Il y a quelques mois, lors d’une interview avec Cécile Doherty-Bigara, l’autrice de l’excellent livre Nouvelle mère — pour un article sur le sacrifice maternel — elle m’a dit quelque chose qui m’a beaucoup marquée.
« La parentalité n’est pour l’instant pas considérée comme quelque chose d’intéressant, même par les parents ! On a souvent une petite voix à l’intérieur de nous qui dénigre notre parentalité, on la garde dans une boîte, un peu comme si c’était “le truc chiant qui n’intéresse personne”. »
Touchée. Moi aussi, j’ai cette petite voix à l’intérieur de moi qui fait que j’évite de parler de mes aventures de mère à d’autres personnes, et encore plus si elles n’ont pas de jeunes enfants. Même au sein de la rédac de Madmoizelle, avec mes collègues, j’ai tendance à balayer vite la question comme si c’était un sujet secondaire, ou à faire des blagues dessus, comme si je voulais prouver (à qui ?) que j’ai de l’autodérision et que je ne suis pas une « mamoune » ou une « meuf chiante » en boucle sur les stades de développement de l’enfant.
Le comble, c’est que la parentalité est l’un de mes domaines d’expertise, puisque j’écris dessus au quotidien, au même titre que le féminisme ou l’égalité professionnelle ! Mais, en arrière-plan, j’ai toujours une petite voix dans la tête qui me répète :
« Quand même, tes histoires de parent référent, d’accouchement physiologique ou d’allaitement, tout le monde s’en fiche, c’est pas très intéressant. »
Alors que si j’arrivais à faire fermer son clapet à cette petite voix deux minutes, je pourrais réfléchir et reconnaître que ce sont des sujets passionnants, et pas uniquement pour les parents : parce qu’ils sont politiques.
Réfléchir sur l’éducation, c’est réfléchir à la société dans laquelle nous voulons vivre
Pourquoi est-ce que, toute féministe que je suis, je bloque à l’idée de mettre des robes à un futur petit garçon ? Pourquoi je répète trois mille fois par jour à ma fille qu’elle est trop belle ? (Et est-ce que je ne devrai pas arrêter, tiens, d’ailleurs ?)
Pourquoi est-ce que je dis spontanément à ma fille « c’est pas grave » quand elle tombe ? Parce que je l’ai moi-même entendu petite ? Parce que je veux me rassurer moi-même d’abord ? Est-ce que je pourrais lui dire autre chose, qui tiendrait mieux compte de ses émotions ? Et quoi ?
Quand je la force à se moucher avec une pipette de sérum physiologique et qu’elle hurle comme si on l’exorcisait, est-ce que j’ai raison de continuer à le faire ? Et quand je suis sur mon portable plutôt que de jouer avec elle, est-ce que c’est mauvais pour elle ? Pourquoi certains adultes pensent-ils que c’est OK de lui faire un bisou même si elle n’a pas l’air d’en avoir envie ? Pourquoi est-ce que dès qu’elle joue avec un petit garçon, on lui dit que c’est son amoureux ?
Toutes ces questions sur l’éducation que je me pose — et que des milliers de mères (et de pères j’espère) se posent — sont importantes, non ? Elles façonnent les enfants, et plus largement, la société dans laquelle nous voulons vivre.
Parentalité et féminisme sont des sujets beaucoup plus liés qu’on ne l’imagine
S’interroger sur l’éducation que l’on a reçue, celle que l’on veut donner (ou qu’on s’imagine donner dans le futur) (ou dans une réalité parallèle où l’on aurait des enfants), c’est bien réfléchir à ce que l’on veut transmettre aux générations futures.
Sans oublier que pas mal de sujets liés à la parentalité sont des sujets féministes : qui dit accouchement dit violences obstétricales, qui dit allaitement dit injonctions et sexualisation du corps, qui dit congé parental dit répartition genrée des rôles… Et je pourrais continuer cette liste longtemps.
Et puis, comme le démontre brillamment la militante et essayiste Fiona Schmidt sur son compte Instagram @bordel.de.meres
, les injonctions liées à la maternité pèsent sur toutes les femmes, même celles qui ne veulent pas d’enfant. Elles seront, elles aussi, suspectées de maternité pendant leur trentaine et potentiellement discriminées dans le monde professionnel. Surtout, on les jugera pour leur choix de vie.
S’emparer des sujets liés à la maternité (pour déconstruire les injonctions, pas pour dire que c’est le seul chemin valable), c’est ainsi mener un combat pour la liberté des femmes, qu’elles soient ou veuillent devenir mères ou non.
