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Cinéma

Pourquoi le film BAC Nord fait-il polémique au Festival de Cannes ?

Un journaliste de l’AFP se fait rire au nez par Gilles Lellouche à Cannes. Comment en est-on arrivé là ? On vous explique la polémique autour du film BAC Nord.

Que serait le Festival de Cannes sans une ou deux polémiques sur les films présentés dans la Sélection officielle ? Pour ne pas déroger à cette règle, le film BAC Nord, présenté hors compétition, a soulevé des questions qu’un journaliste irlandais n’a pas hésité à partager avec l’équipe du film.

BAC Nord, réalisé par Cédric Jimenez, a été montré au Festival de Cannes lundi 12 juillet dans la soirée. Le film s’inspire de l’histoire des 18 policiers de la Brigade Anti-criminalité (BAC) des quartiers nord de Marseille mis en cause en 2012 pour des faits notamment de racket et trafic de drogue en bande organisée. Il met en scène Gilles Lellouche, François Civil, Adèle Exarchopoulos et Karim Leklou.

Une première question épineuse

Le lendemain de la diffusion, la traditionnelle conférence de presse a confronté l’équipe du film à une armée de critiques et leurs questions. Et dès la première, le démarrage a été fort !

Fiachra Gibbons, un journaliste irlandais pour l’Agence France Presse (AFP), a pris le micro pour dire que bien qu’il ait trouvé le film « super » et « très très fort », il a ressenti une gêne.

« Je me dis, ah oui peut-être que je vais voter Le Pen après ça », a-t-il déclaré. Le journaliste accuse le film d’être résolument du côté des policiers — alors même que leur procès n’est pas terminé — et de présenter les habitants de la cité comme « des bêtes ».

La première réaction de l’équipe du film a de quoi surprendre. Le réalisateur Cédric Jimenez fait les gros yeux, tandis que Gilles Lellouche ricane derrière son masque sans vraiment se cacher. On entend également d’autres rires dans la salle.

Une représentation récurrente en France

Le journaliste ne se démonte pas et argumente son point de vue :

« Peut-être que c’est une blague pour vous. Moi, je viens d’une cité en Irlande. C’est une vue qu’on a toujours dans les médias français, dans la presse française, que ce sont des zones qu’on ne peut pas passer, des zones hors-civilisation, des zones où il faut réimposer les lois françaises. Le film est super mais quand même il y a un problème là. J’étais gêné, vraiment gêné, et je n’étais pas le seul. »

Impossible de savoir si le ressenti de ce journaliste est justifié ou non (le film sortira en salles le 18 août prochain). Toutefois, c’est bien la réaction de l’équipe du film — particulièrement le réalisateur et l’acteur principal Gilles Lellouche — qui pose question. Les rires que l’on entend ont le goût amer de la condescendance. Un critique n’a-t-il pas le droit d’interroger un réalisateur sur ses intentions ?

« J’espère que Marine Le Pen ne va pas passer grâce à moi”

Cédric Jimenez finit par lui répondre tant bien que mal « J’espère que Marine Le Pen ne va pas passer grâce à moi, ça m’emmerderait

», commence-t-il toujours sur le ton de la rigolade. Il lui explique finalement qu’il n’est pas d’accord avec lui, qu’il a voulu montrer que le manque de moyens — du côté de la police et des associations — est une source de colère pour les deux parties.

« Je ne pense pas que le film soit là pour dénoncer les zones de non droit et attiser la colère, au contraire »

argue le réalisateur. Finalement, ce que reproche Fiachra Gibbons n’est pas au film de ne pas être bon (au contraire, il répète à plusieurs reprises qu’il l’a apprécié) mais plutôt de nourrir des lieux communs sur les banlieues, souvent représentée dans les films à travers la violence et la délinquance.

Une réponse trop facile

Ce à quoi Gilles Lellouche répond (toujours avec le sourire) :

« C’est une histoire inspirée de faits réels. C’est un western urbain avec tout ce que ça représente de mystification, de fictionnalisation et de cinéma. Ce n’est pas la réalité. »

Ce ne serait pas un peu trop facile de se déresponsabiliser et de se détacher de son sujet de la sorte quand justement le film parle d’un fait de société actuel ?

Camille Dupuy, docteur en cinéma et audiovisuel à l’université Bordeaux Montaigne explique cette idée dans un tweet qui a fait suite à la polémique : « C’est dingue comme certain·e·s qui font des films (ou des séries) n’ont pas encore compris qu’ils/elles nourrissent un imaginaire collectif. Peu importe que le film soit inspiré de faits réels ou non… il va forcément nourrir le regard du public sur le sujet traité. »

https://twitter.com/camilledupuy_/status/1415268757459644420

Un film est plus que l’intention de son réalisateur

Peu importe donc si c’était l’intention ou non de Cédric Jimenez de faire passer un message conciliant envers la police et ses agissements dans les quartiers nord de Marseille : si un spectateur l’interprète de cette façon, il en a le droit.

Un film est une œuvre que l’on reçoit lorsqu’on le regarde, mais dont les les spectateurs jouent aussi un rôle dans le développement. C’est avec cette même mécanique que des films comme The Room ou le Rocky Horror Picture Show deviennent cultes.

Oui, un journaliste est légitime à demander à un réalisateur s’il a conscience de répéter des schémas largement déjà vus dans d’autres films mais aussi dans de très nombreuses représentations de la banlieue à travers des reportages ou des émission télévisées par exemple…. Même si Cédric Jimenez dit très bien comprendre ce qu’il s’y passe car il vient de « ces quartiers-là » et qu’il avait « plutôt tendance à avoir des problèmes avec la police quand [il était] jeune ».

Il ne nous reste plus qu’à patienter jusqu’au 18 août pour nous faire notre propre avis sur la question ! Et en attendant, on peut toujours mater des films qui ont su se détacher des clichés sur les banlieues comme Les Misérables de Ladj Ly sorti en 2019 ou Gagarine, toujours visible en salles.

À lire aussi : Les Misérables représentera la France aux Oscars 2020


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

2
Avatar de Mijou
12 août 2021 à 09h08
Mijou
Le sentiment qu'a eu ce journaliste (et je trouve que ça a encore plus d'impact venant de quelqu'un d'un pays étranger), c'est celui que j'ai eu en voyant l'affiche et la bande-annonce (+ Gilles Lellouche en tête d'affiche )...
Et le message véhiculé par l'affiche et la bande-annonce, c'est ce que les producteur.ice.s (tout au moins) souhaitent marteler pour attirer le public.
Alors c'est vrai que ce n'est pas nécessairement la volonté du/de la réal (on l'a vu pour l'affiche Netflix de Mignonnes), mais dans le cas de BAC Nord (et encore plus maintenant que je sais que le procès n'est pas terminé ce qui fait du film une ingérence dans l'opinion public qui peut même être grave), ça fait trop d'éléments qui me font froncer le nez...
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