20. C’est le nombre de féminicides recensés par Nous Toutes depuis le début de l’année. Assia B., dont le corps démembré avait été retrouvé au parc des Buttes-Chaumont le 13 février dernier, est la 19ᵉ femme à être tuée en raison de son genre en 2023, selon le décompte du collectif féministe.
Ce n’est pas un fait divers
Son conjoint, Youcef M., avait signalé la disparition d’Assia B. le 6 février, soit près d’une semaine après l’avoir assassinée. Depuis, il faisait circuler des avis de recherche sur Facebook. Après la découverte du corps par des agents d’entretien du parc, le parquet avait ouvert une enquête pour « assassinat, atteinte à l’intégrité d’un cadavre et recel de cadavre » le 17 février. Très vite, les incohérences relevées dans le discours de Youcef M. l’avaient désigné comme suspect. Il avait été placé sous surveillance, puis en garde-à-vue, où il avait fini par avouer le 24 février 2023.
D’abord classée « fait divers », l’affaire était largement sensationnalisée à grand renfort de détails sordides. Mais plus la piste du féminicide se confirmait, plus le meurtre d’Assia B. semblait basculer dans une indifférence générale (et systémique).
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Le silence politique qui entoure les féminicides
Dans un article daté du 17 février, la journaliste de Mediapart Sarah Berthes dénonce le mutisme des politiques dans les affaires de féminicides, rappelant que la semaine où le corps d’Assia B. a été retrouvé, cinq femmes sont mortes aux mains de leurs conjoints :
En 2022, selon le décompte du gouvernement, ce sont au total 122 femmes qui ont été tuées, contre 102 l’année précédente, soit une hausse de 20 %. « Un Bataclan chaque année », comme le résument les militantes féministes. Alors non, on ne dira pas que l’exécutif ne fait rien. Création de places d’hébergement, lancement d’une mission parlementaire pour améliorer le traitement judiciaire des violences, mobilisation des forces de police et de gendarmerie, expérimentation de la prise en charge des auteurs de violences conjugales… Il fait. Mais trop peu, trop lentement, et avec des moyens insuffisants. En revanche, l’exécutif ne dit rien. Et ce silence est la preuve irréfutable de la faiblesse de sa volonté politique sur le sujet.
Sarah Berthes, Médiapart
La journaliste prend l’exemple de l’Espagne, qui, à l’inverse de la France, « nomme les choses ». Si les chiffres des féminicides n’y sont pas moins élevés, il y a un effort de la part des politiques de rendre visible les victimes et de montrer l’ampleur de cette violence :
En 2004, il y a près de vingt ans donc, le Parlement [espagnol] adoptait à l’unanimité la première loi d’Europe faisant du sexe de la victime une circonstance aggravante en cas d’agression. Depuis, les politiques de tous bords parlent de « violences machistes », là où notre ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, parle lui de « violences au sein du couple » et ne manque pas une occasion de rappeler que des hommes sont aussi victimes de ces violences… En Espagne, chaque féminicide bénéficie d’une grosse couverture médiatique. En Espagne, chaque féminicide est un événement.
Pourquoi, en France, un féminicide n’est-il pas un événement ? S’interroge la journaliste, qui note par ailleurs que la dernière prise de parole d’Emmanuel Macron à ce sujet remonte à la campagne présidentielle, au printemps 2022. L’année dernière, pourtant, ce sont 106 femmes qui ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint, selon les chiffres du collectif Féminicides par compagnon ou ex. Cela représente 72% des féminicides recensés en 2022 par Nous Toutes, qui estime par ailleurs que 102 enfants se sont retrouvés orphelins par féminicide l’année dernière.
Comme le rappelle le collectif féministe, Assia B. était, elle aussi, mère de trois enfants. Son meurtre porte donc à 18 (au moins) le nombre d’enfants devenus orphelins de mère suite à un féminicide cette année.
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La romantisation des féminicides
Rose Lamy, derrière le compte Préparez-vous à la bagarre, déplore par ailleurs un traitement médiatique qui romantise le féminicide d’Assia B., notamment dans la manière dont les propos de la défense de l’accusé sont relayés sans contextualisation ni nuance :
Un mécanisme qui ne fait, malheureusement, pas exception. L’association Osez le féminisme se bat notamment depuis de nombreuses années contre le terme de « crime passionnel » : « Nous souhaiterions aussi que les médias cessent de parler de crime passionnel, de mari jaloux et éconduit. Il faut en finir avec le mythe du crime romantique », expliquaient-ils dans une interview pour nos confrères de France 3.
Et Rose Lamy d’ajouter : « Si tout le monde a droit à une défense, il devient nécessaire de discuter de la fin et des moyens, de l’éthique, de l’intérêt général et du respect des victimes de violences sexistes ».
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Les Commentaires
Après, ça semble être surtout de la presse locale, avec parfois la recherche de sensationnalisme. Il faudrait peut-être que la presse nationale s'en empare davantage.