Sortir en lingerie comme s’il s’agissait d’une tenue de ville ordinaire ? C’est une proposition mode récurrente de ces dernières saisons du côté des marques de luxe qui défilent lors des fashion week. La tendance s’est encore accentuée durant ce dernier fashion month pour le printemps-été 2023, si bien que le New York Times a titré sur le phénomène de « s’habiller dénudée » :
« Il y avait 333 % plus de jupes taille basse et 78 % plus de pantalons taille basse sur les podiums du printemps 2023 qu’il n’y en avait au cours de la même saison il y a un an (qui était elle-même annoncée comme la plus dénudée de l’histoire récente), avec plus 15 % de lingerie visible et plus 10 % de vêtements transparents, selon Alexandra Van Houtte, la fondatrice de Tagwalk, un moteur de recherche de mode. »
Sortir à moitié nue, une tendance mode expliquée en partie par la pandémie et #MeToo, vraiment ?
Un effet pandémie expliquerait en partie cette tendance : durant les confinements, on aurait pris goût au confort de rester chez soi en jogging, pyjama, ou même en simple culotte. Certaines personnes en ont même profité pour sculpter leur corps, qu’elles affichent désormais fièrement, une fois déconfinée, dans des vêtements moulants, transparents, ou à peine présents.
À cela s’ajoute la tendance Y2K, à savoir la résurgence de certains gimmicks populaires dans les années 2000, comme la taille basse et le baby-tee (t-shirt beaucoup trop petit qu’il semble piqué au vestiaire des bébés).
Cette tendance à l’effeuillage sur les podiums s’expliquerait aussi par un effet post-#MeToo de repolitisation du corps féminin, surexposée aux violences sexistes et sexuelles, et en prise avec des lois liberticides concernant les droits reproductifs. À cet égard, Einav Rabinovitch-Fox, autrice de Dressed for Freedom: The Fashionable Politics of American Feminism et professeure d’histoire à la Case Western Reserve University, compare les années 2020 aux années 1920, auprès du New York Times :
« Il y a une longue histoire de femmes qui revendiquent leur propre sexualité à travers des vêtements sexy. Rappelons les années 1920 lorsque les robes « flapper » ont exposé leurs jambes. C’est quelque peu différent cependant aujourd’hui. »
Le selfwear : s’habiller pour l’extérieur en lingerie, non pour le male gaze, mais pour soi
La différence majeure aujourd’hui tiendrait dans la volonté d’exposer son corps pour soi, plutôt que pour le male gaze (même si les 3/4 des designers qui font défiler leurs collections aujourd’hui sont des hommes…), selon la critique mode du New York Times, Vanessa Friedman. Il s’agirait donc d’une manifestation d’amour-propre, pourvoyeuse de puissance, un manifeste d’autodétermination écrite à même la peau, et non d’une tentative de séduction, d’après le New York Times.
L’anthropolinguiste de la mode, Saveria Mendella rejoint le grand quotidien étasunien quand elle désigne cette nouvelle nudité proposée par les podiums comme du « selfwear » qu’elle définit ainsi sur son compte Instagram :
« C’est le grand retour du sens dessus dessous. On s’habille pour soi, comme on veut, quand on veut. Bienvenue dans l’ère du selflove, ambiance confortable, mais sexy : selfwear. La mode explore la notion d’extimité. Les sous-vêtements s’affichent fièrement tels de véritables vêtements de dessus. »
Ainsi, même lorsqu’il s’agit de corps baleiné esprit corset, le but du sous-vêtement qui s’affiche en extérieur servirait à sculpter le corps de façon confortable, avec des armatures apparentes pour montrer qu’il n’y a pas volonté de dissimuler, mais bien d’afficher qu’on a un corps augmenté.
Une tendance sens dessus dessous qui risque peu de descendre dans la rue
Mais voilà, derrière les beaux discours en anglais ou en franglais qui tentent d’intellectualiser le corps dénudé des femmes sur les podiums, on peut se demander qui ose, qui peut vraiment se permettre, et surtout qui a envie d’adopter ce genre de tendances mode. Que ce soit au lycée, à la fac, ou au bureau, rares sont les espaces qui acceptent tous les styles vestimentaires. En l’occurrence, il y a peu de chances que le selfwear soit perçu comme une tenue professionnelle suffisamment correcte.
Ajoutez à cela l’épreuve du réel : même durant les confinements, le harcèlement de rue a continué. On observe globalement un violent retour de bâton depuis l’explosion médiatique de #MeToo il y a 5 ans, qui a libéré la parole sans forcément libérer l’écoute, ni punir les agresseurs. On a beau savoir que l’on est jamais responsable des violences que l’on subit, qu’aucune tenue ne provoque de harcèlement ou pire, que même un vieux jogging ne suffit pas à dissuader de potentiels agresseurs, reste que dans la vraie vie, on a vite fait de se sentir moins serins dans certains habits plutôt que d’autres. Et les sous-vêtements apparents en font partie pour beaucoup de personnes. Un string apparent n’est jamais une invitation à quoi que ce soit, mais il n’empêche que les plus sexistes tirent sur cette ficelle pour en tirer des conclusions regorgeant de slutshaming.
Les stars se le permettent sans doute parce qu’elles ont des chauffeurs privés et gardes du corps qui garantissent leur sécurité dans l’espace public, un peu comme Rihanna qui sort souvent en brassière. Pour le commun des mortels, c’est rarement le cas.
En revanche, si l’envie vous prend, il est toujours possible de s’essayer à cette tendance mode dans ce que l’on considère être des safe places personnelles (des endroits où l’on se sent en sécurité), qu’il s’agisse d’une soirée entre amis, amoureux ou amoureuses, ou même en famille. De quoi éviter que cette tendance mode ne soit vécue comme une injonction à se dénuder.
À lire aussi : La mode s’invite aussi à la COP27 pour se confronter à son propre greenwashing
Crédit photo de Une : Chanel, Dior, Burberry, Alberta Ferretti, et Coperni.
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires