Ils sont de plus en plus nombreux dans les vitrines des love-shops. Des plugs chromés, des gode-ceintures minimalistes, des stimulateurs prostatiques vibrants noirs : aux côtés des vibros et autres jouets roses et violets, les sextoys destinés aux anus adoptent un marketing viril.
De ces magasins aux comptes Instagram spécialisés, un discours se dégage lentement : il est temps que les hommes cis-hétéros explorent leur anus. Du simple doigt au pegging, ou chevillage en VF, qui désigne la sodomie pratiquée par une femme sur un homme (via un gode-ceinture notamment), connaître ses fesses constituerait le comble de la déconstruction. Pourtant, pour ceux qui aiment se faire prendre, la pratique reste taboue.
En février 2019, dans un sondage Ifop en partenariat avec le magazine ELLE, intitulé « Où en est la vie sexuelle des femmes en 2019 ? », on apprenait que 22% des participantes interrogées avaient déjà pénétré digitalement l’anus de leur partenaire, et 15% d’entre elles auraient fait un anulingus à un homme.
Pourtant, la parole de ceux qui reçoivent une pénétration anale reste rare. « Je ne peux pas en parler du tout ! J’ai peur d’être jugé » avoue Bruno, qui pratique le pegging à de rares occasions. Rémi, quant à lui, ne peut en parler autour de lui qu’en « faisant des blagues là-dessus ». « J’ai très souvent la réaction d’hommes qui disent : ah non, moi personne ne touche à mon cul » ajoute-t-il. Entre hommes, même en 2022, le tabou demeure.
Pourtant, des hommes qui se font pénétrer par des femmes, ça ne date pas d’hier. Didier Dillen, journaliste et auteur de La fabuleuse histoire de la levrette (Editions La Musardine), a trouvé des traces de ces pratiques dès le IVème siècle après JC, tout comme au 11ème siècle. « On parlait essentiellement de gode-ceintures entre femmes, mais ça ne veut pas dire que ça n’a pas existé pour d’autres pratiques », explique-t-il.
Dans un roman anglais fantastique du 17/18ème siècle, un auteur préconise même le gode ceinture pour les soldats amputés. Un recul historique qui permet de concevoir qu’en matière de sexualité, nos ancêtres avaient déjà tout testé. « Quand on parle d’histoire de la sexualité, tout ce qu’on fait aujourd’hui existait déjà ! Mais ce qui est difficile, c’est de définir à quelle fréquence, et si c’était des pratiques répandues » ajoute le journaliste.
Le trou qui fait mâle
Quand Bruno a commencé à explorer les pratiques anales, il avait beaucoup d’appréhensions et de craintes. « J’avais peur d’être excité initialement, mais de ne pas aimer au final, peur d’avoir mal, d’avoir des doutes sur ma sexualité », confie-t-il. C’est une idée qui revient souvent, comme si une pénétration anale d’un homme (et le plaisir de ce dernier) impliquait une suspicion d’homosexualité et une perte instantanée de virilité.
Selon Didier Dillen, « Il y a l’idée que seules les femmes se font pénétrer ». Et dans l’inconscient collectif, « l’anal est une pratique qui est assimilée à la sexualité homosexuelle, alors que c’est un cliché » détaille le journaliste. De fait, beaucoup d’hommes hétéros auraient peur d’apprécier le plaisir anal, ce qui remettrait en cause leur orientation sexuelle… Une idée reçue profondément homophobe, mais qui continue à circuler dans les esprits.
« Le binarisme sexuel et le mythe de la copulation hétérosexuelle reproductive ne fonctionne pas avec l’anal, qui défie et remet en cause ses présupposés. […] En effet, bien qu’une tradition millénaire, comme nous l’avons vu, identifie systématiquement la sodomie à la pénétration entre hommes, la réalité est que les hommes et les femmes peuvent aussi se pénétrer analement selon toutes les combinaisons possibles, et donc en pratique, cette distinction s’avère intenable » écrivaient Javier Saez et Sejo Carrascosa dans le livre Enculé ! Politiques anales (Editions Les Grillages).
Car dans les rôles genrés enseignés depuis des millénaires, les femmes sont les pénétrées, passives ; les hommes pénétrants, et donc actifs. De fait, pour beaucoup d’hommes hétéros (et parfois leurs partenaires), l’exploration de leur plaisir prostatique signifierait un manque, voire une perte de virilité.
« J’ai eu de premières expériences très tardivement car mes copines de l’époque ne voulaient pas le faire, elles trouvaient ça sale, et pensaient que l’homme devait être viril, et que cette pratique casserait l’image qu’elles ont de moi » se rappelle Rémi, qui a découvert le pegging via le porno. S’il a pu rencontrer des partenaires intéressées pour tester cette pratique, il a longtemps été effrayé d’en parler aux femmes qu’il rencontrait, pensant qu’elles allaient se moquer de lui. Pour les femmes aussi, être celle qui pénètre peut être difficile à aborder dans une relation hétérosexuelle.
Mais alors, est-on quand même à un tournant en matière de pénétrant.e / pénétré.e ? Ouvrages, podcasts, sextoys, comptes Instagram spécialisés : les ressources semblent se développer pour que les hommes hétéros puissent connaître le plaisir prostatique. Mais il reste à savoir si la société des hommes est prête à entendre leur parole… Sans la juger.
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Crédit photo de Une : Charles Deluvio/Unsplash
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Les Commentaires
Pour un homme, ça touche directement à sa "virilité" (lol) et du coup, beaucoup vont se mettre des barrières.