J’ai souvent mis mon attitude d’adolescente attardée sur le compte de mon lieu de vie : en effet, habiter chez mon adorable petite maman et mon bienveillant petit papa me tenait éloignée de la vie réelle, celle où ne pas remplir des papiers à temps peut te coûter de l’argent et laisser une casserole de bolo pas lavée peut donner lieu à une culture de micro-organisme. Entre temps, j’ai pris mon indépendance.
Je me souviens encore du premier matin où j’ai ouvert les yeux et découvert un nouveau plafond. Je l’ai regardé d’un air tendre, et je lui ai promis que jamais ô grand jamais il n’aurait à donner la réplique à un parquet sale, un évier plein, de l’alcool renversé sur la table depuis 2 jours ou un yaourt entamé étalé sur mon bureau. J’étais une jeune femme pleine de bonnes résolutions, prête à embrasser mes nouvelles responsabilités : éviter de vivre dans un taudis et respecter mes premières obligations administratives.
C’était il y a 3 ans. Depuis, suis-je devenue une adulte ? Presque.
1. Je suis toujours autant à la ramasse niveau paperasse
Quand j’étais petite et que je faisais les courses avec ma maman, j’adorais ce moment à la caisse où je la voyais remplir un chèque. Presque 20 ans se sont écoulés, et depuis, j’ai compris la face cachée de l’iceberg. Remplir un chèque est un travail dactylo vaguement amusant, si tu mets de côté le fait que ce bout de papier rectangulaire coloré te débite vraiment de l’argent. Aujourd’hui, j’ai pour horreur tout ce qui a trait à la banque. Je déteste recevoir des courriers de l’EDF, mettre à jour mon compte APL, éditer mes factures de piges, classer mes fiches de salaire, répondre au secrétariat de mon école.
Quand j’ai eu le malheur de raconter ça à ma maman, elle m’a fait m’asseoir devant la table basse du salon, m’a filé 4 gros classeurs et m’a donné un cours d’adulterie : « Tiens Émilie, voici des post-its colorés et des surligneurs. Choisis des codes couleurs pour chaque thème administratif et organise le tout selon tes intercalaires ».
« Intercalaires quoi, le mot que j’avais plus entendu depuis 1999, AHAHAH » fis-je remarquer en rigolant à ma maman. Qui elle, ne rigolait pas : « J’aimerais bien ne plus avoir à t’aider à payer tes impayés…« . Puis j’ai voulu détendre l’atmosphère en choisissant la couleur caca d’oie pour les factures. Mais ça n’existe pas en surligneur.
2. Il arrive que mon frigo ne soit rempli que de trucs sucrés
Certains soirs où je rentre chez moi, l’estomac au vide abyssal inversement proportionnel à mon envie de tout dégommer, j’ouvre mon frigo et prends un air dépité : « Y’a rien de salé. J’ai pas de quoi me préparer un dîner ! »
Oui, j’ai une organisation très aléatoire de ma liste des courses. Il m’arrive d’être aussi organisée qu’une mère de famille de 7 enfants (je prévois tous les plats à l’avance, je note les ingrédients un par un dans la partie bloc-notes de mon iPhone et je m’arrête entre chaque rayon pour cocher ce que j’ai pris comme la plus psychorigide de tes tantes, l’air satisfait). Et la semaine d’après, je perds toute notion logistique et fais les courses comme si j’avais 11 ans et la carte de bleue de Maman partie en week-end : j’achète que des trucs d’enfants, en mode coup de coeur.
[Attention, name-dropping de marques droit devant] « Oh, Gü a sorti de nouveaux desserts ? Allez, un cheese-cake au citron. DAMNED, les compotes pomme-chataigne, ça existe ? Viens par ici dans mon panier, mon petit ! Oh putain, du saucisson d’âne ? J’AVAIS JAMAIS GOÛTÉ ! Hé, des Kinder Bueno chocolat blanc ! La dernière fois que j’en ai bouffé, c’était en sortant de la piscine (donc en 1945) ! Wooow y’a du Philadelphia Milka ? Ça défooonce. »
CIEL MON MARI !!!
Et voilà comment je me retrouve à me faire des plateaux repas (j’ai pas de plateau, donc j’utilise le clavier de mon Mac) de charcuterie et desserts. J’ai beau être très sensible au Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et à la Société du Spectacle de Guy Debord, je suis une cible marketing de choix pour les zélés publicitaires.
3. Je n’ai pas le courage d’aller porter mon linge sale au lavomatic, donc je procrastine
Mes copines adorent ce moment de la semaine où elles vont porter leur linge sale au lavomatic de leurs arrondissements, parce qu’elles y voient le meilleur moyen de rencontrer du voisin sexy, brun et ténébreux, venus laver ses caleçons sales. Je suis maquée, donc rencontrer les mecs de mon quartier ne m’intéresse pas (coucou mon chéri, vois comme je suis réglo !) Je n’envisage pas mon lavomatic comme un spot de speed-dating, je ne me maquille pas en y allant (mon survet et mes cheveux décoiffés font très bien l’affaire) et j’y vais en traînant les pieds.
