Sylvia Pinel, la Ministre de l’Artisanat, a annoncé une réforme du régime de l’auto-entrepreneur, incluant notamment une limitation de ce régime à deux ans. La réaction des auto-entrepreneurs ne s’est pas faite attendre : rassemblés sous l’étiquette des « Poussins », leur pétition lancée sur Change.org a déjà recueilli plus de 100 000 signatures.
Le régime d’auto-entrepreneur
Créé par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, le régime d’auto-entrepreneur a pour but de favoriser la création d’entreprise et de simplifier les démarches et contraintes administratives. La simplification porte sur les formalités dont il faut s’acquitter pour déclarer son activité, mais également sur le dispositif de paiement des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu, calculés proportionnellement au chiffre d’affaires généré. De même pour les obligations en matière de comptabilité, moins contraignantes que pour une entreprise classique. Ce régime est accessible dès lors que les activités de l’auto-entrepreneur génèrent :
- moins de 81 500€ pour les activités de vente
- moins de 32 600€ pour les prestations de services et activités libérales.
Concrètement, ce régime permet de lancer facilement sa propre activité, grâce aux contraintes administratives simplifiées. Si votre chiffre d’affaires évolue, que la croissance de votre activité est suffisante pour vous permettre de développer votre auto-entreprise, vous pouvez alors la faire évoluer en Très Petite Entreprise (TPE : moins de 10 salariés et moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires) voire ensuite en Petite et Moyenne Entreprise (PME : moins de 250 salariés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires). Depuis son entrée en application en janvier 2009, ce régime a connu un franc succès puisqu’on dénombre aujourd’hui entre 900 000 et 1 million d’auto-entrepreneurs (selon les sources), réalisant 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires (fin août 2012). Leur poids dans l’économie réelle du pays reste très relatif : ce chiffre d’affaires représente en effet moins d’1% du PIB. Selon le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), les auto-entrepreneurs se divisent plus ou moins en 4 catégories :
- Ceux qui créent véritablement une entreprise, avec un objectif de développement (très minoritaires, ils représentent moins de 3% des radiations du régime d’auto-entrepreneur).
- Ceux qui se lancent dans le seul but de créer leur propre emploi et/ou de tester leur projet (chômeurs et travailleurs précaires).
- Des salariés qui cherchent à compléter leurs revenus par une activité secondaire.
- Ceux qui se lancent dans leur propre activité pour en faire leur source de revenu, sans projet de développement ; ils souhaitent rester indépendants.
Ce que veut faire le gouvernement
La réforme annoncée vise à faire évoluer le régime de l’auto-entrepreneur selon ces trois grandes lignes :
- Mettre en place un accompagnement spécifique à destination des auto-entrepreneurs afin de les aider à développer leur activité
- Limiter dans le temps la possibilité d’exercer son activité principale sous le régime de l’auto-entrepreneur ; la durée pourrait être limitée à 2 ans.
- Renforcer les obligations de déclaration, de qualification et d’assurance, vis-à-vis de l’information due aux clients.
Le premier point est tout à fait louable, le troisième s’entend parfaitement : il est normal qu’un professionnel exerçant une activité doive justifier de ses qualifications et des assurances requises. C’est sur le deuxième point que le bât blesse. Pourquoi vouloir limiter dans le temps le recours à ce régime, alors même que l’IGAS n’a pas retenu cette proposition ?
Toujours selon le rapport de l’IGAS, les revenus générés par les auto-entrepreneurs restent faibles, « inférieurs au SMIC pour 90% d’entre eux à l’issue de 3 années d’activité ». Alors pourquoi vouloir limiter ce statut à deux ans dès lors que le rapport commandé par le ministère de l’économie et des finances conclut que l’activité n’est toujours pas rentable au bout de 3 ans ?
