« Quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé. »
Voici les propos qu’Emmanuel Macron a tenus (après l’agression par la police de Michel Zecler, producteur de musique noir) lors de son interview Brut du vendredi 4 décembre 2020. Alors que le président semblait découvrir une réalité dénoncée depuis des années par les acteurs du terrain, la question se pose : réelle prise de conscience ou un vœu pieux ?
Le problème du contrôle aux faciès n’est pas nouveau : ces dernières années, les gouvernements successifs ont évoqué le sujet… sans jamais y remédier. Face aux atermoiements politiques, six ONG ont choisi de lancer une action de groupe contre l’État : du jamais vu dans la lutte contre le racisme en France.
Une action inédite face au racisme systémique
Dans un communiqué, six ONG annoncent avoir adressé une mise en demeure au gouvernement « afin que les autorités françaises prennent des mesures concrètes pour que cessent ces pratiques discriminatoires systémiques par la police. » Un moment inédit car jusqu’ici comme le rappelle Mediapart, ce type d’action n’a jusqu’ici été utilisée que par des organisations syndicales, et non pour lutter contre le racisme.
Parce que le nombre fait la force, on retrouve à l’origine de cette initiative Amnesty International France, Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS), Pazapas, Réseau – Égalité, Antidiscrimination, Justice – interdisciplinaire (Reaji), Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative.
Via cette mise en demeure de 350 pages, trois ministres sont visés : Jean Castex, Premier ministre, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice. Et il leur est demandé d’engager des réformes nécessaires pour mettre fin au contrôle au faciès.
Cela passe, pour les ONG, par une modification du code de procédure pénale pour « interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d’identité » ou encore « la mise à disposition de toute personne contrôlée d’une preuve de contrôle », sur le modèle du récépissé.
Des propositions qui sont loin d’être nouvelles car cette l’aspect raciste du contrôle au faciès est dénoncée depuis des années.
Le contrôle au faciès, le symbole d’un racisme systémique
Dans la rue, nous ne sommes pas égaux face à la police — « encore plus quand on est un garçon, parce qu’on est identifié comme étant un facteur de risque, de problème, et c’est insoutenable
», a déploré le président de la République, toujours chez Brut.
« Insoutenable », c’est une manière de qualifier la pratique des contrôles au faciès… mais elle est également ancienne, désuète, contre-productive et surtout raciste. En effet, la Cour de cassation, en 2016, avait donné raison à des plaignants africains au sujet de contrôles injustifiés parfois associés à des insultes : l’État a été condamné pour faute lourde car « un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire.»
L’avocat Slim Ben Achour, qui a obtenu cette victoire, avait affirmé à Jeune Afrique :
« [Le contrôle au faciès] est une pratique inutile, qui prend beaucoup de temps, dangereuse pour les personnes contrôlées comme pour les policiers. Et ça coûte cher : toute cette activité pourrait être réorientée dans la formation des policiers, la lutte contre le racisme, la protection des femmes. »
En parallèle, le Défenseur des droits n’a de cesse de répéter que le contrôle au faciès est une réalité au vu des études et qu’il faut que les contrôles d’identité s’accompagnent d’une traçabilité. En somme, un récépissé.
Et ce n’est pas le seul à aboutir à cette conclusion : les enquêtes sociologiques qui se succèdent sur le sujet soulignent exactement la même chose, à savoir que les contrôles d’identités sont discriminatoires. Récemment, une étude menée par le sociologue du CNRS Sébastian Roché montrait que les adolescents issus des minorités africaines se font plus souvent contrôler que les autres.
Une pratique précoce qui a forcément un impact sur le comportement de ces jeunes face aux forces de l’ordre. C’est ainsi que s’installe une relation de défiance, comme le précise là encore Maître Slim Ben Achour :
« Les contrôles illégaux à répétition finissent, à un moment donné, par poser un problème de violence. Soit parce que la personne contrôlée commet une infraction, vraie ou fausse, souvent pour outrage ou rébellion. Soit parce que les policiers se sentent autorisés à outrepasser le droit, et font subir humiliations, racismes et homophobies aux personnes contrôlées. »
Cette situation a été dénoncée par des instances nationales, des rapports d’ONG ou encore des statistiques, sans action concrète du côté de l’État. Et rappelons que cette inaction n’est pas l’apanage du gouvernement actuel, mais des politiques de tout bord qui partagent la responsabilité des contrôles au faciès racistes.
Face à la prise de conscience au sujet des violences policières, de plus en plus médiatisées depuis le mouvement des gilets jaunes, la relation entre les policiers et les citoyens se détériore : selon une étude de l’institut Elabe publiée fin 2020, 60% seulement des Français et Françaises ont confiance en la police, un chiffre en baisse car ils étaient 69% six mois avant.
Afin d’éviter que cette tendance ce confirme, réformer est une des solutions. Désormais avec cette procédure historique, l’État doit répondre dans les quatre mois qui suivent ; faute « de réponses satisfaisantes », les ONG saisiront la justice. Un procédé qui, nous l’espérons, mettra peut-être fin à l’aveuglement délibéré du gouvernement.
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