En fait, même des sujets anodins et consensuels comme « ma fille a goûté sa première banane » peuvent déboucher sur des débats intéressants. Est-ce que vous l’avez laissée attraper des morceaux de banane seule pour se nourrir ou vous lui avez filé une compote ? Est-ce que vous vous êtes sentie obligée de faire cette compote plutôt que de l’acheter parce que dans l’imaginaire collectif c’est ce que fait une « bonne mère » ? Et tant pis si cette bonne mère a par ailleurs des semaines de boulot de 40 heures et que son mec ne pense jamais à racheter des couches avant la fin du paquet ! Mais je m’égare…
Pourquoi pense-t-on que la parentalité est un sujet chiant ?
Alors, pourquoi pense-t-on que la parentalité ou les enfants c’est un sujet chiant ? Je n’ai pas de certitudes, mais plusieurs pistes de réponses.
Déjà, je crois que la grossesse, le post-partum puis la petite enfance sont des périodes où l’on est confronté à des sujets triviaux, très liés au corps. La fête des fluides et des excréments, en quelque sorte. Pas exactement LE sujet glamour et intellectuel par excellence. Et puis la grossesse et l’accouchement nous renvoient aussi à notre condition de mammifères, et nous forcent à renouer avec le côté encore très animal de nos corps (la production de lait, les hormones…) : ça aussi, ça doit participer à cette tendance à vouloir garder à distance ces sujets-là, à les placer dans le domaine de l’intime.
Ensuite, si la parentalité est vue comme un truc chiant, c’est surtout à cause du patriarcat. (Qui est surpris ? Personne !). Les soins et l’éducation des enfants étant encore une responsabilité qui incombe majoritairement aux mères, c’est donc un « truc de meufs », et, comme tous les trucs de meufs, un sujet dévalorisé.
Assez logiquement, comme les mères se cognent la majorité du travail parental, qu’elles ont des congés maternité plus longs et qu’elles prennent la quasi-totalité des congés parentaux, il n’est pas très étonnant qu’elles soient les seules à être confrontées à des sujets autour de l’éducation. Elles sont aux premières loges, et n’ont pas le choix que de s’informer et de réfléchir à ces questions pour trouver des solutions. Les hommes, eux, ont le loisir de ne pas s’y intéresser.
Et puis, les professionnelles du secteur de la petite enfance et ensuite de l’éducation sont des femmes en très grande majorité. Un domaine dans lequel les expertes sont majoritairement des femmes peut-il avoir autant de crédibilité qu’un autre ?
Cécile Doherty-Bigara pointait aussi un facteur explicatif intéressant :
« Dans le monde spirituel comme politique, les personnes qui construisent notre société n’ont pas d’enfant ou se sont désinvesties de l’éducation des leurs. Donc il y a un vrai angle mort sur cette question-là. »
Survalorisation de la maternité et manque de nuances
L’autre aspect de la question à prendre en compte, c’est que pendant longtemps, la maternité a représenté une forme d’aliénation pour les femmes (et d’une certaine manière, elle l’est encore, même si l’on a plus d’options afin d’éviter des naissances non désirées). Le combat féministe s’est donc plutôt concentré — et à raison — sur comment libérer les femmes de la maternité.
Le revers de la médaille, c’est que les sujets liés à la parentalité ont parfois été laissés de côté dans les cercles militants, ou vus comme moins importants, voire suspects (réclamer un congé maternité plus long, est-ce que ce n’est pas antiféministe finalement ?).
De l’autre côté, la société valorise toujours énormément l’idée de la maternité comme seul moyen d’être une femme accomplie. Or, si l’on porte aux nues la maternité, quelle place laisse-t-on à l’ambivalence ? Si le seul discours possible, c’est : « ohlalala c’est merveilleux, le plû bô jour de ma vie, cet amour inconditionnel », oui, forcément, c’est chiant et gnangnan la parentalité vue comme ça.
Heureusement, des voix dissonantes, comme celle de Cécile Doherty-Bigara, émergent ces dernières années, et j’espère que dans leur sillage, la parentalité va devenir un sujet de discussion aussi intéressant et important que les autres. Surtout, qu’il ne restera pas cantonné aux cercles de mères, parce que des échanges intéressants peuvent naître avec des pères et d’autres personnes qui n’ont pas d’enfants.
Pour ça, il faut que l’on arrête les postures et petites phrases bateaux du style : « tu comprendras quand tu auras des enfants », et qu’on essaye vraiment d’échanger sur ce sujet bien plus passionnant qu’il n’y parait.
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Les Commentaires
Si je me recentre sur le sujet en cours, on est nombreux je pense à avoir reçu une éducation avec une ou deux, ou plus, gifle ou fessé. Hors on est nombreux à lutter contre le discourt "j'ai reçu une gifle dans ma vie et je n'en suis pas mort". Bref l'expérience personnelle à toujours ses limites, et dotant plus je pense quand c'est une expérience "ancienne" car forcément les choses ont évoluées. Autre exemple les grands-parents qui peuvent parfois tenir des propos problématiques alors qu'ils parlent "d'expérience". Entre les "il faut les laisser pleurer" et autre remarques dans le même genre... Les connaissances évoluent et donc les façon de faire également.