Un article de Lise Famelart.
She-Ra et les princesses au pouvoir, vous connaissez ? Ce dessin animé américain dont la cinquième et dernière saison était diffusée sur Netflix en mai 2020, est une production très inclusive menée par l’autrice Noëlle Stevenson.
On y découvre une galerie de personnage très variée, avec des protagonistes de couleurs de peau différentes, des couples gays (pour certains avec des enfants), et même une passionnante histoire d’amour lesbienne. She-Ra n’est pas un cas isolé : la série s’inscrit dans un mouvement mettant à l’honneur la diversité dans les dessins animés américains.
Steven Universe questionne les codes du genre
Si cette démocratisation de la diversité dans les séries animées américaines pour enfants n’est pas complètement nouvelle, elle est quand même plutôt récente.
Depuis plusieurs années, on assiste à l’émergence de ce mouvement, avec la création par exemple de Steven Universe. On y suit l’histoire de Steven, un jeune garçon élevé par trois femmes dans un univers doux et coloré.
La série questionne les codes traditionnels des genres avec adresse et intelligence : Steven n’a aucun problème à porter une robe même si c’est un garçon, et l’œuvre a été la première série animée pour enfants à représenter un mariage homosexuel (ne cliquez pas sur ce lien si vous découvrez seulement la série, c’est bourré de spoilers).
La représentation est un sujet central de Steven Universe, mais cette thématique est aussi amenée de façon plus discrète dans d’autres séries. Dans Kipo et l’âge des animonstres, diffusée sur Netflix, l’un des personnages fait son coming-out auprès de l’héroïne. Dans Hilda, également sur Netflix, il est plutôt question d’aventures mystérieuses et de bestioles magiques, mais on peut y voir des personnages féminins portant le voile, par exemple.
Pourquoi la diversité dans les fictions pour enfants est essentielle
Peggy Albers, professeure de langue et d’alphabétisation aux États-Unis, explique dans The Conversation pourquoi la diversité dans les fictions pour enfants est essentielle :
“Les enfants apprennent comment se conduire et comment réfléchir à travers les personnages qu’ils rencontrent dans les histoires qu’on leur raconte.”
Grâce aux histoires et en fonction d’elles, ils et elles apprennent à développer leur pensée critique et leur façon d’appréhender le monde. D’où l’importance de leur proposer des personnages diversifiés, du point de vue du genre mais aussi de l’orientation sexuelle, de l’origine
… Les dessins animés contribuent à façonner les générations de demain !
Mais alors pourquoi la diversité est-elle si présente dans les dessins animés américains par rapport aux productions françaises ? L’une des raisons est tout simplement… le business !
Le dessin animé français repose sur l’exportation
Violaine Briat est storyboardeuse : après avoir obtenu son diplôme aux Gobelins, elle a travaillé durant plusieurs années en France sur des dessins animés comme Kobushi, Trolls de Troy, Marcus Level… puis elle est partie aux États-Unis en 2016. Aujourd’hui, elle travaille pour Netflix. Elle explique pourquoi les créateurs et créatrices français·es ont souvent moins de libertés.
“L’économie française repose beaucoup sur la mondialisation. Le dessin animé français ne peut pas être rentable seulement pour le public local, on n’est pas assez nombreux en France. Du coup, comme il faut vendre les dessins animés au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est… on est obligés de faire plaisir à tout le monde.
C’est compliqué par exemple dans les pays du maghreb de représenter un enfant qui mange du jambon ! Alors que les USA peuvent s’autoriser plus de choses, le marché local à lui tout seul leur permet de rembourser les frais.”
Le public français n’est donc pas particulièrement puritain, mais les productions francophones doivent convenir à de nombreux pays pour être rentables. Un épisode de dessin animé représentant des personnages homosexuels aurait par exemple peu de chance d’être diffusé au Moyen-Orient.
La lente féminisation des métiers de l’animation
Selon Violaine Briat, la diversité dans les séries est relativement récente, et ce n’est pas uniquement une question d’argent. La féminisation des professions au sein de l’animation joue également un rôle important.
“L’arrivée des femmes dans le dessin animé, c’est assez récent aussi. Dans ma classe durant mes études d’animation, on était cinq filles sur vingt-cinq élèves, si tu regardes les classes de maintenant, ça a complètement changé.”
L’association Women in Animation et l’école USC Annenberg ont publié une étude sur le sujet en 2019. Les constats ne sont pas glorieux, mais on voit bien que les professions se féminisent petit à petit.
En se basant sur les productions sélectionnées dans les plus grands festivals d’animation américains, l’étude constate que la proportion de femmes est de plus en plus grande côté réalisation de courts-métrages. En ce qui concerne les scénaristes, 3% d’entre eux étaient des femmes en 2007, contre 19% en 2018.
Plus de diversité dans les studios, cela veut dire plus de personnes capables de parler de ce qui les concerne, de façon juste et sensible.
Est-ce que ça veut dire que seuls les Américain·es savent être fun et accessibles ? Pas exactement !
En fait, cette diversité ne concerne qu’une partie des séries pour enfants outre-Atlantique. Disney par exemple propose de très bonnes séries (comme le génial Gravity Falls), mais a encore du chemin à parcourir côté représentation.
Selon Violaine Briat, la cible première de ce studio reste les familles chrétiennes, et ses personnages sont souvent très conventionnels.
Les studios français misent sur la sécurité
En France, Wakfu est un bon exemple des mécanismes à l’œuvre dans le monde de l’animation qui peuvent freiner l’apparition de représentations plus diverses. La série, lancée en 2008, est produite par Ankama et se déroule dans l’univers de Dofus.
Racontant l’épopée de Yugo, jeune orphelin en quête de ses origines, Wakfu propose des aventures palpitantes et une animation vraiment chouette. Par contre, elle pêche du côté de la diversité de ses personnages : les relations amoureuses s’écartent peu des modèles traditionnels, pour ne citer que cet aspect (d’accord, Tristepin et Evangéline sont trop chous… mais c’est une fille et un garçon, quoi).
Durant l’été 2020, Ankama a dû passer par une campagne de crowdfunding pour financer la production de sa quatrième saison. Une initiative qui a été couronnée de succès puisque l’équipe a réuni un million et demi d’euros, mais qui montre bien que le circuit classique français peine à soutenir le secteur de l’animation… ce qui pousse souvent les studios à miser sur la sécurité, en se cantonnant aux personnages et aux modèles familiaux traditionnels.
Néanmoins, les Français·es ont leur propre façon de casser les codes. Violaine Briat fait ainsi remarquer que la morale est souvent plus prononcée dans les séries américaines, au point d’en être parfois caricaturale.
“En France il y a moins le côté moralisateur. Il y a toujours une morale, mais moins marquée. Aux États-Unis il y a un côté vachement noir et blanc dans l’animation, vraiment manichéen. Quand les enfants sont petits je trouve que c’est bien, mais plus tard c’est dommage. En France on est plus cynique et ironique, je dirais qu’on arrive mieux à voir les valeurs de gris.”
Si la France n’est pas la reine de la diversité, elle brille par contre par son impertinence. Avec de nombreux studios et des événements mondiaux comme le festival d’animation d’Annecy, elle a de belles choses à proposer côté animation.
Mais cela ne doit pas empêcher le public d’aller voir ailleurs, car il y a du bon aussi à montrer aux enfants du côté des États-Unis.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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