Productrice de Bridgerton, l’adaptation à succès des romans éponymes de Julia Quinn sur Netflix, Shonda Rhimes a pris les rênes de showrunneuse pour son spin-off, La Reine Charlotte, et ça se sent.
La série mère, composée de deux saisons, fonctionne sur le mode des contes de fée à la sauce Jane Austen : l’orgueil des personnages vient se mettre en travers de leur bonheur, jusqu’au dénouement attendu, le mariage. La Reine Charlotte vient combler les blancs du fameux “Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. En 1761, la série suit les péripéties du mariage arrangé entre Charlotte de Mecklembourg-Strelitz (India Amarteifio) et le Roi George III (Corey Mylchreest), tandis qu’en 1817, à l’époque de la série Bridgerton, une Reine Charlotte plus âgée (Golda Rosheuvel) fait face à une crise de succession après la mort de sa seule petite-fille légitime.
Ouvrir la voie
Inspirée par la théorie d’un historien sur les origines potentielles de la Reine Charlotte, Shonda Rhimes s’appuie sur le genre de l’uchronie – un principe de réécriture de l’Histoire dans la fiction – pour imaginer que la période de la Régence anglaise a été un tournant pour les droits des Noirs. Si la série Bridgerton prend place au cœur de cette société anglaise post-raciale, La Reine Charlotte nous raconte ce changement de paradigme, impulsé par le mariage interracial entre Charlotte et George. La double temporalité de la série permet de mesurer le chemin parcouru en un peu plus de 50 ans.
Pour que la cour accepte la souveraine métisse, la mère du roi, Augusta (Michelle Fairley) décide de tenter ce qu’elle appelle “la grande expérience”. Elle accorde des titres de noblesse à plusieurs riches familles noires, dont celle d’Agatha Danbury (Arsema Thomas), qui devient une dame de compagnie proche de Charlotte. Chacune à leur niveau, les deux jeunes femmes font face à l’énorme pression liée à leur statut de pionnières et de représentantes de la communauté noire. Elles doivent s’assurer que cette “grande expérience” ne s’arrête pas à leur génération. Le personnage de Charlotte fait écho à des figures contemporaines qui ont ouvert la voie, comme Barack Obama, premier homme noir à accéder à la présidence des États-Unis, en 2009. L’idée que les personnes métisses, de part leur double culture, ont le pouvoir de réconcilier les peuples traverse la série.
Grâce à son personnage principal à l’intersection des luttes (pour les droits des femmes et des Noirs), La Reine Charlotte aborde également en filigrane l’égalité femme-homme à travers les obligations et sacrifices de Charlotte, le choix du célibat de Lady Danbury ou encore la pression que subit Augusta de la part de l’exécutif.
La deuxième timeline se concentre sur l’amitié qui unit les versions âgées de Violet Bridgerton et Lady Danbury. Les deux veuves discutent de leur désir sexuel, un sujet invisibilisé dès lors qu’il concerne les personnes âgées. Experte en matière de séries chorales, Shonda Rhimes dépeint divers liens féminins avec une acuité remarquable, qu’ils soient teintés de rivalité ou de sororité.
L’amour, dans toute sa beauté et sa complexité
A l’instar de Bridgerton, la quête de l’amour romantique demeure le sujet phare de ce préquel. Si Charlotte et Georges ont la chance de tomber amoureux après leur mariage arrangé, Agatha subit depuis plusieurs années un mariage sans amour et des relations sexuelles obligatoires avec son mari. La mort prématurée de ce dernier lui ouvre les portes de la liberté. Plus jamais elle ne souhaitera se marier, ce qui ne l’empêchera pas de s’éprendre d’un homme. Shonda Rhimes explore l’intrication entre mariage et amour et propose différents modèles, sans jamais juger ses personnages féminins, qui se débattent dans une société patriarcale et hétéronormative.
Une romance réussie se doit d’être contrariée. Dans La Reine Charlotte, l’élément perturbateur ne vient pas de l’extérieur. Le bonheur du couple est rapidement assombri par la maladie mentale du roi, qui tente de cacher sa condition à sa femme. Il est prêt à tout pour guérir, quitte à souffrir le martyr aux mains de “docteurs” aux méthodes cruelles. La série aborde ainsi le sujet sensible de la santé mentale. Shonda Rhimes parvient à rendre cette histoire d’amour bouleversante, sans l’idéaliser.
Les très belles séquences romantiques alternent avec la terrible solitude de Charlotte. Le personnage tombe dans le syndrome de l’infirmière : c’est grâce à elle que George trouve un semblant d’équilibre dans sa vie et réussit à se maintenir au pouvoir. Elle est son roc, mais elle ne peut souvent compter que sur elle-même.
L’histoire d’amour secrète du couple formé par les valets Brimsley et Reynolds, résonne avec celle du couple royal. On n’est pas prêts d’oublier la scène de danse entre les deux amants, qui se termine par un saut dans le temps où Brimsley danse seul… Ce premier couple LGBTQ+ de l’univers de Bridgerton, construit avec autant de soin et de moments de grâce que les autres, vient enrichir ce grand thème de l’amour dans toute sa diversité. La saison 3 de Bridgerton, attendue dans les prochains mois, aura fort à faire pour se hisser à la hauteur de cette passionnante Reine Charlotte.
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