« Je suis un·e. ami·e· de Dorothée. » Telle est l’une des nombreuses expressions codées employées par la communauté LGBT+ afin de s’en désigner comme un·e membre et ainsi montrer patte arc-en-ciel. Cette circonlocution vient du film Le Magicien d’Oz, sorti en 1939, où Judy Garland, interprète le personnage de Dorothée Gale et chante « Somewhere over the rainbow ». Comme l’actrice est perçue comme une icône gay, se désigner comme son ami·e permet de se reconnaître entre pairs et ainsi échapper à la criminalisation des actes homosexuels, illégaux aux États-Unis jusqu’en 2003 (cette décriminalisation a commencé par l’Illinois en 1961, État par État, jusqu’à l’affaire Lawrence c. Texas qui a invalidé toutes les lois restantes contre les activités sexuelles entre personnes de même sexe en 2003). La France décriminalise l’homosexualité le 4 août 1982 et cesse de la considérer comme une pathologie psychiatrique en 1992. Pour passer de l’ombre aux lumières arc-en-ciel, les communautés LGBT+ ont lutté, dans les rues, mais aussi dans l’art, comme l’illustre l’exposition « Over the Rainbow » du Centre Pompidou, à Paris depuis le 28 juin au 13 novembre 2023.
Comment des artistes LGBT+ se réapproprient leurs représentations, du XXe siècle à aujourd’hui
Alors qu’on a eu droit récemment en France aux expositions « VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie ! » au Mucem de décembre 2021 à mai 2022 au Mucem, « Exposé.es » au Palais de Tokyo de février à mai 2023, ou encore « Sarah Bernhardt, Et la femme créa la star » (qui donne notamment à voir sa relation avec la peintre Louise Abbéma) d’avril à août 2023, c’est au tour d’une autre grande institution de proposer une exposition arc-en-ciel. À travers « Over the Rainbow », le centre Pompidou donne à voir le tournant de visibilité LGBT+ qui s’opère dans l’art à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.
Dès l’entrée, une frise chronologique permet de mieux comprendre dans quel contexte social et historique ces représentations artistiques et politiques s’opèrent. Comme point de départ : c’est en 1868 que l’écrivain et militant Karl-Maria Kertbeny emploie pour la première fois, en allemand, les termes « homosexuel » et « hétérosexuel ». On découvre ensuite des œuvres du début du XXe siècle, dont la sublime huile sur toile Femmes à la colombe (1919) de la peintre Marie Laurencin qui s’y représente portant la cravate, enlacée par la styliste Nicole Groult. Ou encore le tableau Au bord de la mer (1912) de Romaine Brooks qui représente une héroïne en habits d’homme, façon dandy androgyne et mélancolique. La peintre américaine a notamment entretenu une longue relation de cinquante ans avec Natalie Clifford Barney, qui tient le « Temple de l’Amitié », sorte de salon littéraire lesbien.
Plus loin, on peut en apprendre davantage sur l’artiste peintre danoise Lili Elbe (1882-1931), l’une des premières femmes trans à avoir bénéficié d’une opération chirurgicale de réassignation sexuelle (ce que raconte le film Danish Girl qu’Eddie Redmayne regrette d’avoir tourné), au détour d’un magnifique portrait réalisé par son épouse Gerda Gottlieb en 1922. Mais aussi sur l’artiste peintre Michel-Marie Poulain (1906-1991), l’une des premières célébrités transgenres de France. On découvre aussi Vander Clyde Broadway, fascinant fil-de-fériste et trapéziste américain qui officiait notamment à Paris en travesti sous le nom de Barbette, immortalisé par Man Ray à travers des clichés hypnotiques.