Dans ces conditions, le passage des auto-entrepreneurs au régime « réel » au bout de deux ans s’annonce prématuré. Au lieu de favoriser la création d’emploi, cette mesure risque surtout, comme le craignent les Poussins, de « tuer dans l’oeuf » les projets.
Ils soulignent que nombre d’auto-entrepreneurs sont d’anciens chômeurs, sortis des rangs de Pôle Emploi pour lancer leur propre activité, avec tous les risques que ce choix comporte. L’entrée en vigueur d’une telle mesure risquerait d’avoir pour conséquence un retour de ces Poussins dans la file d’attente déjà chargée de Pôle Emploi.
L’argument de la « concurrence déloyale »
Le rapport de l’IGAS pointe trois risques, à travers les critiques formulées à l’encontre de ce régime.
Le premier est le risque de fraude, en raison de la faiblesse des obligations comptables et de la simplicité du dispositif.
Le second est le risque de détournement : en effet, compte tenu de la simplicité du régime, des employeurs pourraient être tentés « d’employer » un auto-entrepreneur plutôt que de lui offrir un emploi salarié. Le paiement des charges sociales repose alors sur l’auto-entrepreneur. Il s’agit de travail salarié dissimulé. C’est également un risque de fraude.
Contre ces 2 risques de fraude, le rapport de l’IGAS préconise essentiellement de la formation et de l’information auprès des entreprises et des auto-entrepreneurs, mais également un renforcement des obligations auxquelles ils sont soumis. Cette préconisation est reprise dans la réforme annoncée par le Ministère de l’Artisanat (point 3).
Le 3ème risque mis en évidence par le rapport est effectivement celui de la concurrence déloyale auprès des entreprises du secteur. Mais ce point est immédiatement nuancé :
« Il est probable que les auto-entrepreneurs se positionnent de manière préférentielle sur des micro-marchés délaissés par les autres entreprises ou sur lesquels elles font des profits limités ; il n’y a pas de redondance, mais plutôt complémentarité avec les autres régimes »
C’est en réalité surtout le secteur du bâtiment qui se plaint du risque de « concurrence déloyale ». Les entreprises du bâtiment sont soumises à des obligations très strictes en matière de temps de travail, de règles de sécurité, de respect de l’environnement, etc.
Ces contraintes vont croissantes à chaque nouvelle réglementation qui entre en vigueur. Si elles ont permis une nette amélioration des conditions de travail des ouvriers (les accidents mortels ont presque été éradiqués), elles peuvent s’avérer être un coûteux casse-tête pour les entreprises ne disposant pas des ressources administratives et juridiques d’un major du BTP. D’où l’idée que « l’artisan-auto-entrepreneur » pourrait être un concurrent déloyal, ses contraintes étant considérablement allégées
.
Mais cet argument ne tient pas, toujours selon le rapport de l’IGAS :
« Les 67 000 auto-entrepreneurs actifs dans la construction génèrent un chiffre d’affaires de 847.5 millions d’euros, soit 0.7% du chiffre d’affaires des entreprises du bâtiment de moins de 20 salariés, ou 1.1% des entreprises artisanales du bâtiment. »
De plus, le plafonnement du chiffre d’affaires à 32 k€ limite de toute façon la proportion de cette concurrence jugée déloyale par les entreprises du secteur.
Les Poussins ont décidément bien choisi leur mascotte : ramenés aux chiffres d’affaires de leurs secteurs respectifs, ils pèsent effectivement un poids plume, que dis-je, un poids « duvet » dans l’économie française…
Épilogue ?
A la sortie du Conseil des Ministres du 12 juin, Sylvia Pinel a présenté la réforme qui sera finalement mise en oeuvre, lors du point presse. Le régime de l’auto-entrepreneur sera donc limité en vertu d’un seuil de chiffre d’affaires :
- 47 500€ pour les activités de vente
- 19 000€ pour les prestations de service.
