La reine Elizabeth II est décédée le 8 septembre dernier. Son fils, le prince Charles, lui succède et devient désormais le roi Charles III. Le décès de la souveraine britannique a provoqué tout autour du monde de vives et nombreuses réactions d’émotions. Des images, relayées sur les chaînes de télé, montraient les visages défaits, couverts de larmes d’inconnus se recueillant sur le parvis de Buckingham Palace. Comment expliquer l’attachement à la reine Elizabeth II ? Pourquoi sa mort a-t-elle affecté tant de personnes, de façon plus ou moins intense ? Quelles différences existe-t-il dans la façon dont nous vivons sa disparition, en Angleterre ou ailleurs ? Didier Courbet, professeur de sciences de la communication à l’université d’Aix-Marseille, spécialiste de la psychologie des médias et de l’étude des fans répond à toutes nos questions.
Madmoizelle. Comment expliquer l’attachement aux célébrités, alors qu’on ne les connait pas ? Pour certaines personnes, leur mort est une expérience parfois intense…
Didier Courbet. On distingue quatre modes d’attachement aux célébrités.
Il y a d’abord l’identification, dans lequel on construit sa propre image, sa propre identité en fonction de ce que l’on croit être la célébrité, ce que l’on perçoit d’elle. L’âge joue un rôle déterminant. Ce n’est pas le cas le plus répandu en ce qui concerne la reine Elizabeth II : étant donné son âge avancé, seules les personnes âgées pouvaient s’identifier à elle.
On observe ensuite l’interaction parasociale qui consiste à considérer la star comme étant quelqu’un de très proche : une grand-mère, une mère, un ami… Ça peut être tout à fait le cas de la reine. On peut être aussi triste que si l’on perdait une personne de sa famille.
Le troisième mode consiste à associer la célébrité à des moments de sa propre vie. Souvent, les fans disent avoir l’impression que quand la star meurt, une partie de leur vie s’en va aussi ; par exemple, leur enfance. Ce décès provoque une grande nostalgie par rapport à son propre passé. Ce mode d’attachement me semble central quand on parle de la reine. Beaucoup de personnes disent : « Je l’ai toujours connue », « C’était mon enfance », « Je l’ai toujours vue à la télé, avec mes parents… »
Enfin, il existe un quatrième mode, surprenant : la célébrité fait le lien entre soi-même et une personne de son entourage proche. Souvent, l’attachement à une star renferme l’attachement à une personne proche, comme un parent. De nombreux Anglais m’ont par exemple confié dans le cadre d’enquêtes que le décès de la reine leur rappelait celui de leur mère, qui adorait la reine, ou encore qu’ils ont immédiatement appelé leur grand-mère, fan d’Elizabeth II, en apprenant la triste nouvelle.
Quels sont les autres points caractéristiques de la façon dont est vécue la disparition de la reine Elizabeth II ?
La reine est associée à une problématique nationaliste, que l’on n’a pas avec des célébrités classiques, des acteurs ou des chanteurs. Elle représente un pays et une monarchie. Les enquêtes que l’on mène actuellement révèlent que l’impact est très différent en France et en Angleterre.
Les Français sont plutôt dans les réactions personnelles que je viens de décrire. En revanche, en Angleterre, la reine symbolise souvent l’amour de la patrie, de la morale et des valeurs anglaises. Les rois et les reines sont un véritable mythe construit par l’Angleterre pour fédérer, avoir une culture commune. C’est pour cette raison qu’il faut immédiatement un nouveau roi incarnant à son tour la tradition. C’est aussi pour cela que l’on assiste à ces cérémonies composées de gestes ritualisés ou de costumes traditionnels, rattachés à l’ancien temps.
Selon vous, la longévité de la reine Elizabeth II a-t-elle joué un rôle déterminant dans l’impact qu’a eu sa mort, et en fait un cas particulier parmi les décès de personnes célèbres ?
Bien sûr. Déjà, mathématiquement, le fait qu’elle soit âgée fait que beaucoup de personnes la connaissent et sont attachées à elle. Ensuite, Elizabeth II a l’image d’une reine solide sur le plan psychologique et de la santé. En cela, elle incarne la protection du pays depuis des décennies. Elle relie les Anglais avec leur passé, leurs valeurs anciennes, leurs traditions d’autrefois.
Pensez-vous que la série The Crown a joué un rôle dans la représentation médiatique de la reine et la construction de son image ?
Des études ont été menées sur ce sujet en Angleterre. Elles ont révélé que les Anglais avaient réagi à la série en fonction de leur opinion sur la monarchie. C’est ce qu’on appelle une interprétation sélective. Ceux qui étaient pour la reine ont plutôt vu des choses positives dans la série, même s’ils ont pu être surpris négativement par certains aspects. Ceux qui étaient relativement contre la monarchie ont également été renforcés dans leur point de vue. Chacun campe sur ses positions. Mais dans les deux cas, il est certain que la série contribue au mythe.
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Crédit de l’image à la Une : capture d’écran Youtube
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