Le week-end dernier, on a profité du jour férié de la Pentecôte afin de célébrer l’EVJF d’une de mes meilleures amies. Comprendre : enterrement de vie de jeune fille. Elle est cisgenre, hétéro, et va se marier à un homme, ce qui correspond à la majorité des femmes.
J’ai dû tout organiser, des mois à l’avance, car je suis le témoin de cette personne que j’adore infiniment (par le passé, je l’accompagnais même s’entraîner pour son triathlon auquel je n’étais même pas inscrit : si faire de la natation, du vélo, et de la course à pied alors qu’on déteste ça n’est pas une preuve d’amour et de dévotion, je ne sais ce qu’il vous faut).
L’enfer des EVJF, c’est les autres
J’ai donc imaginé un programme de folie sur 3 jours afin de satisfaire toutes ses envies à elle. Ce, sans qu’elle ne les formule puisque le concept d’EVJF implique que tout ou presque se fasse par surprise. Mais je devais aussi satisfaire les envies du reste du groupe composé de 12 personnes que je ne connaissais soit pas du tout, soit à moitié (et maintenant, j’en déteste les 3/4 ou presque).
C’est passé par la création de plusieurs conversations de groupe : avec la mariée, sans la mariée, pour les covoiturages, et pour l’autre témoin censée m’aider à tout organiser (tout est dans le censée). Mais aussi la création d’un tableau Excel afin de suivre la récolte d’argent de la part des participantes (qu’il faut bien sûr relancer 36 fois, et chacune veut payer avec une méthode différente, sinon ce n’est pas drôle), comptabiliser combien il faudra pour chaque activité, ainsi que les préférences alimentaires de chacune.
Alors que je suis profondément introverti, avec une batterie sociale qui supporte difficilement d’interagir avec plusieurs personnes plus de 4 heures d’affilée, j’ai donc dû supporter les conversations de groupe manquant cruellement d’efficacité, et surtout le week-end en question où il n’existait nulle solution de repli (je partageai ma chambre avec une ronfleuse et une grasse-matineuse, mais je ronfle aussi moi-même alors on est quitte).
On a fait le tiers du programme que j’avais soigneusement planifié mais ce n’est pas grave. Tout s’est très bien passé !
Qui aime vraiment les enterrements de vie de célibataire, en fait ?
Mais en débriefant avec certaines membres de l’EVJF, la mariée elle-même et d’autres personnes random croisées depuis, je me suis rendu compte que la majorité de mon entourage trouvait le concept plutôt pénible (sauf quand il s’agit de se rendre à son propre enterrement de vie de célibataire, évidemment, organisé par une autre âme charitable).
Alors je voudrais poser trois questions au monde : qui aime vraiment les EVJF ? À quoi servent-ils véritablement aujourd’hui ? Et venez, on arrête si on n’en a pas vraiment envie plutôt que de s’y adonner par sentiment d’obligation sociale ?
Parce qu’en y réfléchissant deux secondes, n’est-ce pas une performance de féminité profondément sexiste et patriarcale ? Rien que le nom de l’événement traduit tout son sexisme : on parle d’Enterrement de Vie de Garçon (EVG pour les intimes) pour les hommes puisque ceux-ci ont le droit de passer du statut d’enfant à adulte sans que cela ne passe forcément par la case mariage. Tandis que les femmes, elles, ont beau atteindre l’âge adulte, elles pourraient encore être considérées comme des « filles » tant qu’elles ne se sont pas mariées. D’où l’expression « finir vieille fille » par exemple, mais aussi la précision de « jeune » dans EVJF. Bah, oui, qu’importe vos accomplissements pro et perso, seul le mariage fait de vous une femme, voyons ! Enterrez-moi fissa votre vilain célibat.
L’EVJF, cette caricature de cishétéronormativité
Outre le sexisme dans la langue, les activités attendues pour un EVJF ressemblent beaucoup à une caricature de cishétéronormativité : porter une écharpe « Future mariée » pendant que les autres arborent un t-shirt, une couronne de fleur ou un chapeau avec l’acronyme « EVJF » écrit en gros afin que les gens que vous croisez sachent pourquoi vous êtes trop amusante et pleine de second degré ! Une virée dans un spa et/ou une soirée cocooning à la maison, une pyjama party et/ou une performance de strip-teaseur(s), comme s’il était nécessaire de performer la féminité et l’hétérosexualité, à tout prix, surtout à celui de l’alcoolémie.
