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Féminisme

Pourquoi les César 2020 m’ont donné envie de péter des genoux

Manon a regardé la cérémonie des César vendredi soir, et ça a déclenché une rage à laquelle elle n’était pas habituée.

Je suis un peu la petite nouvelle de la rédac, et même si je lis Rockie et madmoiZelle depuis un bail, j’ai encore des difficultés à m’identifier comme « féministe engagée ». Pour moi, jusqu’à aujourd’hui, les « vraies » militantes sont celles qui luttent au quotidien avec des actions, des happenings.

Elles sont celles qui écrivent des tribunes ô combien percutantes dans Libé comme Virginie Despentes. Ce n’est pas moi, ça.

Moi, je lis des articles, je suis des comptes Twitter qui m’inspirent et m’aident à me faire une opinion, je discute des César à la pause déj avec les rédac’ de madmoiZelle. Quand je dis que ce qui s’est passé vendredi soir me donne envie de péter des genoux, on me dit « Tu devrais écrire un article sur ça ». Et là, c’est la panique.

Je ne me sens pas légitime. Pourquoi ? Bonne question. Mais Mymy me pousse, me disant que justement, elle a bien envie de lire un article sur mon opinion, sur cette rage qui ne redescend pas depuis vendredi soir. Alors j’y vais, parce que merde, j’en ai marre de me taire.

César 2020 : Une cérémonie à gerber

Pour la première fois, j’ai regardé l’intégralité de la cérémonie, ce que je ne fais jamais. Habituellement, je zappe brièvement dessus, j’me dis que le cinéma, c’est vraiment pas mon truc, et je passe à autre chose. Parfois je regarde le lendemain les « moments forts » sur YouTube, mais sans plus.

Vendredi soir, j’ai tout regardé, du début à la fin : je voulais voir en direct l’effondrement d’un système. 

Florence Foresti gère la cérémonie d’une main de maîtresse, faisant des petits uppercuts bien placés à tous ceux qui composent cette industrie. Cette « Grande Famille » du cinéma, où tout le monde se connaît, tout le monde se kiffe, sauf que comme dans toutes les familles, y a des squelettes dans les placards. Et là le squelette, il est énorme, il est en décomposition, il suinte et il sent la mort.

J’ai passé toute la soirée à attendre que quelque chose se passe, et il y en a eu, des moments forts. Le discours d’Aïssa Maïga qui a fait appel à plus de diversité dans le cinéma, Florence Foresti et ses punchlines bien senties…

Mais plus je voyais Polanski remporter des prix, plus je sentais que ça allait arriver, qu’il n’allait pas y avoir de happy end, que ce n’était pas les gentils qui allaient gagner, et que cette industrie bien pourrie allait continuer à le rester.

Pourtant, je suis de nature optimiste. Enfin, d’habitude. J’ai une vraie foi en l’être humain, en sa capacité à s’améliorer, à évoluer, à être fondamentalement bon. Tu me diras peut-être que je suis naïve et c’est sûrement le cas, mais je préfère être agréablement surprise, c’est un choix. Est-ce que je me voile la face ? Sûrement, oui.

Et quand le nom de Polanski a été cité pour le César de la meilleure réalisation, j’ai compris que je m’étais trompée. La gerbe, la honte : la haine.

Les César 2020 : l’incompréhension et la désillusion

Je ne comprends pas. Je sais bien que le monde n’est pas tout noir ou tout blanc, bon ou mauvais, tout ça tout ça. Je le sais. Mais comment, COMMENT peut-on se regarder dans la glace après avoir donné un prix PERSONNEL à un mec pareil ? A un pédophile, à un violeur, tel que lui ? Qu’est ce qui ne tourne pas rond ?

Comment peut-on se dire « oui, il mérite un prix pour son film, après tout il faut savoir séparer l’homme de l’artiste » ? Comme le dit Alix dans son article

: ce prix « c’est remercier et récompenser l’homme, le réalisateur, en personne. »

Dans quelle société je vis, là ? Comment est-ce que je vais pouvoir protéger ma petite fille de ces violeurs qui rôdent, comment je vais faire pour lui expliquer tout ça plus tard, quand elle sera un minimum en âge de comprendre ?

Pour tout le monde, la pédophilie et le viol, c’est mal. Aucune personne normalement constituée ne peut le contester. Alors pourquoi glorifier ce type ? Vraiment, je ne comprends pas.

Je ne suis pas de celles qui militent, c’est vrai. J’ai mes opinions, mes convictions, mais je ne les clame pas haut et fort, je prends position mais je ne m’exprime pas sur le sujet, ou peu. Mais ça, c’était avant cette cérémonie, c’était avant de voir que oui, malgré ces faits horribles, Polanski, a été récompensé.

Cette phrase qui ressort à chaque fois : « il faut séparer l’homme de l’artiste » me file la gerbe, j’ai plus envie de ne rien faire, j’ai plus envie de faire l’autruche, j’ai envie de péter des genoux, et que ça fasse du bruit quand ça craque.

Adele Haenel qui se barre après la nomination de Polanski : une révélation

La voilà, la vraie réaction à avoir ce soir-là et tous les autres soirs qui arriveront : arrêter de se taire, arrêter de faire semblant. Arrêter de faire comme si ce qui se passe n’est qu’une fatalité. Adèle Haenel a eu la meilleure des attitudes, et je regrette seulement que toutes ne l’aient pas suivie, en compagnie de Céline Sciamma, Aïssa Maïga, Leïla Slimani… Que toutes les femmes présentes se lèvent et se tirent, quel beau symbole ça aurait été.

Elle est la nouvelle figure de proue de ce mouvement, de ce ras-le-bol qui se tient face à cette haine de tout ce qui a le malheur d’être doté d’un utérus. J’aimerais avoir son courage.

Elle peut aujourd’hui, de par sa notoriété, faire en sorte que ses actions et ses paroles pèsent. Elle a les moyens de faire entendre sa voix, et de faire changer les choses. Du moins, je l’espère. J’espère que ça ne va pas retomber, je n’en ai pas envie. Je ne veux pas que ce qui s’est passé vendredi soir ne soit qu’un feu de paille, je veux que tout ça crame pour de bon.

Je veux qu’on arrête de revenir en arrière dès que les esprits se calment, je ne veux pas de paix. Je veux que ça flambe, tout simplement.

Le féminisme et moi : un combat que je dois apprivoiser

Je sais que je vais peut-être avoir des commentaires disant « c’est pas trop tôt pour se réveiller ». C’est peut-être pour ça que je ne me sentais « pas légitime » pour écrire cet article. Comme tu peux le lire, c’est brut, c’est sincère et personnel.

J’ai essayé de te dire ce que cette cérémonie puante a provoqué chez moi, étant une meuf habituellement calme qui déteste les conflits et les confrontations.

Je pense à toutes les associations qui luttent depuis des années pour faire entendre les paroles des victimes. Je pense à celles qui font passer ce combat avant tout, et ce bien avant cette cérémonie des César. Comme je le disais au début, je ne suis pas de celles qui militent, mais pas par manque d’envie. Je veux faire partie de celles qui s’expriment, moi aussi.

Comme le dit Virginie Despentes dans sa tribune sur Libération : « Désormais on se lève et on se barre ». Tu peux mettre ça sur le compte de mes origines corses qui ressortent quand je suis énervée, mais je rajouterai bien « Désormais on se lève et on se barre, ne venez plus nous faire iech, merci, bisous ». 

 

 


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