Article initialement publié le 17 décembre 2021 et mis-à-jour
Le 8 novembre 2022, Saba, 49 ans, était tabassée à mort dans une rue de du 19ème arrondissement de Paris. Un meurtre d’une violence inouïe, dans l’indifférence générale, à quelques jours de la lutte contre les violences faites aux femmes. Celui d’une femme travailleuses du sexe.
Elles sont souvent mises de côté, exclues de la question des violences sexistes et sexuelles, pourtant les violences dont sont victimes les personnes travailleuses du sexe (TDS) sont réelles et sont tout autant le résultat d’une société misogyne, raciste et transphobe, qui perpétue des violences à l’égard des femmes et des minorités.
Ces violences, ce sont des meurtres, mais aussi des agressions, des viols. « Les féminicides visant des TDS sont parfois banalisés, comme s’ils faisaient partie des “risques du métier”, comme si les travailleuses du sexe n’étaient pas des femmes, mais seulement des “putes” » dénonçaient en 2021 plusieurs associations belges, après le meurtre d’une femme travailleuse du sexe à son domicile.
Un propos qui fait écho aux paroles de l’activiste Giovanna Rincon, directrice de l’association Acceptess-T, après le meurtre de Vanesa Campos en 2018 :
« Quand on est travailleuse du sexe, on est censée se protéger soi-même des meurtres et des viols. On ne remet pas en question les agresseurs, le système qui nous précarise, la société qui nous exclut, on préfère faire porter la responsabilité aux victimes. »
Ces violences, aussi terribles soient-elles, sont souvent reléguées à la case faits-divers, et ne recueillent que peu d’écho et de solidarité, y compris de la part des associations féministes. Les décomptes des féminicides commencent timidement à prendre en compte les meurtres qui ne rentrent pas dans les circonstances du couple ou de la séparation, notamment les meurtres des femmes trans ou des travailleuses du sexe.
C’est pour se souvenir d’elles et d’eux que la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux travailleurs du sexe a été instaurée et a lieu chaque 17 décembre.
L’origine du 17 décembre
C’est notamment la réalisatrice féministe et performeuse américaine Annie Sprinkle qui a initié cette journée d’hommage aux travailleuses et travailleurs du sexe en 2003, afin d’attirer l’attention sur les violences et les crimes de haine dont ces personnes sont victimes partout dans le monde.
En 2003, le 17 décembre, elle et plusieurs activistes, dont les fondatrices de l’organisation Sex Workers Outreach Project USA Robyn New et Stacey Swimme, se réunissent à San Francisco pour honorer la mémoire des victimes de Gary Ridgeway, un tueur en série connu sous le nom du Tueur de la rivière verte, qui venait d’être condamné par la justice américaine pour des dizaines de meurtres de femmes. Parmi ses victimes, de nombreuses travailleuses du sexe.
Cette journée est un rappel que la lutte contre les violences faites aux travailleuses du sexe doit s’inscrire comme une question de droits des femmes, mais est aussi un symbole d’intersectionnalité :
« La majorité des violences contre les travailleurs et travailleuses du sexe n’est pas que de la violence contre les travailleurs et travailleuses du sexe – ce sont aussi des violences contre les femmes trans, contre les femmes racisées, contre les usagers de drogues, contre les migrants », rappelle Sex Workers Outreach Project USA.
« On ne pourra pas mettre fin à la marginalisation et à la victimisation de toutes les travailleuses et les travailleurs du sexe sans aussi se battre contre la transphobie, contre le racisme, contre la stigmatisation et la criminalisation de l’usage de drogues et contre la xénophobie. »
Une mobilisation de droits humains, ni plus ni moins
C’est par exemple la ligne que défend l’ONG Amnesty International et que résumait le militant Sébastien Tüller en 2021. Sur Twitter, le thread ci-dessous permet de comprendre en quoi une mobilisation pour défendre les droits des personnes qui exerce le travail du sexe est un enjeu de droits humains.
Il y rappelle un point important : se positionner pour les droits des travailleurs et des travailleuses du sexe ne signifie en aucun cas fermer les yeux sur la traite, le trafic et l’exploitation d’être humains et cautionner ces violences.
Il y rappelle aussi que la criminalisation du travail du sexe, mais aussi toute loi qui rend l’exercice du travail du sexe plus dangereux et plus précaire (comme la loi de pénalisation du client votée en 2016 en France), contribue non pas à faire reculer le travail du sexe – puisque c’est là l’objectif affiché, faire disparaître la prostitution – mais bien à faire augmenter les violences et les oppressions que subissent déjà les travailleurs et les travailleuses du sexe.
En France, plusieurs rassemblements et rencontres auront lieu ce samedi 17 décembre à l’initiative d’organisations militantes dont le Strass, à Paris, ainsi qu’à Lyon, Lille, Marseille, Nantes, Rennes ou encore Bruxelles.
À lire aussi : Et si le travail du sexe était un sujet politique et non un problème à régler ?
Crédit photo : Fibonacci Blue via Flickr
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Les Commentaires
Sur les gentils clients et les gentils maris, la première chose à faire pour être sûre de tomber sur ceux-là c'est de lever le tabou sur les violences sexistes et sexuelles, ne pas faire d'amalgame douteux (comme les abolos qui parlent de "viol tarifé" ou le code Napoléon qui avait inscrit "le devoir conjugal" dans la loi) mais aussi d'avoir du choix et la possibilité de dire non.
Le principal problème dans la loi de pénalisation des clients de 2016 c'est qu'elle a drastiquement restreint la demande sans rien changer à l'offre, et sur l'ensemble des clients ceux qui respectent le changement de loi ont + de chance de faire partie des "gentils" que des "méchants" (si l'on doit parler ainsi, les TDS font en général plutôt la distinction entre clients et agresseurs) et même si ce n'était pas le cas le problème est bien que ce déséquilibre a mis les TDS dans la position inverse de celle escomptée. Comme il y a moins de demandes, ielles n'ont plus "le luxe" de pouvoir choisir leur clientèle et pour garder le peu qu'il reste, ielles se retrouvent à faire des concessions qu'ielles n'auraient jamais acceptées jusque là (baisse des tarifs, augmentation des IST, prises de risques - Vanesa Campos qui a été assassinée au Bois de Boulogne travaillait dans une zone éloignée et non éclairée pour que ses clients ne se fassent pas repérer alors même que cela la rendait + vulnérable en cas d'agression)
Donner des droits aux TDS ne va pas certainement pas "sauver" la sexualité hétéro, la rendre + rayonnante ou je ne sais quoi. Elle va juste permettre à des personnes de vivre mieux et surtout moins dangereusement.
J'ajouterais que ce serait cool d'arrêter d'assimiler nécessairement prostitution et traite des femmes. La traite d'être humains existe bien au-delà de l'esclavage sexuel mais on saisit très bien la différence entre travail et traite lorsqu'il s'agit de personnes exploitées dans des structures agricoles, le BTP ou les travaux domestiques. Défendre le travail du sexe n'est pas défendre la traite des femmes et d'ailleurs les syndicats de TDS sont les premiers à se battre contre (dans les autres arguments pour la dépénalisation des clients certaines personnes signalaient que certains réseaux de traite étaient démantelés grâce aux alertes des clients - pas tous faut pas déconner mais ne serait-ce que 1 ou 2 c'est toujours ça de pris, ce n'est plus le cas maintenant qu'ils risquent une amende)