C’est bien l’ombre de la guerre qui a placé Olena Zelenska dans la lumière. La première dame ukrainienne fait la couverture de l’édition numérique du Vogue états-unien du 26 juillet 2022 (une version imprimée devrait paraître en octobre). De quoi surprendre à plusieurs titres, puisqu’elle y apparaît sobrement maquillée et habillée, devant des piliers renforcés (par des sacs de sable) contre les bombes, dans la demeure présidentielle en Ukraine, d’une part. Mais aussi parce que les différentes éditions de Vogue ont rarement fait preuve d’information, voire d’engagement face à l’actualité politique la plus brûlante, d’autre part.
La couverture de Vogue avec Olena Zelenska glamourise-t-elle la guerre ?
Or, la longue cover-story écrite par la journaliste Rachel Donadio qui s’est rendue à Kyiv à ses risques et périls pour rencontrer le couple présidentiel afin de raconter la réalité du conflit et ses conséquences n’a pas suffi à apaiser une polémique grandissante quant à ce choix éditorial. Une controverse surtout provoquée par les clichés réalisés par Annie Leibovitz. Car nombreuses sont les personnes à juger l’ensemble indécent vu le contexte, voire à l’interpréter comme une glamourisation de la guerre.
Pourtant, ce portrait nous apprend beaucoup sur celle qui ne se voyait pas du tout devenir Première dame, encore moins devoir affirmer cette position en temps de conflit, et même s’en servir comme arme de diplomatie jusque sur la scène mode, plus politique qu’il n’y paraît.
Qui était Olena Zelenska avant de devenir première dame en temps de guerre
Née en 1978 à Kryvyï Rih, ville industrielle en Ukraine, d’une mère ingénieure et d’un père dans le BTP, Olena Kyïachko suit des études d’architecture selon le désir de ses parents. C’est là qu’elle rencontre à 19 ans au lycée Volodymyr Zelensky et qu’ils commencent à sortir ensemble à la fac où il étudie le droit : « l’humour a créé cette alchimie entre nous », élude-t-elle auprès de Vogue. Ils se marient en 2003 et ont deux enfants : Aleksandra en 2004, puis Kyrylo en 2013.
Olena Zelenska devient scénariste pour la boîte de production Studio Kvartal 95, co-fondée avec son mari et d’autres amis en 2003. Elle y participe notamment au script d’une série dès 2015, Servant of the People, où Volodymyr Zelensky incarne un prof qui critique le clientélisme et la corruption de la classe dirigeante ukrainienne et se retrouve catapulté président du pays. La série cartonne et Olena continue de s’épanouir dans l’écriture de comédies, et comme programmatrice de la principale émission satirique du pays (Liga Smichu soit « La ligue du rire »), ainsi que sa déclinaison féminine (Femmes de Kvartal).
… Jusqu’à ce qu’elle apprenne à la radio que son époux se présente à la présidentielle. Elle devient finalement Première dame le 20 mai 2019, et redouble alors d’engagement en faveur de l’égalité femmes-hommes, les droits de l’enfant, l’accès à la culture, et la lutte contre l’obésité. Mais peu de temps après cette présidentialisation, l’éternel conflit avec la Russie s’intensifie.
Comment Olena Zelenska vit le conflit déclenché par la Russie contre l’Ukraine
Lorsque Poutine déclenche une guerre sur le sol ukrainien début 2022, ni Volodymyr Zelensky, ni son épouse ne fuient le pays, comme le raconte maintenant Vogue :
« Pendant de longues années, l’épouse du président ukrainien a écrit des comédies. Elle a toujours préféré rester dans les coulisses, tandis que son mari — cet acteur devenu homme politique, dont la présidence pourrait déterminer le sort du monde libre — se retrouvait systématiquement sur le devant de la scène. Mais depuis que la Russie a envahi l’Ukraine le 24 février, c’est dans une tragédie que Olena Zelenska occupe le premier rôle. »
Dans les colonnes de la Bible de la mode, Olena Zelenska tient à se montrer rassurante, sans nier pour autant l’horreur de la guerre :
« Ces derniers mois ont été les pires de ma vie, et les pires de la vie de tous les Ukrainiens […] En toute honnêteté, je pense que personne ne se rend compte de notre capacité à résister émotionnellement. […] Nous attendons avec impatience la victoire. Nous n’avons aucun doute sur le fait que nous allons l’emporter. Voilà ce qui nous pousse à continuer. »
C’est l’ambivalence de son discours nuancé qu’on retrouve dans les clichés d’Annie Leibovitz où la première dame ukrainienne apparaît pleine de sang-froid au milieu de l’agitation militaire et des débris de son pays. C’est comme si elle cherchait à incarner la réalité du conflit, lui donner un visage humain auquel tout le monde pourrait s’identifier. Un peu comme lors de son voyage non-officiel aux États-Unis la semaine du 18 juillet 2022, pour demander des armes « en tant que mère ». Des mots pouvant susciter autrement l’empathie que ceux de son mari et du ministre de la Défense ukrainien Oleksiy Reznikov pour demander la même chose.
