Lorsque nous étions petits, tout le folklore autour du Père Noël était quasiment un passage obligé. Maintenant que nous sommes parents à notre tour, on se rend compte que « faire croire au Père Noël » n’est plus si systématique, et que notre génération est partagée à ce sujet ! Pourquoi ?
Depuis quand les cadeaux de Noël sont-ils amenés par un vieux barbu ?
Noël n’est la grande fête de famille que l’on connaît que depuis le XIXᵉ siècle, lorsque l’évènement se désolidarise peu à peu de son aspect religieux. Les festivités prennent alors plus de place, et se généralise la tradition de décorer son sapin, et avec cela, l’esprit de Noël.
Le Père Noël, au départ appelé « Bonhomme Noël » en France, apparaît à la fin du XIXᵉ siècle, vieillard joufflu à la barbe blanche, mais sans le costume rouge qu’on lui connaît maintenant. De l’autre côté de l’Atlantique naît au même moment Santa Claus, issu d’un mélange de traditions européennes, amenées par les migrants installés en Amérique.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’influence de Santa Claus arrive en France pour façonner un nouveau Père Noël, et son image est bien vite récupérée par les grands magasins et leurs publicités. Le Père Noël prend alors une place très importante auprès des enfants, faisant désormais de Noël leur fête. Pendant les décennies qui suivent, le fait est établi : c’est le Père Noël qui amène les cadeaux, impossible de ne pas y croire !
La question d’y croire et jusqu’à quand
Le magazine professionnel « L’École et la vie » relate en 1931 l’histoire d’un professeur de mathématiques ayant révélé à un enfant de 7 ans que le Père Noël n’existe pas. Le père de l’enfant a traîné le professeur devant les tribunaux, et a eu gain de cause ! Une anecdote toujours d’actualité puisque, très récemment, une mère du Gard a porté plainte contre une enseignante pour les mêmes raisons. À la différence qu’aujourd’hui la justice ne considérerait probablement plus que croire au Père Noël est essentiel et sacré.
Au-delà de la question de croire au Père Noël, il y a donc aussi celle, toute aussi importante, de savoir quand révéler la vérité. Il faut croire qu’au XXᵉ siècle, seul ce questionnement était valable sur ce sujet. Il était incontournable de croire au Père Noël, mais jusqu’à quand ? Fallait-il laisser l’enfant découvrir la vérité seul, ou lui vendre la mèche ?
Les raisons de la discorde
Revenons à une époque plus proche de la nôtre, il y a une trentaine d’années. Rares sont alors les parents qui ne montent pas à bord du folklore Père Noël, avec plus ou moins de ferveur, allant du « oui oui, il existe mon chéri, si tu le dis » au tonton qui joue son rôle avec aplomb tous les 24 décembre.
Puis, un enfant apprend par son grand frère que tout ça, c’est du pipeau, et il passe le message aux copains. Certains pleurent, d’autres s’en foutent, et quelques mordus de Noël refusent cette vérité. Ladite vérité éclate plus ou moins tôt chez les enfants, du début de la maternelle à la fin de la primaire. Et chacun ne vit pas cette révélation de la même façon. Combien d’entre vous sont encore traumatisés par cette trahison parentale ?
Il faut dire également que certains petits trouvaient cette histoire très louche. Avec des parents séparés et plusieurs Noëls en famille, comment fait le Père Noël pour s’y retrouver, chez qui dépose-t-il les cadeaux ? Et est-ce qu’il n’y en a vraiment qu’un, pourquoi j’en ai croisé deux en train de fumer derrière le centre commercial ?
Bref, notre génération est celle de la transition, avec des Noëls éclatés qui distancent le mythe, et une envie de ne pas perpétuer le même sentiment de trahison. Et en même temps… est-ce que ne pas faire croire au Père Noël fait disparaître toute magie de Noël ? Comment conserver un esprit de Noël sans Père Noël ?
Alors, tradition ou mensonge ?
Mythe, mensonge, légende, croyance, tradition, appelons-le comme on veut, mais quand on interroge des parents à ce sujet, deux teams se dégagent.
La première veut perpétuer cette tradition, et le mot qui revient le plus souvent est « magie ». « Ça apporte de la magie dans leur vie, on voit leurs yeux briller » « Ça fait partie de la magie de l’enfance et de Noël » « J’ai aimé vivre cette magie » « Je veux leur laisser une part d’innocence et de magie » « J’ai l’impression que c’est une période courte dans leur vie qui permet de s’évader, de rêver un peu » « Ça apporte un peu de rêve ».
Cette team Père Noël a aimé y croire pendant l’enfance, et veut transmettre ces émotions à sa progéniture. « J’y crois encore un peu moi-même, y croire m’a rendue tellement heureuse dans mon enfance ! » « J’ai adoré y croire ! » « J’en garde un très bon souvenir, et j’aimerais que mes enfants expérimentent la même chose » « Il y a une part de nostalgie personnelle ».
D’autres arguments font référence au développement de l’enfant : « Ça leur apprend la patience et l’anticipation » « Ça leur permet de développer leur imagination, c’est primordial ! »
Enfin, le folklore traditionnel a la cote. « C’est une tradition mignonne » « Mes enfants préparent le verre de lait et les biscuits pour le Père Noël, avec la carotte pour les rennes » « Ils le guettent, essayent de voir son traîneau dans le ciel ».
