« J’avais besoin de prouver à tout le monde que c’était possible : que je pouvais avoir une grossesse physiologique. Je suis fière d’avoir offert à mon bébé une naissance libre alors qu’il serait né par césarienne. » Ce sont les mots de Marion D., qui a accouché sans assistance chez elle, il y a moins d’un an. L’Accouchement Non Assisté (ANA) est différent de l’Accouchement Accompagné à Domicile (AAD) : il a lieu volontairement sans la présence d’une personne soignante, tandis que les AAD sont accompagnés d’une sage-femme.
Même s’il est techniquement légal car une personne qui accouche peut le faire n’importe où et avec n’importe qui, il est vu d’un très mauvais œil par les institutions médico-sociales. On se souvient notamment du scandale du placement de deux enfants en Bretagne en juin dernier, car leur mère avait fait ce choix.
Malgré les risques légaux, et ceux d’être à distance d’une maternité ou d’une personne soignante si des complications arrivent durant l’accouchement, de plus en plus de personnes font ce choix. Ainsi, le groupe Facebook Enfantement Autonome et Accouchement Non Assisté rassemble plus de 5 300 membres. Certaines personnes partagent même librement leur expérience sur les réseaux, comme Marion Calmel, qui a accouché il y a deux ans chez elle en Ariège.
Elle raconte à Madmoizelle que cet accouchement a été le fruit d’une longue préparation :
« J’ai beaucoup lu sur le sujet et ma femme aussi, on a suivi un séminaire, écouté des podcasts. Nous avions confiance, à la fois dans ma capacité à le faire, mais aussi dans sa capacité à tenir le rôle qu’elle allait tenir. On s’était dit que si à un moment l’une d’entre nous avait des doutes, on allait à l’hôpital. »
Mais elles n’en ont pas eu besoin : après 5h de contractions seulement, leur enfant naît dans leur chambre à coucher :
« C’était trop beau, un moment suspendu. On avait bien chaud, on n’avait pas de néons d’hôpital dans la tronche, on était trop bien. »
Pas de sage-femme pour accompagner
« On reçoit plusieurs fois par mois des appels de personnes en détresse, car ne trouvant pas de sage-femme pour les accompagner à domicile, et qui se trouvent contraintes à un choix entre hôpital et ANA, qui pour beaucoup n’en est pas vraiment un », affirme Laura, présidente du Collectif de Défense de l’AAD, un collectif de personnes usagères. Tous les ans, le collectif, épaulé par l’APAAD, l’association des professionnels de l’AAD, effectue un recensement des refus d’accompagnement d’AAD. « 25% des personnes répondantes à qui on a refusé un accompagnement se tournent vers l’accouchement non assisté. C’est un chiffre énorme qui nous alerte beaucoup, car on l’interprète comme un choix par dépit face au manque d’accompagnement médical adapté. »
C’est ce qui est arrivé à Marion D. : elle a essuyé les refus de trois plateaux techniques, d’une maison de naissance, de cinq sages-femmes AAD, « et quand je suis allé voir la maternité respectueuse de la physiologie que l’on me conseillait, le gynécologue m’a proposé une péridurale et un monitoring en continu. »
Trouver une sage-femme qui sera disponible pour accompagner un AAD relève du parcours du combattant : il faut déjà s’assurer que parmi moins d’une centaine d’entre elles qui pratiquent l’accompagnement à domicile en France, l’une d’elles sera disponible pour être d’astreinte à sa date de terme, et pas trop loin de chez soi afin qu’elle puisse se rendre sur les lieux du travail à temps. Isabelle Koenig, co-dirigeante de l’APAAD, explique que face à la demande grandissante, elle se retrouve obligée de refuser un grand nombre de personnes patientes. Lorsque Madmoizelle l’appelle, elle a parcouru plus de 800 km en trois jours pour accompagner quatre enfantements, et n’a quasiment pas dormi. « J’accepte de prendre cinq familles par mois, je couvre plusieurs départements et pourtant je dois refuser les trois quarts des demandes. » La situation est la même pour ses collègues : « Une patiente que j’accompagne a appelé 200 sages-femmes avant que j’accepte sa candidature. »
« Dans le droit, les sages-femmes sont libres d’exercer à domicile, mais aujourd’hui la politique ne leur est pas favorable », explique Laura du CDAAD. La loi Kouchner de 2002, qui décrit entre autres le concept de consentement éclairé, oblige aussi les sages-femmes à obtenir une assurance responsabilité professionnelle et civile. Aucune loi ne régule le prix des assurances pour l’accompagnement à domicile, et la plupart s’élèvent aux alentours de 30 000 euros par an, soit le salaire annuel moyen d’une sage-femme.
Une culture du risque
Le manque de sages-femmes est l’un des motifs, mais loin d’être le seul facteur de refus d’AAD pour les personnes qui le demandent : il faut une grossesse parfaitement physiologique pour y avoir accès, ce qui inclut, entre autres, un bébé en présentation normale, une grossesse unique, et pas d’antécédent de césarienne.