Et c’est peut-être là une grande partie de l’intérêt de cette cover-story dans un magazine tel que Vogue, qui touche une audience pas forcément venue là pour lire des enjeux politiques. Sensibiliser un autre public à cette guerre en mettant en avant l’humain plutôt que des titres politiques, des sommes d’argent, et des armes.
Que fait Olena Zelenska contre la guerre en Ukraine provoquée par la Russie ?
D’ailleurs, Olena Zelenska a déjà lancé une action de long cours visant à former sur les questions de santé mentale des travailleurs de première ligne comme les enseignants, les pharmaciens, des assistants sociaux et la police pour qu’ils et elles puissent mieux aider les citoyens et citoyennes à ce niveau, explique-t-elle à Vogue :
« Il s’agit là d’une réponse moderne à une guerre d’agression classique, une réponse qui va bien au-delà de la simple survie, pour s’intéresser aux effets à long terme du conflit. »
Aujourd’hui, Olena Zelenska a bien conscience que son mari le président ukrainien représente la cible numéro 1 des Russes, et qu’elle et leurs deux enfants la numéro 2, confie-t-elle à Vogue. C’est d’ailleurs pourquoi elle a passé les premières semaines de la guerre dans l’ombre, dans des lieux secrets et sécurisés avec ses enfants, sans contact avec le président Volodymyr Zelensky. Mais la première dame a refait surface le 8 mai, jour de la fête des mères en Ukraine, afin de visiter un refuge pour personnes déplacées par la guerre. C’est ce qui amène son mari à souligner, auprès de Vogue, combien il trouve courageux et important qu’elle reste sur le territoire :
« Pour les femmes et les enfants, le fait que ma femme soit ici donne l’exemple. Je crois qu’elle joue un rôle très important pour l’Ukraine, pour nos familles et pour nos femmes.
[…] Je vais être très honnête et peut-être pas très diplomatique : le [prix du] gaz, ce n’est rien. Le COVID, même le COVID ce n’est rien à côté de ce qui se passe en Ukraine. Essayez simplement d’imaginer que ce dont je parle arrive chez vous, dans votre pays. Seriez-vous encore en train de penser au prix du gaz ou de l’électricité ? »
Et pourtant, peut-être que les choses qui paraissent les plus dérisoires peuvent aider à se raccrocher au réel. Et qu’une cover-story avec des photos où Olena Zelenska apparaît presque sereine, dans les bras de son mari, peuvent (sans pour autant occulter les atrocités de la guerre) contribuer à donner de l’espoir.
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Crédit photo de Une : Capture d’écran Instagram de @olenazelenska_official
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Les Commentaires
Je ne sais pas comment la position de Joe Biden est perçue par l'Américain lambda, mais je doute qu'il sache même situer l'Ukraine sur une carte (déjà qu'un paquet de Français ont dû l'apprendre avec l'explosion du conflit, alors j'imagine même pas outre-Atlantique... ), donc les gens ne voient peut-être pas bien l'intérêt de se mêler d'une guerre qui ne les concerne pas directement, alors que l'armée américaine vient juste de se retirer d'Afghanistan et que sous Trump la tendance était plutôt à arrêter l'interventionnisme. D'où la nécessité de donner du sens à l'engagement américain dans cette guerre en humanisant le conflit et en suscitant l'empathie pour le camp ukrainien (à défaut de faire comprendre les vrais enjeux politiques). En plus c'est un couple glamour, elle elle est belle, ils se sont rencontrés au lycée, lui était acteur... il y a de quoi faire un film hollywoodien sur leur histoire, donc tout ce story-telling doit surtout viser à séduire l'Américain moyen (ou en tout cas, celui qui lit Vogue).