À quel moment l’imaginaire collectif a cessé de voir les gaines et les corsets comme des instruments de torture, pour les considérer désormais comme des pièces mode comme les autres ? Qu’on le pense soi-même ou non, et qu’on le veuille ou non, les sœurs Kardashian–Jenner et leur télé-réalité ont beaucoup à voir là-dedans. On les voit en effet porter dans leur émission ce genre de pièces à longueur de journée, que ce soit pour des séances de sport ou sous des robes du soir. Kim Kardashian en particulier en a même fait un business désormais évalué plus d’1 milliard de dollars : Skims.
Comment le shapewear est devenu à la mode
Pour les années 2020, on ne parle donc plus de gaines ou de sous-vêtements amincissants, mais de shapewear. Seulement, la réalité reste la même : le contrôle, la discipline du corps, en particulier des femmes. Et vu le succès de Skims par Kim Kardashian, toutes les marques ou presque lui ont emboîté le pas, y compris d’autres célébrités comme Lizzo avec Yitty, mais aussi des poids lourds de l’ultra fast fashion comme PrettyLittleThing, ce qui devrait nous inquiéter. Car le shapewear ne s’improvise pas, et peut même blesser lorsqu’il est vite fait, mal fait…
À ce sujet, le média britannique The Independent vient d’interroger Karolina Laskowska, créatrice de lingerie et directrice des archives de sous-vêtements du Underpinnings Museum (un musée en ligne dédié aux sous-vêtements) sur le dévoiement du shapewear. Historiquement, l’ancêtre du shapewear remonterait au XVIe siècle, pour soutenir le corps à la manière des soutiens-gorge contemporains, d’après l’experte :
« Le corsage était surtout là pour offrir un soutien du buste et du dos aux femmes qui travaillaient. Ces pièces se voulaient fonctionnelles et ergonomiques, plutôt que axées sur les tendances. »
Il faut attendre les années 1960 et l’invention du lycra pour créer les premiers tissus extensibles, et donc pouvoir passer d’une corseterie structurée de façon relativement rigide à des sous-vêtements élastiques. La première marque à connaître le succès grâce à ce type de produits serait la griffe britannique Silhouette, avec sa ceinture gainante « Little X Girdle ». Bien plus tard, l’entreprise états-unienne Spanx, fondée en 2000 cartonne tellement, qu’elle devient même synonyme de gaines dans une partie de l’imaginaire collectif.
L’abus de shapewear est dangereux pour la santé mentale et physique, à enfiler avec modération
Sauf qu’entre-temps, le rôle du shapewear consiste de moins en moins à soutenir le corps et de plus en plus à le contraindre à des idéaux esthétiques. Quand des marques contemporaines qui n’ont aucun savoir-faire en la matière s’y mettent, on risque donc de se causer des problèmes de santé, comme des soucis de circulation sanguine.
Victoria Kleinsman, experte en estime de soi également interrogée par l’Independent, voit de plus en plus de clientes lui faire part de pressions ressenties à l’idée de porter du shapewear pour afficher une silhouette tendance, comme s’il s’agissait d’un filtre Instagram pour la vraie vie :
« Cela arrive parfois au point où il fait affreusement chaud dehors, et elles portent quand même des vêtements en spandex, se sentent inconfortables, mais ont trop peur de ce que les gens pourraient penser de leur véritable silhouette. »
Selon elle, cette tendance peut causer des soucis de santé physique et mentale, à commencer par entretenir l’insatisfaction corporelle. Alors que les équivalents de la marque Skims pullulent auprès des pires marques en termes d’éthique, on peut donc s’interroger sur la popularité grandissante de ce genre de sous-vêtements et ses dérives.
Sans inviter à brûler toutes les gaines qu’on croise, on peut commencer par se rappeler qu’on ferait peut-être mieux de les réserver à des occasions très particulières comme un mariage, plutôt qu’au quotidien, au risque d’en faire le meilleur accessoire mode d’autosurveillance et de punition.
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