Le fondateur de Tesla, Elon Musk, vient de racheter le principal média social d’opinion Twitter le 25 avril 2022 pour 44 milliards de dollars (environ 41 milliards d’euros). L’homme d’affaires controversé clame d’ores et déjà qu’il voudrait y voir régner une liberté d’expression totale. Ce qui fait déjà redouter le pire aux personnes minorisées, dont les femmes, a fortiori racisées, qui sont les plus cyberharcelées sur la plateforme.
Jameela Jamil craint que la misogynie s’aggrave sur Twitter suite au rachat par Elon Musk
C’est pourquoi Jameela Jamil a tweeté vouloir quitter la plateforme à l’annonce du rachat :
« Ah, il a eu Twitter. Je voudrais que ceci devienne mon dernier tweet. Oui, [je trouve] n’importe quelle excuse pour montrer des photos de Barold [mon chien]. Je crains que cette volonté de liberté d’expression ne rende cette plateforme déjà infernale encore pire niveau haine sans foi ni loi, sectarisme, et misogynie. Bon courage. »
La liberté d’expression totale voulue par Elon Musk sur Twitter réjouit déjà Donald Trump
Si le rachat vient d’avoir lieu, Elon Musk ne va pas du jour au lendemain changer la face de l’entreprise et ses politiques de modération. Mais d’ici la fin de l’année, l’homme d’affaires devrait prendre les contrôles de l’entreprise, et pourra donc appliquer les changements qu’il a déjà évoqués, notamment dans le communiqué de presse confirmant le rachat :
« La liberté d’expression est le socle d’une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où les sujets vitaux pour le futur de l’humanité sont débattus. J’espère que même mes pires critiques resteront sur Twitter, c’est ce que signifie la liberté d’expression »
Des comptes bannis comme celui de Donald Trump pourraient donc potentiellement redébouler OKLM sur Twitter. Si l’ancien président des États-Unis en a été exclu et a créé son propre réseau social Truth en février 2021, il se réjouit déjà qu’Elon Musk « améliore Twitter contre les bots et les faux comptes », a-t-il déclaré auprès de Fox News le 25 avril 2022. Or, quand Donald Trump se réjouit pour vous, c’est rarement de bon augure.
Car que signifie la liberté d’expression selon Elon Musk ? C’est ce qu’a défini dans un thread Twitter Yishan Wong. C’est le fondateur et actuel PDG de Terraformation (une entreprise de mise en place de systèmes évolutifs pour tenter de résoudre le problème du changement climatique), et surtout un ancien dirigeant de Reddit et Facebook, donc bien placé pour comprendre les dynamiques des foules sur les réseaux sociaux à l’épreuve de la notion de liberté d’expression :
« Il existe une ancienne culture d’Internet, grosso modo le web 1.0 (de la fin des années 1990) et du web 2.0 pré-Facebook (donc avant 2005) où régnait une culture de la liberté d’expression très forte.
Cette idée de liberté d’expression est née d’une culture américaine de la fin des années 90 où les principaux intéressés par la censure étaient des conservateurs religieux. Concrètement, cela signifiait qu’ils essaieraient d’interdire la pornographie (ou toute autre dégénérescence morale imaginaire) sur Internet.
[…] Beaucoup de leaders de la tech d’aujourd’hui (dont Elon Musk et d’autres membres de la génération X, en gros) ont grandi sur cet Internet. Pour eux, Internet représentait la liberté, une nouvelle frontière, une floraison de l’esprit humain, et l’espoir que la technologie pourrait donner naissance à un nouvel âge d’or de l’humanité.
Je le croyais aussi. Puis j’ai dirigé Reddit.
Reddit est né dans les dernières années du vieil Internet, où la liberté d’expression signifiait ‘liberté par rapport aux conservatismes religieux’ […]. On a tenté de préserver cet idéal. Mais ce n’est pas ce qu’est la liberté d’expression aujourd’hui. »
« Ce n’est pas que le principe n’est plus valide (il l’est), c’est que les problèmes pratiques liés au maintien de ce principe sont différents, parce que le monde a changé.
Internet n’est plus une ‘frontière’ où les gens peuvent aller “pour être libres“. C’est là où se trouve le monde entier maintenant, et toutes les guerres culturelles y sont menées.
C’est le champ de bataille PRINCIPAL de nos guerres culturelles.
Cela signifie que défendre la liberté d’expression signifie que vous ne vous opposez pas à certains conservateurs religieux qui font pression pour retirer les livres de Judy Blume [autrice jeunesse progressiste] de la bibliothèque, cela signifie que vous vous opposez à TOUT LE MONDE, car chaque camp essaie de retirer les droits d’expression des autres côtés. »
Quand la liberté d’expression sert surtout à attaquer les personnes minorisées
Outre servir un champ de batailles culturelles et politiques à l’échelle mondiale, Internet et Twitter en particulier servent également de terrain de jeu pour cyberharceleurs. Si Elon Musk compte bien continuer à lire les pires critiques qui émanent contre lui, elles ne s’inscrivent pas dans les mêmes dynamiques d’oppressions sociales qui pèsent contre des personnes minorisées à l’échelle structurelle, comme l’induit Jameela Jamil.
Un rapport de 2020 d’Amnesty International constatait déjà avec effroi les inégalités dans le cyberharcèlement :
« Notre analyse montre que malgré certains progrès, Twitter n’en fait pas assez pour protéger les utilisatrices, ce qui conduit de nombreuses femmes à se taire ou à s’autocensurer sur la plateforme. »
En première ligne : les femmes issues des minorités et de groupes marginalisés, c’est-à-dire les femmes racisées, en particulier les femmes noires, les femmes lesbiennes, bisexuelles, handicapées, ainsi que les minorités de genre.
C’est donc pour cela que certaines personnes minorisées commencent déjà à redouter le pire et à migrer vers d’autres réseaux sociaux de partage d’opinion comme Mastodon ou Vero. Car si la modération laissait déjà à désirer avant le rachat, qu’est-ce que cela va être quand y régnera la vision de la liberté d’expression d’Elon Musk…
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Crédit photo de Une : © capture d’écran Twitter
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