C’est le genre d’activités cliché qu’on voit beaucoup dans les séries et films populaires, et qu’on retrouve dans les listes d’idées après une rapide recherche sur internet en cas de manque d’inspiration. Alors bien sûr, on n’est pas obligées de s’y atteler et peut prévoir un programme moins stéréotypé et plus personnalisé (j’ai plutôt organisé des ateliers rouleaux de printemps végan, rando en vélo, aquarelle, karaoké, yoga, et dégustation de spécialités locales). Mais ça en dit quand même long sur les attendus sociaux autour de ces festivités.
Même la composition des groupes entretient et renforce une forme d’ultra binarisation genrée puisque cela se déroule généralement en non-mixité choisie (sans que cela ne soit perçu comme une menace à l’ordre républicain, bizarrement, quand il s’agit d’un rite aussi cishétéronormé…) : le marié avec ses amis hommes et la mariée avec ses amies femmes. Évidemment, j’étais l’exception qui confirme la règle et en tant que cliché de meilleur ami gay de la mariée, j’étais le bienvenu chez les filles. Mais bien sûr, rien n’empêche de déroger à la tradition en formant des groupes mixtes.
Enterrer sa vie de célibataire, une tradition sexiste et commerciale ?
Traditionnellement, l’enterrement de vie de célibataire s’avère très genrée. Ce rite prénuptial occidental remonterait au XVIIIe siècle et concernait seulement les hommes au départ. Le futur marié et ses potes s’offraient une virée en maison close une fois bien bourrés afin de célébrer une dernière fois son célibat. Ce n’est qu’à partir des années 1970 que les femmes s’y sont mises, fortement incitées par des pressions marketing, les marques ayant flairé qu’elles pouvaient en faire une fête commerciale.
Soyez belle et consommez : célibataire pour trouver quelqu’un, juste avant de vous marier aussi, puis pour votre mariage évidemment, mais aussi une fois mariée afin d’entretenir la flamme sous peine de retourner sur le marché sentimentalo-sexuel. D’après un article de 2019 de L’Obs se basant sur une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED), 1/4 des futurs époux et 1/8 des futures épouses enterraient leur vie de célibataire jusqu’aux années 2000. Mais aujourd’hui la tendance s’est équilibrée : 74% des hommes et 72% des femmes s’y adonnent désormais, puisque l’argent n’a pas de genre. Comme c’est pratique… De façon générale, ces pressions semblent beaucoup plus fortes dans le cadre de relations cis-hétéros.
Alors, oui, sur place, ça peut bien se passer, même être super sympa. Mais ça peut aussi être très coûteux, alors qu’on pourrait se contenter d’une simple soirée. Et là où je veux en venir, c’est que la tradition de l’enterrement de vie de célibataire me semble profondément désuète et sexiste. Le comble, c’est qu’avant d’organiser celui de ma meilleure amie, elle me racontait justement combien elle avait pu trouver pénible de participer à la plupart de ceux de ses potes. Et combien ça nous paraissait bizarre de célébrer la fin du célibat comme s’il s’agissait d’une victoire contre l’adversité, alors que ça peut être génial d’être célibataire, en fait ! C’est la société qui veut à tout prix nous faire croire que c’est mal.
Alors que je célébrais la fin du célibat de ma meilleure amie, je n’ai pas pu m’empêcher de vouloir enterrer le concept même d’EVJF avec.
Mais le plus important et précieux reste de faire plaisir à quelqu’un qu’on aime, en l’occurence la mariée. Cette personne se retrouve alors entourée de proches qu’elle aime, ce qui est inestimable. Et l’autre avantage, c’est que ça aide à créer des liens entre personnes qui ne se connaissent pas forcément afin qu’elles se sentent moins seules le jour du mariage en question. Enfin, comme pour beaucoup de choses dans la vie, mieux vaut refuser de participer que de se forcer.
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Crédit photo de Une : OlcayErtem via Pixabay
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