Cet article explique Challengers et contient des spoilers du film. Encore une bonne raison d’aller le voir.
Après des mois d’une promotion tapageuse, Challengers est sorti au cinéma. À l’exception de quelques critiques qui l’analysent brillamment, ce film qui semblait avoir tout du pur produit de marketing façon « film sexy dispo sur Netflix » a provoqué, grosso modo, deux réactions parmi les critiques. Certains l’ont balayé d’un revers de main, n’y voyant qu’une espèce de vaste publicité pour Nike et Adidas. On reproche au réalisateur Luca Guadagnino d’évoquer la sexualité à tout bout de champ mais de se défiler quand les choses sérieuses commencent.
D’autres y ont vu une sorte de plaisir coupable. Un film dont on ne peut nier qu’il nous a plu, mais dont on se moque un peu. On trouve que, quand même, Zendaya qui porte plein de marques de luxe, ce triangle amoureux niaiseux et cette bande-originale aussi cucul qu’une playlist de boum du collège, ce n’est pas très sérieux.
Toutes ces critiques sont allées un peu vite sur Challengers. S’en tenir à l’une ou l’autre de ces conclusions, ce serait passer à côté d’un film autrement plus profond, complexe et enthousiasmant. Il résout plusieurs problématiques qui gangrènent beaucoup de films contemporains et nous en apprend même beaucoup sur le cinéma.
Il y a bien un triangle amoureux dans Challengers, le voici :
Patrick est un joueur de tennis surdoué. Il gagne sans trop d’efforts et surtout, il est cynique, c’est-à-dire qu’il prend la vie comme un jeu absurde où pas grand-chose n’a de sens ou de valeur puisqu’à la fin, on meurt. Il « sait qu’il est une merde, comme tout le monde », comme il le dit à un moment du film. Il est amoureux de Art.
Art, lui, ne demande qu’une chose : se (re)poser. Aller à la fac, se marier, avoir un enfant, travailler, prendre sa retraite, crever tranquille. Il est amoureux de Tashi. « Qui ne le serait pas ? » lui répondra-t-il quand elle demandera s’il est amoureux de lui. Il l’aime, parce que c’est la voie à suivre, comme tout le reste.
Quant à Tashi, elle est amoureuse du tennis. C’est tout.
Les personnages simples et bien écrits font les meilleurs scénarios
Dans Challengers, le scénario coule de source parce qu’il est d’une cohérence minutieuse avec les personnages. Rien n’arrive gratuitement. Tous les évènements sont justifiés par les personnages et, en retour, leur donne du sens.
Par exemple, même l’accident du film (Tashi qui se casse la jambe) n’en est pas un. Au fond, vivre de manière aussi vampirisante, aveugle et totalisante sa passion pour une discipline n’est ni viable, ni vivable sans s’auto-détruire. C’est donc en toute logique que tout cet investissement existentiel va se réinjecter ailleurs, une fois que jouer devient impossible. De là découle le principe même du film : une femme qui aime deux hommes qui l’aiment et s’aiment aussi. Ils ne jouent jamais aussi bien au tennis que quand ils sont animés par cet amour.
Longue vie au premier degré dans les films et aux réalisateurs qui croient en leurs personnages
Là où Guadagnino est un grand réalisateur, c’est qu’il a converti le talent du scénariste Justin Kuritzkes, dans le langage que lui maîtrise : la mise en scène. Challengers peut se permettre d’être d’un premier degré et d’un jusqu’au-boutisme formel absolu parce qu’il est construit sur des fondations d’écriture solides. Guadagnino nous bombarde de musiques ultra kitsch, de corps sculpturaux et désirables filmés sous tous les angles (et nous donne même à voir le p.o.v d’une balle de tennis dans la séquence finale) parce qu’il croit en ses personnages.
Il n’exprime aucun mépris envers leurs passions maniaques, leur jalousie mesquine, leurs désirs refoulés, leurs corps qui se cassent ou leurs couilles qui dépassent. Au contraire, il fait de son film un lieu d’expression aussi chic qu’une pub Chanel dans un monde capitaliste, aussi spectaculaire qu’un shōnen et aussi hot qu’un film érotique, même sans scènes de sexe. Guadagnino exprime l’ambivalence de toutes ces formes, toujours situées à la frontière entre le ridicule et le grandiose, le pouvoir et la médiocrité, le vivant et le morbide.
Les visions du monde de Tashi, Art et Patrick sont tellement simples qu’on peut les résumer en trois paragraphes, comme je l’ai fait plus haut. Pourtant, elles permettent de déployer un univers dramatique, sensoriel, psychologique. Un monde de déconstruction des rapports de pouvoir, de la féminité et de la masculinité, grâce au langage cinéma.
Face à un match ou une dispute, le cœur bat plus vite. Devant un mini-short qui dévoile des fesses galbées, le bas du ventre chauffe. Quand une rotule se casse, les mains se crispent et cachent spontanément les yeux. Notre corps de spectateur comprend plus vite que notre cerveau. Ni un montage qui opère des flashback et des flashforward, parfois pour 2 lignes de dialogue prononcées il y a 9 ans, ni des dialogues jouant constamment sur un double sens entre le tennis et une relation ne peuvent nous faire douter.
On comprend leurs décisions, leurs failles, leurs contradictions, leurs bassesses comme leurs coups d’éclats. À tel point qu’au fond, Tashi, Art et Patrick pourraient être la personnification de trois philosophies de vie en lutte ou en harmonie qui cohabitent dans une seule personne. Une personne à laquelle on peut s’identifier.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
que ce soit l'intention du réalisateur, je n'en doute pas mais pour moi c'est raté.
Les pirouettes de mise en scène ne sont pas dingues pour moi (au contraire, rien de pire que les films avec la caméra accrochée à un objet mobile, il le fait plusieurs fois, pas que avec la balle, ça donne envie de vomir, obligée de regarder ailleurs)
on ne s'attache aux personnages, on ne comprend pas leur attachement, il ya beaux passages mais j'ai trouvé cela très long.