débat, certaines personnes peuvent tenir pendant plusieurs minutes si on ne les arrête pas. Et surtout, les autres vont enchaîner directement : si tu laisses cette pause, tu perds systématiquement ton tour, et tu te retrouves à la fin du débat à te dire « je n’ai pas pu en placer une ».
C’est souvent qu’il fallait prendre la place, et ne pas attendre qu’on te la donne !
Selon la configuration du débat ou de la discussion, tu n’auras pas forcément l’opportunité de parler si on ne te donne pas la parole.
J’en veux pour preuve le passage de Sophie-Marie Larrouy au Grand Journal : si tu regardes la séquence, tu peux voir qu’elle n’arrive pas vraiment à en placer une, sauf lorsqu’Antoine de Caunes lui donne la parole.
C’est pourquoi il est important d’apprendre aussi à couper la parole lorsque c’est nécessaire.
Apprendre… à couper la parole
Je sais bien qu’on t’a toujours dit que c’était la pire impolitesse, et tu fais sans doute partie de ceux et celles qui ne supportent pas les gens qui coupent la parole.
Reste avec moi, je vais m’expliquer !
Et pourtant, la plupart du temps, autour de nous, on se coupe la parole, de la même façon qu’on se coupe aussi les trajectoires sur les trottoirs dans les villes. Ce qui est impoli, c’est de foncer dans quelqu’un, pas de passer devant lui (sauf à lui marcher sur les pieds).
C’est pareil pour les tours de parole. Beaucoup d’hommes coupent la parole assez naturellement, surtout lorsqu’ils ont une voix grave, qui porte et s’impose naturellement par-dessus les voix plus aigües voire fluettes des femmes.
Oui, tu pars avec un handicap si tu n’as pas le timbre d’un baryton. Ça veut simplement dire qu’il faut que tu compenses avec la fermeté du ton, et la précision des premiers mots. Il faut éviter de commencer par s’excuser trois fois quand on prend la parole, ce n’est pas un moyen efficace d’entrer dans la conversation, surtout si elle est animée.
Mais si tu es désormais convaincue que tu as quelque chose à dire, et que ce quelque chose est pertinent, tu verras que tu sentiras beaucoup moins le besoin de demander pardon d’intervenir !
Dans la même veine, tu peux aussi garder la parole : lorsqu’une autre personne (et souvent un homme !) parle par-dessus ta voix, tu peux bien évidemment poser un poli « laisse-moi finir s’il te plaît » et reprendre ta phrase, sans attendre la réponse de ton interlocuteur.
Quand on n’a pas la grosse voix qui va bien pour l’emporter, il faut utiliser d’autres armes. La fermeté du ton, ça marche même avec des voix fluettes.
Il n’y a pas de formule magique : prendre la parole en public, intervenir dans un débat, s’insérer dans une discussion, ça s’apprend, et surtout, ça se pratique. Mais si à la lecture de cet article, tu as pris la résolution de faire confiance à tes intuitions et oser te lancer quand tu as envie d’intervenir, c’est déjà un énorme progrès !
Deviens le changement que tu veux voir dans le monde.
Je ne peux que t’encourager à regarder des débats à la télévision par exemple, et à t’entraîner à t’insérer dans la conversation, en repérant les endroits où tu peux intervenir. Si, au moment où tu commences ta phrase, un·e autre invité·e a déjà dit toute une proposition, tu es en retard !
Le niveau Jedi de la prise de parole publique est de réussir à intervenir avant Jean-Michel Aphatie en regardant le Grand Journal. Si tu arrives à couper la parole à Nicolas Sarkozy dans une interview politique, tu es carrément passé·e du côté obscur de la Force.
J’espère que ces conseils te seront utiles ; n’hésite pas à venir en parler dans les commentaires !
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Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Je voulais juste partager parce que c'est la première fois que j'ai fait disparaître le stress consciemment. J'ai également fait des étirements où je visualisais les points où se situait mon stress (je sais pas si c'est bien clair, avant je me sentais tendue dans toute la zone épaule/nuque, mais là j'ai senti plusieurs points très nets et en étirant ces zones précises, j'ai senti une différence)
Après ça fait un an et demi que je travaille sur mes peurs et mes blocages, et je commence seulement à voir des résultats concrets, c'est long mais ça me motive carrément à poursuivre le travail