Quand on est une personnalité publique aussi connue que Taylor Swift, le moindre de vos faits et gestes est scruté, analysé, et peut devenir sujet à controverse. Y compris ses histoires d’amour, que la chanteuse évoque parfois à demi-mot dans ses chansons. Alors qu’on s’amuse beaucoup moins souvent à compter les petites amies des chanteurs, des trombes d’articles listent les conquêtes de l’ancienne petite fiancée de l’Amérique country. Après plusieurs relations dont la médiatisation lui a souvent échappé, la chanteuse sortirait désormais avec Matty Healy.
Qui est Matty Healy, le nouveau petit ami controversé de Taylor Swift ?
Si vous ne le connaissez pas, Matthew Timothy Healy de son nom complet est un auteur-compositeur-interprète, musicien et producteur britannique de 34 ans, connu pour être le chanteur principal et parolier du groupe de rock 1975. Ce dernier a été fondé en 2002, et cumule les succès critiques depuis. Mais le hic, c’est que le rockeur est aussi connu pour ses provocations récurrentes à l’encontre des minorités. Si bien qu’il s’est forgé la réputation d’être islamophobe et antisémite.
En 2019, pour le média Brut Mexico, ce fervent athée déclarait notamment à propos des religions :
« De nos jours, je pense honnêtement que si vous êtes pieusement religieux – si vous êtes dogmatiquement fidèle – vous devriez avoir un peu honte de vous-même. Certaines religions m’ennuient aussi parce que certains racismes sont alignés avec elles.
[Or, Vous] ne pouvez pas critiquer l’islam comme un ensemble d’idées… parce cela reviendrait à critiquer intrinsèquement les gens. Mais c’est un problème de société parce que l’islamophobie existe, les gens sont sectaires. Mais ces sectaires sont surtout des gens lourds et effrayés qui n’aiment pas les personnes racisées. Alors que j’aime les gens, j’aime les gens racisées.
Je ne sais tout simplement pas quand je suis autorisé à être offensé. Les religieux ont toujours le droit d’être offensés : ‘Oh, nous sommes offensés par ceci, je suis offensé par cela.’ Je dois me lever tous les jours et lire des choses odieuses qui se sont produites au nom de la religion. Et je n’ai jamais un jour où je suis autorisé à être offensé. … Où sont mes droits en tant qu’athée ? »
Outre cette tirade maladroite qui a particulièrement insurgé des personnes musulmanes, Matty Healy a aussi été accusé de racisme suite à sa sortie dans un podcast en février 2023, The Adam Friedland Show Ep. P05. Il y évoque la rappeuse africaine-américaine et dominicaine Ice Spice, et se demande si elle est hawaïenne, inuite ou chinoise, avant d’imiter des accents. Le mois précédent, c’est sur scène qu’il s’était illustré en effectuant carrément un salut nazi tout en chantant « Merci Kanye, très cool » (citation d’un vieux tweet de Donald Trump, idole des suprémacistes blancs), alors que le rappeur venait d’enchaîner les déclarations antisémites et racistes. D’autres sorties ambiguës (comme une story de « liste de juifs »), inquiétantes (il a notamment déclaré adorer le porno impliquant l’humiliation de femmes noires) ou explicitement discriminatoires pullulent dans le passé de Matty Healy, si bien que de nombreux fans de Taylor Swift s’interrogent sur cette relation.
Taylor Swift et Matty Healy, une instrumentalisation de l’indignation à des fins marketing ?
Alors que la chanteuse vient de sortir « Karma » avec Ice Spice (prévu de longue date, avant la publicisation de sa relation avec Matty Healy, et avant que ce dernier ne tienne ses propos polémiques sur la rappeuse), une part d’Internet s’insurge contre ce qui ressemble à une instrumentalisation de l’indignation pour faire mousser sa carrière.
Une autre part d’Internet voit dans cette relation une preuve supplémentaire du fait que Taylor Swift serait un cas d’école de féminisme blanc, c’est-à-dire une forme de féminisme aveugle aux questions raciales (ignorant donc les intersections possibles avec le racisme, l’islamophobie, l’antisémitisme, etc). Certains fans les plus interventionnistes l’invitent même à rompre dès que possible et à se remettre en question.
Taylor Swift peut-elle encore feindre d’être neutre politiquement ?