Dès lors que ce seuil de chiffre d’affaires sera atteint deux années de suite, l’auto-entrepreneur bénéficiera d’un accompagnement dans le cadre d’un « contrat de développement de l’entrepreneuriat ». Les seuils de chiffre d’affaires doivent donc servir à « détecter les entrepreneurs en croissance ».
Au-delà des deux ans de dépassement de seuil, l’auto-entrepreneur devra rejoindre un régime classique de création d’entreprise. S’il bénéficiera tout de même d’une période de lissage afin de limiter l’impact des cotisations sociales sur sa trésorerie, il n’est pas acquis que son activité reste rentable sous le régime classique.
Car le problème, c’est que le gouvernement distingue dans sa réforme « deux utilisations du régime, en activité d’appoint ou comme tremplin vers la création d’entreprise », là où le rapport de l’IGAS mettait en évidence 4 utilisations principales de ce régime.
Quid donc de ceux qui exercent sous le régime de l’auto-entrepreneur leur activité principale, ceux qui souhaitent simplement rester indépendant, sans volonté de développer une véritable entreprise ? De plus, ceux qui utilisent le régime « comme tremplin vers la création d’entreprise » ont été identifiés comme ultra minoritaires par l’IGAS (« moins de 3% »).
Pour Grégoire Leclerq, président de la Fédération des Auto-entrepreneurs, cette réforme risque surtout d’entraîner des effets néfastes :
« Beaucoup d’auto-entrepreneurs vont retourner au RSA, d’autres vont être tentés de se livrer au travail au noir… […] Limiter le chiffre d’affaires, c’est une mesure regrettable. Nous constatons simplement que le gouvernement n’a pas osé plafonner le salaire des grands patrons, mais qu’il a su avec audace plafonner celui des petits ! »
Quand on parle de 19 000€ de chiffre d’affaires, il faut comprendre qu’il s’agit du montant total des activités sur un an, avant impôt, avant salaire. S’il s’agit de l’activité principale d’un auto-entrepreneur, ce chiffre d’affaires représente une rémunération personnelle à peine équivalente au SMIC (environ 1 100€ par mois).
La réforme entrera en vigueur au 1er janvier 2015. En attendant, les Poussins appellent à manifester mardi 18 juin devant les agences Pôle Emploi, vêtus de jaune : c’est « L’appel du 18 juin ».
Pour aller plus loin :
- Le témoignage d’une madmoiZelle qui a créé sa boîte avec le statut d’auto-entrepreneur et sa réaction sur la réforme annoncée
- Page Facebook des Poussins
- Écoutez Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs sur BFM Business
- Rapport IGAS « Evaluation du régime de l’auto-entrepreneur » (source utilisée pour cet article)
Les Commentaires
J'avoue que je ne comprends pas le sens de la réforme.
S'il s'agissait vraiment de lutter contre la fraude --> information & avertissement des acteurs + contrôles.
Là ils mettent en place une règle supplémentaire, mécaniquement ça engendre de la fraude !
S'il s'agissait vraiment d'aider les AE à développer leur entreprise, vu que ces AE représentent à la louche 3% des AE, on pouvait les cibler individuellement.
Je ne comprends vraiment pas le sens d'une réforme globale qui cible 3% de la population concernée.
Et je ne savais pas que l'accompagnement serait payant et obligatoire (tu as une source stp ?)
Je m'interroge... Est-ce que dans l'esprit de nos décideurs, nous rêverions tous d'un emploi salarié ? Conçoivent-ils seulement que certains d'entre nous souhaitent tout simplement exercer leur activité en toute indépendance, garder la maîtrise de leur emploi du temps, choisir leurs missions/projets, au sacrifice peut être des congés payés, des RTT, des mutuelles et des plans d'épargnes et que sais-je encore...
Conçoivent-ils seulement que certains souhaitent rester indépendant ? Tant que l'on s'acquitte des impôts et cotisations sociales, où est le problème ?
Je m'interroge.