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Pourquoi les photos d’Adeline Rapon sur les clichés autour des Antillaises m’ont tant ému

Adeline Rapon rejoue et déjoue les stéréotypes sur les Antillaises dans sa série photo FANM FÔ qui s’expose actuellement. De quoi redonner dimension et dignité à des femmes que la société a voulu réduire à d’anonymes clichés.

Vous la connaissiez peut-être déjà pour son passé de blogueuse de ses 18 à 26 ans, ses créations de joaillerie, ou ses looks à l’allure vintage désormais égrainés sur Instagram. Mais Adeline Rapon excelle d’abord et avant tout dans l’art de la photographie. Aussi bien devant que derrière l’objectif, et pourquoi pas les deux à la fois.

Ce qui pourrait n’avoir rien d’étonnant pour les créatrices de contenus d’aujourd’hui, capables de cumuler les casquettes pour mener à bien leurs projets, prend une direction artistique plus personnelle et poétique depuis quelques mois dans l’oeuvre d’Adeline Rapon.

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Extrait de FANM FÔ SERIES d’Adeline Rapon. Pour les posts diapo Instagram ci-dessous, pensez à cliquer sur la flèche afin de voir l’image de référence sur laquelle s’est basée l’artiste à chaque fois. © Adeline Rapon.

Comment les modèles noires ont parfois servi malgré elles les clichés

Durant le premier confinement de mars 2020, la photographe s’est lancée dans une série baptisée FANM FÔ. Derrière ces deux mots créoles signifiant « femmes fortes », se déroule un femmage (rendre honneur de femme à femme) aux images d’Antillaises rarement nommées qui ont marqué l’époque coloniale et laissé des traces ambivalentes dans l’imaginaire collectif contemporain.

« Négresse de Martinique », « Mulâtresse au poil souple », « Type de femme de Guadeloupe », tels sont les noms donnés aux clichés sur lesquels s’est en partie basée Adeline Rapon.

Comme le montrait déjà l’exposition Le modèle noir de Géricault à Matisse qui s’est tenu au Musée d’Orsay en 2019, les personnes racisées qui posent pour des artistes peintres et photographes au XIXe et XXe siècles se retrouvent bien souvent à nourrir malgré elles l’entreprise coloniale.

Par exemple, quand Manet peint Olympia en 1863, œuvre fondatrice de l’art moderne, le titre contribue à l’effacement de sa servante noire dont la présence invisibilisée ne fait qu’asseoir le statut social de sa maîtresse. Même quand la domestique pose en solo pour le peintre la même année, celui-ci se contente de titrer La Négresse (portrait de Laure), signe qu’elle représente alors davantage un archétype, voire un stéréotype, plutôt qu’une personne.

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Olympia, d’Edouard Manet (1863).

Même chose avec le développement de la photographie qui ne fait que faciliter les images ethnographiques comme autant de clichés censés représenter les personnes noires comme un bloc monolithique, opposé aux Blanches qui auraient droit à leur singularité.

Adeline Rapon rejoue et déjoue les clichés sur les Antillaises avec FANM FÔ SERIES

C’est cette lignée de clichés qu’interroge Adeline Rapon. La photographe s’est donc à chaque fois basée sur une image existante de femmes antillaises du passé afin de la reproduire aujourd’hui, écrit-elle ainsi sur Instagram pour présenter sa série : 

« J’ai travaillé sur un sujet qui m’a toujours tenu à cœur : l’identité antillaise, des femmes tout particulièrement et par extension de la mienne. […] Ce n’est que plus tard que j’ai compris que je travaillais sur deux types d’enfermement, le mien, dû à la pandémie, et celui de ces femmes, dans une image colonialiste et doudouiste. »

En résulte donc une série de portraits qui joue et déjoue les clichés sur les femmes noires antillaises d’hier à aujourd’hui, plus ou moins anonymes ou connues.

Déjà exposée à Fort-de-France en Martinique à l’été 2020, voilà que FANM FÔ SERIES s’affiche dans les rues de la capitale hexagonale : au Square Alban-Satragne (ouvert de 8h à 17h), dans le 10e arrondissement de Paris, durant tout le mois de novembre 2021

Entre les clichés de la femme forte potomitan et de la séductrice doudou

Étant Antillais, j’ai été particulièrement ému et chamboulé par cette série de photo. Parce qu’elle souligne la puissance et l’humanité de femmes fortes, des potomitan comme on dit en créole (ce qu’on pourrait traduire par pilier central), trop souvent caricaturées pour correspondre et alimenter le stéréotype de l’angry black woman.

Adeline Rapon révèle, avec tendresse et humour (qui passe notamment par les anachronismes assumés d’une paire d’écouteurs ou de jeans alors qu’on aurait pu croire à une photo d’archive) plutôt que misérabilisme, leur dimension de cliché, au sens de stéréotype : enfermées dans le rôle de femme puissante, endurante, nourricière, inébranlable. Et donc qui n’ont pas le droit de faillir en tant que pilier familial.

Cela me rappelle comment les femmes de ma propre famille peuvent parfois se sentir piégées par ce rôle qu’elles n’ont pas choisi mais qu’on attend toujours d’elles.

Outre le cliché de la femme forte, Adeline Rapon interroge aussi l’autre pole des stéréotypes autour des Antillaises : celui de la séductrice.

Soit une figure doudouiste, c’est-à-dire une représentation caricaturale, exotisante, et angélique de l’outre-mer — ce poncif de l’Antillaise au sang forcément chaud, qui vous attend, le regard langoureux ou rieur, parfois débraillée, a notamment servi d’image commerciale pour vendre du rhum.

Une série sur un double enfermement qui m’a fait l’effet d’une libération

En plus de déjouer ces clichés sur les femmes Antillaises, Adeline Rapon prend aussi le temps et le soin de rendre des femmages spécifiques à certaines.

À commencer par sa propre arrière-grand-mère, mais aussi Paulette Nardal, femme de lettres martiniquaise précurseuse du mouvement intellectuel de la Négritude, et qui écrivait sur l’intersectionnalité au début du XXe siècle avant même que le terme ne soit inventé.

FANM FÔ SERIES a beau illustrer un double enfermement — dans des stéréotypes racistes, sexistes et classistes pour des Antillaises d’hier, et dans les murs de l’appartement parisien d’une artiste confinée aujourd’hui — elle m’a fait l’effet d’une libération.

Exposée dans un parc de la capitale sous un froid soleil d’hiver, cette série qui prend de la place dans l’espace public et ne s’excuse pas de le faire, impose ainsi une réflexion sur l’imagerie coloniale et ses traces, avec un mélange de tendresse, d’humour, et de mélancolie. De quoi redonner toute leur dimension, leur dignité, et leur humaine complexité à des femmes que la société a voulu réduire à d’anonymes clichés

FANM FO SERIES s’expose au Square Alban-Satragne (ouvert de 8h à 17h), dans le 10e arrondissement de Paris, durant tout le mois de novembre 2021, dans le cadre des Rencontres photographiques du 10e.

Si vous ne pouvez vous rendre au Square, cette série photo d’Adeline Rapon est disponible sur Instagram, avec le hashtag #FANMFOSERIES.

À lire aussi : C.R.E.O.L.E rappelle que la mode est politique, de « Taubira présidente ! » au scandale du chlordécone

Crédit photo de Une : Instagram @adelinerapon et Maria, l’Antillaise de Felix Nadar, vers 1850.


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Les Commentaires

2
Avatar de LuneBrune
15 novembre 2021 à 17h11
LuneBrune
Super article, très documenté. J'ai appris pleins de choses...
0
Voir les 2 commentaires

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