En traînant d’ailleurs tellement les pieds que parfois, je ne dépasse même pas la porte d’entrée de mon appart. Du coup, il arrive régulièrement que mon gros sac à linge sale reste planté dans mon couloir, prêt à être saisi « dès que j’aurai 15 minutes de libre ». Sauf que je n’ai JAMAIS 15 minutes de libre.
Entendons-nous bien : j’ai toujours 15 minutes pour appeler un pote et lui dire « ALLO ? TA GUEUUUULE
» et raccrocher (âge mental : 14 ans et demi), zoner sur Facebook, lire les articles de mes consoeurs sur madmoiZelle, me dégommer un paquet de Lay’s Barbecue, faire une liste des séries que je dois regarder (« bonté divine, le nouveau Dexter est sorti ! ») ou changer de vernis à ongles (« cette semaine, je mets du OPI bleu »).
Comprenez donc bien qu’une expédition au lavomatic du coin n’a rien d’attrayant, quand on voit TOUUUUT ce que je pourrai faire à la place en 15 minutes. Alors, mon linge sale s’accumule de façon à concurrencer la tour de Babel (ou plutôt la tour de Pise, puisque mon tas se penche au point de défier la loi de la gravité). Et je finis par ne plus avoir aucune culotte propre dans mes tiroirs. Mon mec, un soir d’ébats (d’ébats, pas de débats hein) : « Amusant, cette matière de culotte. » « C’est pas une culotte, c’est un maillot de bain », « Ah, tout s’explique ». Ouais, tout SEXE plique.
4. Je fais trop la fête
Le premier argument que j’ai trouvé pour prendre mon indépendance a été « je vais pouvoir faire des soirées à la maison, YIHAAAA ». C’est-à-dire sans risquer de casser la lampe Habitat de mes parents et cette foutue table basse achetée en Belgique qu’ils aiment d’amour, pilier de leurs meubles du salon. Avec mon mobilier sponsorisé Ikéa – hé, mais tout le monde a cette table basse, en fait ! (*), aucune crise cardiaque de ménagère pendant mes petites sauteries arrosées.
(*)?
Sauf que, mes sauteries arrosées ne se prévoient jamais à l’avance. Je suis du genre à être un peu éméchée après 3 verres de rosé à un vernissage et à proposer « un petit apéro » à la maison à mes potes. Pire : à lancer des « after chez moooi » à la fin de chaque soirée qui se termine trop tôt (4h du matin, donc). Et dans ces moments-là, l’option du mot dans le couloir pour prévenir mes voisins est complètement illusoire.Quand je vois que mon voisinage est du genre à coller une affiche dans l’ascenseur 3 semaines avant un petit apéro entre collègues qui se termine à maximum 1h du matin, je me dis que je suis un monstre. Enfin, je ne suis pas la seule à me dire ça : suffit de voir le regard noir que me jettent mes voisins sexagénaires du dessus. Que je ne remarque de toute façon que quand je n’ai pas trop les paupières baissées comme des rideaux fermés, gueule de bois oblige. Autrement dit : rarement.
5. Je ne sais pas tenir une maison
Vidanger mon chauffage. Refaire les joints de ma salle de bain. Réparer la porte de mon freezer avant que mes barquettes Picard ne fondent. Déboucher un broyeur. JE SUIS UNE VRAIE BRANQUE pour ce genre de choses. J’envisage l’entretien d’un appart comme un truc aussi lourd, difficile et aliénant que le rocher que ce pauvre Sisyphe est obligé de pousser éternellement. Heureusement que les tutos vidéos de Castorama existent. Et heureusement que mon mec est là.
Au fond, je me demande si monter une bibliothèque est si difficile que ça ou si ce n’est pas moi qui pars TELLEMENT du principe que ce sera insurmontable que ça le devient vraiment.
En tout cas, niveau responsabilité domestique, je suis un vrai bébé. Si bien que le jour où je me suis ouvert la main en faisant la vaisselle (voir mon J’ai testé pour vous… l’accident domestique), je me demande ce qu’il se serait passé si mon mec n’avait pas été là pour avoir la présence d’esprit de m’emmener à la pharmacie, puis aux urgences.
Vu comme j’ai horreur des hôpitaux et que je fais partie de cette espèce de gens peureux qui préfèrent nier plutôt que voir les choses en face, j’aurais probablement emballé ma main ensanglantée dans un gros torchon et serais retournée dans le salon mater une série, l’air de rien. Jusqu’à, peut-être, me vider de tout mon sang. Et dire que j’aurais pu ne même plus être là pour vous raconter tout ça, snif ça suffit la dramaturgie.
Mais que famille, amis qui me lisent et lecteurs soucieux de me voir grandir se rassurent : je me donne jusqu’à l’âge de 25 ans pour rectifier le tir. En attendant, je garde ma casquette d’ado attardée, les bouts de pizza entre les touches de mon clavier et mes maillots de bain pour sous-vêtements.
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