Ces trois critères ne font pas l’unanimité ailleurs en Europe et aux États-Unis, où l’on peut voir des jumeaux et des bébés en siège naître à domicile. La présidente du CDAAD explique :
« En France, l’obstétrique est fondée sur une culture du risque : on sort de trois décennies d’hyper-médicalisation de la naissance qui ont laissé des marques dans les esprits et les pratiques médicales. Un accouchement est considéré comme normal a posteriori, lorsque le placenta a été expulsé. Dans l’imaginaire collectif, un accouchement peut se finir dans un bain de sang à tout moment, alors que 80% des accouchements sont sans risque. »
Israël Nisand, professeur de gynécologie obstétrique et ancien président du Conseil National des Gynécologues-obstétriciens, déclarait ainsi sur France Culture en 2021 :
« C’est pour moi un danger pour soi et pour l’enfant que d’accoucher à domicile, même si on y est aidé. Un enfant peut naître en état de mort apparente sans qu’il n’y ait eu quoi que ce soit pour le prévenir, des complications hémorragiques peuvent voir le jour. »
Pourtant, les accouchements accompagnés à domicile présentent sur certains aspects moins de risques que les accouchements à la maternité. Sur le site de l’APAAD, on voit ainsi qu’il y a un risque moindre d’interventionnisme médical, un taux d’épisiotomie quasiment nul, mais également un risque moindre de liquide amniotique teinté, d’hémorragie de la délivrance, et de détresse fœtale, « même si il n’y a jamais de risque zéro durant un accouchement, à domicile comme ailleurs », souligne Isabelle Koenig.
Face à la question de la sélection des candidatures, la co-dirigeante de l’APAAD comprend le désarroi des familles rêvant d’un accouchement physiologique et qui se voient retirer cette opportunité : « En France, les personnes soignantes se risquent beaucoup moins à accepter des naissances de bébés en sièges et de jumeaux par voie basse, et leur préfèrent souvent une césarienne. De mon côté, j’accepte les AVAC [ndlr : accouchement par voie basse après une césarienne], s’il n’y a pas de contre-indication », ce qui reste une exception rare par rapport à ses collègues.
C’est précisément ce qui est arrivé à Marion D, qui, avec ses antécédents, s’est vu refuser un accompagnement après l’autre :
« J’avais tout combiné pendant ma première grossesse : jumeaux, cholestase gravidique, pré-éclampsie et césarienne. Au vu de mes antécédents, même si ma deuxième grossesse se passait bien, personne ne voulait prendre le risque de m’accompagner à la maison. »
Un refus de l’interventionnisme et des violences
Face au manque de sages-femmes pour accompagner leur projet physiologique, les personnes futures parturientes se retrouvent face à un choix difficile : accoucher dans un environnement hyper médicalisé qui ne répond pas à leurs attentes, ou potentiellement risquer de devoir arriver en urgence à l’hôpital si une complication survient. « J’ai eu beaucoup plus mal que ce que je pensais », avoue Marion D., pour qui tout ne s’est pas passé comme prévu :
« J’ai eu sept heures de travail actif et j’ai poussé dans le vide pendant deux heures, bébé ne descendait pas. Au téléphone, une sage-femme nous a conseillé des positions. Ça s’est débloqué et une heure plus tard mon bébé est né. Si j’avais été en maternité, après une demi-heure de poussée, le gynéco serait arrivé et ça aurait fini en extraction instrumentale ou en césarienne. »
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Isabelle Koenig considère l’hyper-médicalisation de la naissance comme étant trop souvent la cause d’une cascade d’interventions, qui peut mener jusqu’à la césarienne :
« Une personne qui accouche a besoin de la présence et de la disponibilité d’une personne soignante, pour la rassurer dans sa compétence à enfanter. À défaut, il lui sera proposé la pose d’une péridurale très tôt dans le processus, qui va l’empêcher de se mobiliser et va ralentir le travail. »
La perte de progression va en retour nécessiter des interventions pour reprendre un bon rythme et, si l’accouchement ne va pas assez vite, une césarienne ou une naissance instrumentale. Laura du CDAAD résume ainsi :
« Cette culture du risque et de l’hyper-médicalisation est à rebours du reste de l’Europe. Les sages-femmes qui pratiquent l’AAD sont dans une autre culture, celle de la physiologie, qui respecte le rythme de l’accouchement. »
Pour Cécile, qui a choisi l’ANA pour ses deux accouchements, le refus de la médicalisation va même au-delà de la simple méfiance envers les violences obstétricales :
« Culturellement, nos représentations de l’accouchement sont hyper flippantes. Moi, ça me faisait vraiment peur, cette idée que l’on me prive de mes libertés et que je doive me soumettre. La violence obstétricale n’est pas seulement dans des actes isolés, elle est institutionnelle, car elle est intrinsèque à l’obstétrique moderne », affirme-t-elle. Elle considère ainsi que c’est toute la culture autour de la naissance qui est à repenser, pour permettre à chaque personne qui accouche de le faire en souveraineté, quels que soient ses choix pour son accouchement.
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