Un article écrit par Déborah Liss
Que celles qui connaissent la différence entre taux « personnalisé » et « individualisé » lèvent la main ! Personne ? C’est normal. Les impôts, c’est la plaie, on fait sa déclaration au dernier moment et on ne va pas trop chercher plus loin. Sauf que le sujet mérite vraiment qu’on s’y intéresse, surtout quand on est une femme en couple hétérosexuel. Mais ne vous inquiétez pas, on va tout vous expliquer pour que vous puissiez éviter les pièges.
Le quotient conjugal peut augmenter vos impôts
Déjà, il y a les bases : tout le monde a plus ou moins en tête qu’on est obligé de faire une déclaration d’impôt commune quand on est marié·e ou pacsé·e. C’est la conjugalisation de l’impôt.
Ce qu’on sait moins, c’est qu’elle favorise la personne qui gagne le plus dans le couple (dans les trois quarts des cas, c’est l’homme, d’après une étude de l’Insee de 2019) : son taux marginal d’imposition baisse de 13 points en moyenne, quand la personne qui gagne le moins, elle, voit son taux d’imposition augmenter de 6 points !
Comparons plusieurs situations pour rendre ça plus concret (vous aussi, amusez-vous sur le simulateur des impôts) :
– Sofia et David sont pacsé·es. Ils ont des revenus à peu près similaires : autour de 30.000€ par an. Ils vont déclarer 60.000€ aux impôts. Leur impôt sur le revenu sera de 4.212€, donc 2.106€ chacun·e. Ils ont le même taux de prélèvement à la source : 7%. S’ils n’étaient pas pacsés, ils feraient leur déclaration chacun·e de leur côté, et paieraient aussi 2.106€ chacun·e.
– Si David gagne 45.000€ par an et Sofia 15.000€ euros par an, leur impôt sur le revenu sera toujours de 4.212€. Avec un taux de prélèvement à la source à 7%, David paiera 3.150€ d’impôts et Sofia 1.050. En union libre, David aurait un taux de 13,7%, et il aurait payé 6.156€. Sofia, elle, n’aurait rien payé.
Un modèle patriarcal qui favorise les plus aisés
En fait, le quotient conjugal favorise non seulement les hommes, mais surtout les hommes les plus aisés, rappelle l’Insee. Ils sont comme « récompensés » d’avoir une femme qui gagne peu, avance Titiou Lecoq dans son podcast « Rends l’argent ».
« Car il n’y a pas de limite à l’économie d’impôt qu’on peut faire en étant marié si les revenus sont déséquilibrés », explique Héloïse Bolle, conseillère en gestion de patrimoine à Oseille et compagnie, et autrice du livre Les bons comptes font les bons amants. « Il n’y a pas de plafond comme pour le quotient familial », poursuit-elle : « cet avantage fiscal quand on a des enfants est plafonné à 1.570€. Or, dans l’exemple, David fait déjà plus d’économie en se pacsant (3.000€). Et cela va en s’amplifiant pour les plus hauts revenus ».
Bref, le quotient conjugal se base sur le modèle de l’homme qui travaille et de la femme au foyer ou à temps partiel. Un mécanisme patriarcal qui n’a aucune justification économique : il fait même perdre de l’argent à l’État. 11 milliards d’euros en 2017 selon l’Insee !
L’embrouille du taux personnalisé et du taux individualisé
Alors, si on est mariée et qu’on gagne moins que son conjoint, on fait quoi ? Il est possible de jouer sur les taux de prélèvement à la source. Par défaut, ce taux est « personnalisé » pour les couples mariés et pacsés. Ça veut dire, comme son nom ne l’indique pas, que le taux est le même pour les deux.
Dans le cas où David gagne beaucoup plus d’argent que Sofia (45.000€ par an), 7% de leurs salaires respectifs partent dans les impôts chaque mois. David paye au final 3.150€ d’impôts, et Sofia 1.050€.
« Pourtant, il n’y a pas de raison pour qu’elle paye des impôts, alors que c’est son bas salaire qui permet de minorer très sensiblement les impôts de son partenaire », martèle Héloïse Bolle.
Heureusement, il est possible d’opter pour le taux individualisé : il serait de 9,4% pour David, et de 0% pour Sofia. David « gagne » quand même à être pacsé, puisqu’il paye alors 4.230€ au lieu de 6.156, et Sofia ne paye pas d’impôts sur ses faibles revenus.
Seuls 6% des ménages français ont opté pour ce taux ! Alors, est-ce qu’il ne serait pas mieux de mettre le taux individualisé par défaut ? « Ce serait effectivement plus simple », estime Héloïse Bolle. « Avec un taux individualisé par défaut, la discussion ne serait pas du tout la même : imaginez celui qui gagne le plus demander à sa femme de passer au taux commun car cela l’avantage, lui… ».
S’intéresser à l’oseille
Dans tous les cas, que ce soit pour les impôts ou les autres questions d’argent dans le couple, la fondatrice d’Oseille et compagnie encourage à s’y intéresser, à l’oseille. Surtout « dans les premières années de vie commune » :
« C’est le moment de prendre la question à bras-le-corps, d’en parler une bonne fois pour toutes. Si on sait où on va, on se laisse moins dépasser. Car nombreux sont ceux et celles qui ont un désintérêt total de la chose financière. Et parfois, il y en a un qui a plus d’informations que l’autre, ou qui est même le seul à avoir les codes des espaces personnels des impôts… ».
Elle alerte aussi sur ceux qui gagnent bien leur vie et découragent leur conjointe d’avancer dans leur carrière. Pour éviter qu’elle gagne davantage, et que le couple se retrouve à payer plus d’impôts…
Les pensions alimentaires : le biais sexiste
Et puis parfois, il y a séparation, divorce et… pensions alimentaires. Et là, le système fiscal français continue de défavoriser les femmes : dans 83% des cas, ce sont elles qui reçoivent cette « contribution pour l’entretien et la vie de l’enfant », d’après Céline Bessière et Sibylle Gollac, autrices de l’essai Le Genre du capital.
Et ce qui est pour le moins étonnant, c’est qu’au moment de la déclaration de revenus, celui qui la paye peut la déduire de son revenu imposable. En face, celles qui la reçoivent doivent la déclarer comme des revenus.
Pour les autrices, ce système n’est pas neutre : les femmes célibataires qui ont des enfants sont en moyenne plus pauvres, et paient de manière générale moins d’impôts sur le revenu. Ce qui a pour conséquence de ne pas compenser le « cadeau fiscal » fait aux ex-conjoints…
Au Canada, quand les pensions ont été défiscalisées et rendues non déductibles, l’État a gagné 75 millions de dollars en recettes fiscales… Alors, quand la France va-t-elle se débarrasser d’un système sexiste pour, en plus, se faire de la thune ?
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