Mais beaucoup précisent qu’ils n’adhèrent cependant pas au chantage qui accompagne parfois cette tradition ni à l’abondance de cadeaux. « On ne fait pas du tout de chantage au Père Noël, et on n’a jamais dit que c’était pour les enfants sages » « On limite à fond la liste au Père Noël pour éviter le trop-plein de cadeaux inutiles » « Je suis complètement contre le chantage ! »
La révélation n’est pas forcément une inquiétude. « Je suis persuadée que lorsqu’ils sont en âge de découvrir la vérité, la plupart des enfants n’est pas choquées des révélations, soit car c’est progressif, soit car ils sont contents de faire partie de la team des grands qui savent. »
Le mensonge n’inquiète pas non plus. « Je n’irai jamais jusqu’à soutenir que ça existe si l’enfant demande explicitement » « Pour moi ça ne compte pas comme un mensonge » « C’est une bonne leçon pour les enfants de ne pas croire à tout ce qu’on dit ».
Pourtant, du côté des parents qui ne veulent pas encourager à la croyance du Père Noël, la principale motivation est justement d’éviter le mensonge. « Mon mari a eu un gros sentiment de trahison quand il a compris que c’était les parents » « J’ai été traumatisée quand mes parents m’ont dit qu’il n’existait pas. J’ai douté de tout ce que me disaient les adultes après. Ça m’a tellement angoissée que je doutais même de ma propre existence » « Pour moi il est hors de question de mentir, d’avoir cette supériorité sur l’enfant » « J’ai eu l’impression d’être prise pour une idiote quand j’ai découvert la vérité ».
Une autre raison est d’éviter que le barbu au costume rouge ne récolte tous les honneurs. « Il faut qu’ils sachent que les cadeaux ne tombent pas du ciel, et que de vraies personnes font l’effort de penser à lui » « On lui présente le personnage comme une jolie histoire, je n’ai pas envie de lui mentir, et je trouve important qu’elle remercie les vraies personnes qui lui offrent des cadeaux, pas juste une entité imaginaire » « On tient à dire que les cadeaux sont offerts par des gens, ça ne tombe pas du ciel »
Cette décision moderne rencontre cependant deux obstacles : la famille, souvent réticente, et prompte à perpétuer le mythe ; et l’école, où les camarades croient quasi tous au Père Noël. Il est alors difficile de garder son cap.
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Un troisième groupe se détache, cependant : celui des neutres, du compromis. « On lui laisse se faire sa propre idée » « Quand elle se pose des questions, je lui demande ce qu’elle en pense » « On parle du Père Noël sans insister dessus, s’il y croit on le respectera sans renforcer sa croyance » « On n’encourage pas spécialement à croire au Père Noël, on n’insiste pas dessus, mais on lit des livres à ce sujet ».
Finalement, notre choix de faire croire ou non puise souvent ses motivations dans notre propre enfance, entre envie de partager la magie, et souci d’éviter un traumatisme. Heureusement, grâce aux décorations, aux chants, aux marchés de Noël et autres sessions de sablés, il sera toujours possible de vivre un Noël festif et magique, que l’on croit au Père Noël ou non !
L’avis d’une psychologue
Lucie Rose est psychologue spécialisée en neuropsychologie, et doctorante en psychologie au Centre Neurosciences Intégratives et Cognition de l’Université de Paris / CNRS. Quel est son avis sur la question ?
Est-ce que croire au Père Noël est essentiel pour développer son imagination ?
« Cela n’a rien d’essentiel ! Dans certaines familles, on choisit de ne pas introduire l’idée du Père Noël, dans d’autres, on fait intervenir différents « personnages » magiques de cette période festive. Les enfants ont des milliers d’occasions pendant l’année, fêtes ou non, lors desquelles ils développent leur imagination notamment lors des temps de jeu libres. De manière générale, la période des fêtes est un moment d’effervescence familiale, de retrouvailles, et souvent de moment privilégié où les parents évoquent leurs propres souvenirs d’enfance : tout cela participe à faire de ces moments des évènements mémorables, Père Noël ou non. »
Est-ce grave de mentir à son enfant sur ce sujet ?
« Il faut bien faire la différence entre le fait de mentir à son enfant et le fait de faire vivre un personnage jusqu’à ce que son enfant se rende compte, seul, que ce personnage n’est pas réel.
Mentir régulièrement à son enfant ou devant son enfant augmente leur propension à mentir ensuite, mais c’est une situation très différente qui concerne plutôt des comportements qu’on modèle au quotidien.
Les enfants arrêtent généralement de croire au Père Noël autour de sept ans, et avant cet âge, les enfants ont parfois des difficultés à faire la part des choses entre la fiction et la réalité concernant leurs autres personnages préférés de dessins animés, par exemple, et rentrer dans leur monde imaginaire ne fait pas des parents des menteurs ! Ce qui est important, c’est que quand votre enfant commence à se questionner sur la réalité ou non de ces personnages, vous avez une fenêtre d’opportunité pour enclencher la discussion et les aider à raisonner par eux-mêmes : pourquoi se posent-ils la question ? Quelles actions suggèrent-ils pour y voir plus clair ? »
Est-ce que la révélation de la vérité est un processus de deuil nécessaire dans le développement de l’enfant ?
« Souvent, ce sont les enfants qui se rendent compte par eux-mêmes que le Père Noël n’existe pas. Si cela va rendre certains enfants tristes, pour d’autres ce sera vécu comme un soulagement d’enfin comprendre d’où viennent les cadeaux ! Mais de manière générale, cela permet aux enfants qui n’y croient plus d’avoir le rôle de « grand », c’est-à-dire de l’enfant qui va faire vivre la magie pour les plus petits, ce qui est vécu comme une responsabilité de taille, car l’enfant doit alors se retenir pour garder le secret. Et c’est aussi l’occasion d’aborder d’autres sujets importants en famille, notamment évoquer que de nombreuses familles n’ont pas les moyens d’acheter des cadeaux, et réfléchir ensemble à comment rendre la période des fêtes un moment joyeux pour tous. »
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