L’épidémie de VIH/Sida comme catalyseur politique et artistique
Après des œuvres de Jean Cocteau, Jean Boullet, Jean Genet (oui, tout le monde s’appelle Jean, à l’époque), Tom of Finland, Pierre Moulinier, ou encore Pierre et Gilles, l’exposition s’intéresse à la façon dont l’épidémie de VIH/Sida a mobilisé la communauté politiquement et artistiquement. Aussi petit soit-il, un emballage de préservatif frappe ainsi les esprits grâce à la phrase percutante PROTECT ME FROM WHAT I WANT (1985) qu’y a inscrite l’artiste conceptuelle américaine Jenny Holzer (et qu’a immortalisé en chanson le groupe queer Placebo dont je suis fan, soit dit en passant). Plus monumental mais tout aussi poignant, un mur de photocopies Safe/Unsafe: Cultural Risk Reduction (1990) du collectif anonyme Boy With Arms Akimbo 1990 dénonce les représentations discriminantes de la sexualité en opposant des photos de rapports sexuels protégés, donc « safe », à des portraits de personnalités publiques comme Georges H. W. Bush, dont l’inaction politique face à l’épidémie était dangereuse, « unsafe ». Même violence du rapport texte-image à travers la juxtaposition d’une cible et d’un portrait de Reagan ricanant, légendé d’un lapidaire « HE KILLS ME », de l’artiste militant d’Act Up Donald Moffett (ce président a beaucoup tardé avant d’aborder l’épidémie).
Des œuvres plus amusantes ou tendres permettent d’alléger la visite de l’exposition. Dont des photos de Jean-Baptiste Carhaix (1946-2023), proviseur de la French American Bilingual School de San Francisco de 1981 à 1983 et photographe. Il rencontre le groupe des Sisters of Perpetual Indulgence (Sœurs de la Perpétuelle Indulgence), fondé en avril 1979, qui mène des actions militantes en se travestissant pour parodier des concours de beauté canine ou des événements sportifs au profit de la lutte contre le VIH/Sida. C’est à lui qu’on doit le portrait marquant de cette fausse bonne-sœur (Sister Sadie the Rabbi Lady) tenant une pancarte « Merci Dieu je suis gay ».
C’est aussi avec humour et tendresse que le colletif d’artistes et militantes lesbiennes fierce pussy, fondé en 1991 à New York placarde dans les rues de la capitale des affiches à l’esthétique DIY pensée comme une ligne éthique. Faites à l’arrache avec une machine à écrire et une photocopieuse, leurs œuvres retournent des stigmates lesbophobes comme « dyke » qu’on pourrait traduire par « gouine ». Plus qu’une orientation sexuelle, c’est une identité politique qu’elles revendiquent ainsi fièrement dans l’espace public.
À lire aussi : Moquées ou invisibles, les lesbiennes butchs restent à la merci des clichés
Courte mais intense, cette exposition présente donc un bel échantillon de la façon dont les représentations des identités de genre et sexualités minoritaires se sont transformées, réappropriées par des artistes souhaitant les revendiquer fièrement. Du début du XXe siècle à aujourd’hui, en passant par les années folles qui adorent troubler le genre, et surtout l’épidémie de VIH/Sida qui sert de catalyseur politique et artistique aux luttes LGBT+, « Over the Rainbow » permet donc de nous rappeler que Netflix n’a pas inventé l’importance des représentations queer, et plante plein de graines qu’on peut ensuite vouloir décider de cultiver en allant se renseigner par soi-même sur toutes ces personnes artistes talentueuses et engagées.
À l’heure où les violences LGBTphobes redoublent et que l’extrême droite voudrait nous faire croire que nos existences tiennent d’un nouveau caprice décadent fruit du « wokisme », il apparaît d’autant plus important et presque thérapeutique qu’une institution comme le Centre Pompidou tienne cette exposition. Et qu’elle permette à tou·tes de voir qu’il se trame, depuis longtemps, beaucoup de belles choses au-delà de l’arc-en-ciel.
Exposition « Over the Rainbow », du 28 juin au 13 novembre 2023, Galerie 4, niveau 1 du Centre Pompidou (Place Georges-Pompidou, 75004 Paris).
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Juste : il y a des casques audio avec différents trucs à écouter. LISEZ avant pour savoir ce que vous allez entendre.
Moi je suis du genre a mettre le casque audio et lire le truc après … alors vers la fin quand j’ai mis les écouteurs le son entendu m’a surpris. J’étais la, perdue, ne comprenant absolument pas ce qui résonnait dans mes oreilles, puis j’ai lu le titre indiqué : « Orgasme anal »
J’étais pas prête… Mes oreilles innocentes n’étaient pas prêtes…. Mdr
Au moins j’ai fait rire le mec qui surveillait les œuvres d’art.