Longtemps, Taylor Swift est restée très discrète sur ses opinions politiques. Et la droite s’en donnait à cœur joie pour s’approprier son image et sa musique (ce n’est pas de sa faute si des néo-nazis ont fait d’elle leur égérie). Mais un tournant s’est opéré après la campagne présidentielle états-unienne de 2016, où beaucoup lui ont reproché de ne pas soutenir publiquement Hillary Clinton contre Donald Trump. Un silence qu’elle explique dans sa cover-story du Vogue US de septembre 2019 :
« Malheureusement, lors des élections de 2016, [Donald Trump] diabolisait le soutien des célébrités. Il se promenait en disant ‘Je suis un homme du peuple. Je suis pour vous. Je me soucie de vous’. Je savais juste que je n’allais pas aider. De plus, vous savez, l’été avant cette élection, tout le monde disait que j’étais une calculatrice : ‘Elle est manipulatrice. Elle n’est pas ce qu’elle paraît. C’est un serpent. C’est une menteuse’. Ce sont exactement les mêmes insultes que les gens lançaient contre Hillary [Clinton]. Serais-je un soutien ou un boulet ? ‘Regardez, les deux femmes qui mentent. Les deux femmes méchantes’. Littéralement, des millions de personnes me disaient de disparaître. Alors j’ai disparu. À bien des égards. »
Depuis, comme l’illustre le documentaire Netflix sur elle, Miss Americana, Taylor Swift affiche davantage certains de ses engagements politiques, notamment en faveur des droits des personnes LGBT+, à travers le clip « You Need To Calm Down », et une pétition pour l’Equality Act en 2019 (une loi censée empêcher la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre aux États-Unis).
Seulement, subsiste à son encontre la réputation d’une personnalité insuffisamment engagée (reproche qu’on fait beaucoup moins aux hommes…). Et cette nouvelle relation en rajoute une couche sur le fait que la chanteuse ne chercherait pas suffisamment à aligner ses choix de vie sur ses idéaux politiques. Alors qu’elle a une large fanbase composée de femmes et de personnes LGBT+, elle continue de se produire dans des États qui multiplient les lois LGBTIphobes, et s’est peu exprimée sur le recul du droit à l’avortement (mais là encore, plein d’autres personnalités, y compris masculines, n’ont rien dit publiquement à propos du recul de ces droits).
Ajoutez à cela le surgissement d’une polémique autour de l’usage intensif de son jet privé, et l’on peut comprendre pourquoi une partie d’Internet veut douter des engagements progressistes de Taylor Swift. Mais d’autres voix s’élèvent aussi pour venir en défense de la chanteuse, jugeant comme particulièrement misogyne d’en attendre tant d’elle, au lieu de descendre son mec, le racisme et l’antisémitisme.
Que fans et médias s’intéressent tant à la vie amoureuse de Taylor Swift dit beaucoup de la misogynie
En creux, cette histoire people à l’épreuve de la justice sociale révèle aussi combien la vie privée, surtout sentimentale des pop stars femmes joue sur leur carrière, qu’elles cherchent à l’instrumentaliser ou pas du tout. Qu’elles le veuillent ou non, leurs amours sont bien plus scrutées et peuvent avoir bien plus de répercussions sur leur carrière que sur celles des hommes. Leonardo DiCaprio peut continuer à se dire engagé pour la planète tout en passant beaucoup de son temps libre sur des yachts polluants, et surtout sortir avec des jeunes femmes blondes jusqu’à ce qu’elles atteignent l’âge fatidique de 25 ans, sans que cela n’influe sur la perception de sa carrière. Et l’on écrira toujours plus d’articles (moi le premier) sur Virginie Efira, enceinte à 46 ans, que sur Al Pacino, 83 ans, qui attend un nouvel enfant avec sa petite amie de 29 ans, Noor Alfallah.
Cette affaire révèle combien, aussi talentueuse soit Taylor Swift en tant que chanteuse-compositrice-interprète multi-récompensée, fortunée et influente, sa vie amoureuse a beaucoup joué dans la fédération de sa fanbase qui s’identifiait à elle, et dont une partie exige bien plus qu’elle sorte avec de bons garçons que de réduire son empreinte carbone et s’engage davantage pour la justice sociale. Comme si sa vie sentimentale était bien plus prise au sérieux que sa vie politique. Toute la déception suscitée par cette nouvelle relation illustre ce qu’on appelle une relation parasociale : cela désigne la relation asymétrique que des personnes lambdas peuvent entretenir à sens unique avec leur idole, connaissant beaucoup de leur vie, alors même que l’objet de leur culte ne les connaît pas du tout, ou à peine. Et peut-être que c’est dans ce surinvestissement dans la vie amoureuse de Taylor Swift (de la part des fans, mais aussi des médias) plutôt que dans ses engagements sociaux et politiques que se révèle beaucoup de la misogynie de nos sociétés.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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