Soldes ou pas, c’est presque toujours une galère de trouver des vêtements à sa taille.
D’une marque à l’autre, c’est peu surprenant, mais au sein d’une même enseigne c’est aussi parfois le cas… Même quand on compare ce qui est comparable, par exemple deux modèles différents de pantalons coupe droite, on est jamais à l’abri que l’un soit trop petit tandis que l’autre beaucoup trop grand alors même qu’on aurait pioché dans les deux cas une taille 40 ! C’en est aussi mystérieux que désespérant.
Le prêt-à-porter, une invention récente qui va de plus en plus vite
S’interroger sur ces errances de taille implique de comprendre d’abord le pourquoi du comment on achète et vend des tailles standardisées dans le commerce — donc le principe même du prêt-à-porter.
Ce dernier reste une invention récente, qui a commencé à balbutier au début du XXe siècle en Occident, alors que les vêtements étaient plutôt faits sur mesure jusqu’alors (à la maison ou par des couturières). De la Première à la Seconde Guerre mondiale se développent aux États-Unis des ateliers de confection de vêtements qui proposent du « ready-to-wear » : des vêtements finis, produits en série, selon des tailles standardisées.
C’est à partir de 1948 que l’idée s’exporte en France et se propage peu à peu. De petits ateliers de confection s’inspirent de prestigieuses maisons. De grands couturiers qui ne veulent pas passer à côté de cette innovation s’y mettent aussi — eux-mêmes, ou en vendant leur nom sous forme de licence à des industriels qui proposent alors des vêtements avec leur griffe.
Forcément, à mesure que le prêt-à-porter se popularise, on se met à produire toujours plus de vêtements, le plus vite possible, et donc perd en précision. Et les personnes qui achètent oublient aussi le réflexe d’éventuellement retoucher ce qui mérite de l’être.
Un système de tailles devenu incompréhensible
Et dans tout ça, on ne sait plus à quoi renvoie le chiffre ou la lettre de taille sur l’étiquette ! S pour Small, M pour Medium, et L pour Large, c’est un peu flou. Si des nombres tels que 38, 40 ou 42 peuvent donner l’impression d’une précision mathématique objective, ils s’avèrent de plus en plus décorrélés des mensurations qu’ils sont censés représenter…
Eh oui, ils n’ont pas été choisis au hasard, on a juste complètement oublié à quoi ils font référence !
Historiquement, ces chiffres renvoient à la moitié de la circonférence de la partie du corps concernée. Par exemple, un haut taille « 40 » renvoie au fait que le vêtement en question peut habiller un torse d’environ 80 cm de tour de buste (mesure prise juste sous les seins, et sans prendre les bras dans le ruban-mètre). Autrement dit, pour un tour de buste de 80 cm, un haut qui fait un peu plus de 40 cm de large à plat (donc environ 80 cm de circonférence, mais on ne mesure que le devant, quoi) pourrait suffire, et donc on l’étiquette taille 40. Et comme des pays s’habillent plus moulants que d’autres, par exemple, ce chiffre indicatif peut correspondre à des vêtements plus ou moins larges.
Mais un seul nombre ne peut pas résumer à lui seul toutes les mensurations d’un corps forcément unique ! On peut avoir de larges épaules, un tout petit torse, et des hanches généreuses, par exemple, qui font qu’on ne peut clairement pas acheter les yeux fermés une taille 40 juste parce qu’on sait qu’on fait 80 cm de tour de poitrine…
À ce système de taille déjà cryptique s’ajoute la complexité de s’y retrouver dans une industrie mondialisée où certains pays préfèrent fonctionner en tailles numérotées de 0 à 20, ou de S à 5XL, sans compter les marques qui donnent des noms à leur taille (comme « Exquise » pour XS ou « Épatante » pour du 3XL chez la marque de lingerie Je ne sais quoi).
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Les marques jouent sur l’effet psychologique d’identification à nos tailles de vêtements
Le comble, c’est qu’en voulant simplifier la compréhension des mensurations pour le plus grand nombre, derrière un chiffre, une lettre ou un mot, on a égaré presque tout le monde. D’autant que s’ajoute une importante dimension psychologique à l’idée d’être réduit à une taille standard, voire de s’y identifier.
Les marques ont évidemment contribué à brouiller les pistes pour jouer notamment sur l’effet psychologique de (vouloir) faire une petite taille dans nos sociétés grossophobes qui valorisent tant la minceur.
Parce qu’elles savent que beaucoup de personnes peuvent avoir tendance à s’identifier à une taille, les marques s’en servent pour cibler l’audience qu’elle désire séduire ou exclure. Flatter certaines tailles et les clientes qui la font en la disposant généreusement et partout en magasin, et en exclure d’autres en invisibilisant leur taille… Cela fait même parfois partie de l’identité de marque qu’une entreprise veut défendre, incarner et promouvoir.
C’est ce qu’explique Audrey-Laure Bergenthal, PDG d’Euveka, une entreprise qui crée des mannequins robots évolutifs (pour que les marques puissent taillent des vêtements plus réalistes), au média britannique Dazed :
« Chaque marque a ses propres tailles en fonction des histoires marketing spécifiques qu’elle souhaite raconter aux clients. Marks and Spencer a pour mission de vendre à une “femme d’un certain âge”, tandis que des marques de luxe comme Burberry ou McQueen vendent à une femme de 30 ans maximum, qui vit à Londres, qui a une vie chic.
Elles ont leur propre histoire qu’elles veulent raconter, et cette histoire a un impact sur le type de corps pour lequel elles veulent créer des vêtements. »
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Plus les collections s’enchaînent vite, moins on a le temps d’en contrôler la qualité et la cohérence des tailles
Quant aux incohérences au sein d’une même marque, elles doivent beaucoup à l’accélération du rythme de sortie des collections, impulsée par des acteurs historiques de la fast-fashion, et des nouveaux venus de ce qu’on appelle désormais l’ultra fast-fashion (Boohoo, NastyGal, PrettyLittleThing, et autres Missguided) capables de sortir une nouvelle mini-collection par semaine ou presque.
Résultat : on veut aller si vite qu’on ne prend pas le temps de vérifier si les prototypes sont bien faits par des contrôles qualité et essayage sur mannequin cabine, avant de les répliquer en masse. Et on étire la gradation (c’est-à-dire qu’on ajoute quelques centimètres d’une taille à une autre) à partir d’un prototype parfois bancal, sans forcément vérifier sur de vrais corps si ça rend vraiment bien ou non, comme l’explique également Audrey-Laure Bergenthal à Dazed :
« Ils produisent des vêtements sur une base idéaliste qui représente peut-être 1% de la population. Les autres tailles ne sont pas contrôlées, elles sont mises à l’échelle mathématiquement et sont pleines d’erreurs d’ajustement. Ils devraient recréer entièrement le patron, [ce qui sert de base à la création d’un vêtement] mais ne le font pas. »
Malheureusement, ce seront les personnes aux morphologies les plus éloignées de celles de mannequins standards qui se retrouvent avec des vêtements aux mensurations les plus douteuses. Parce que les marques extrapolent des tailles à partir d’une norme, sans prendre le temps et le soin de vérifier ce que ça rend vraiment sur le corps de vraies gens.
Même quand on se réfère sagement aux guides de taille proposés par les marques, ce qui évite bien des problèmes, on peut donc se retrouver avec des vêtements qui ne vont pas. Or, ce n’est pas vous ni votre taille le problème. Mais bien une grande partie de l’industrie de la mode qui cultive nos insécurités et capitalise dessus pour faire du chiffre.
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