Le 10 juillet 2020
Vis ma vie de childfree est une série de témoignages initialement publiés sur Rockie en 2020.
Nous avions demandé à des femmes de 40 ans et plus, sans enfant par choix, de nous raconter leur vie, le regard de leur entourage sur leur choix de ne pas procréer, l’impact de cette décision sur leur individualité et/ou leur couple.
Vous êtes childfree et vous vous reconnaissez dans ce profil ? Vous pouvez toujours témoigner en nous écrivant à [email protected], avec en objet « Je suis childfree » !
J’ai 41 ans et je suis childfree.
Pour avoir vécu le poids des injonctions au point d’avoir hésité et d’avoir failli faire le mauvais choix, je mets un point d’honneur aujourd’hui à clamer haut et fort autour de moi, en particulier aux femmes plus jeunes de mon entourage, que OUI on peut être une femme heureuse et épanouie sans enfants, et que NON ce n’est en rien un passage obligé pour réussir sa vie.
Je me sens un devoir de porter cette parole afin que la génération qui arrive après moi sache qu’il n’y a pas qu’un modèle à suivre. Avoir un enfant n’est pas un passage obligé mais juste une option parmi d’autres.
Un rapport distant aux bébés
D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu d’attirance particulière pour les enfants. Petite, je n’ai jamais joué avec les nombreux poupons et accessoires offerts par ma mère qui avait une adoration pour les bébés.
Face à un tel désintérêt, elle a fini par se résigner et ne plus m’en acheter mais je sais qu’elle ne comprenait pas. Pour la plupart des gens, une fille se doit d’être maternante.
Étant la petite dernière de la famille, avec deux frères beaucoup plus âgés que moi, j’ai été confrontée pour la première fois de manière concrète à des enfants quand mes 4 petits neveux et nièces sont nés, entre mes 15 ans et mes 19 ans.
Avec du recul, je sais que j’ai dû forcer ma nature quand ils étaient bébés car même si j’étais très heureuse de leur venue au monde, j’étais assez mal à l’aise avec ces créatures fragiles et bruyantes. Je m’en suis pourtant occupée et surtout j’ai tissé avec eux une jolie complicité, surtout quand ils ont commencé à grandir (et encore plus maintenant qu’ils sont adultes).
Mais ce qui m’intéressait, ce n’était pas l’enfant mais plutôt la personne qu’ils étaient. Je pense que j’ai toujours « su faire » avec les enfants et qu’ils m’ont toujours appréciée mais pour autant je n’ai jamais tiré et ne tire toujours pas de plaisir ou d’excitation particulière à les côtoyer.
Enfin, pour être plus précise, pas plus de plaisir qu’à côtoyer des adultes car je suis une personne qui aime nouer des liens, partager et aller vers les autres.
À l’âge adulte, la pression du schéma familial type
Devenue adulte, j’avais tellement en tête le modèle classique (trouver un boulot, se mettre en couple et fonder une famille) que je n’ai pas cherché à le remettre en question. C’était un peu la voie facile et toute tracée à suivre, la voie sécurisante.
Pourtant je ne suis jamais arrivée à me projeter en tant que mère. J’ai rencontré mon compagnon actuel à l’âge de 24 ans et j’ai tout de suite eu l’intuition que cette histoire allait durer, il était le grand amour de ma vie. J’ai cru qu’une fois le partenaire rencontré, tout naturellement j’allais avoir envie d’avoir des enfants avec lui.
Mais non, toujours rien. Je voyais passer les années avec pas mal d’angoisses et de questionnements. Je me disais que j’étais sûrement encore trop immature, qu’il fallait que j’attende pour connaître l’évidence.
La trentaine est arrivée et avec elle la pression quasi quotidienne des collègues, des voisins, de la famille.
« Alors c’est pour quand ? Vous allez bien nous faire un petit bientôt ? »
Notez au passage la perversité du « nous » dans cette question, comme s’il fallait faire un enfant pour les autres…
Comme je doutais toujours, j’écoutais les bons conseils de tous ceux qui avaient déjà fondé une famille. Ils me disaient qu’avoir des enfants était formidable, la plus belle chose au monde. Qu’on ne devenait une vraie femme qu’une fois qu’on était mère (le truc le plus insupportable et violent que j’ai entendu !). Et surtout, l’argument pervers ultime :
« Tu n’en as pas envie maintenant mais si tu n’en as pas tant qu’il est temps, tu le regretteras plus tard. »
Sous-entendu « Quand tu seras enfin mûre ».
L’impact de l’injonction à enfanter sur mon couple et sur moi
Clairement, je n’ai jamais eu envie d’avoir un enfant et d’être enceinte. Jamais. Pas une seule fois. Même pas l’espace de quelques minutes.
Quand j’essayais de me dérouler les scénarios sympas dans ma tête : la grossesse, la naissance, emmener mon enfant à l’école, jouer avec lui, passer du temps avec lui — rien ne me faisait envie et ne ressemblait à une vie idéale pour moi.
Au contraire. Je ne ressentais que contrainte et oppression. Est-ce vraiment ça devenir adulte : se forcer à faire une chose qui ne nous tente en rien et nous colle des angoisses rien que d’y penser ? Mais je restais sous l’emprise de l’argument massue :
« Tu vas le regretter plus tard. »
J’ai fini par y croire et essayer de me formater à l’idée que j’allais en passer par là, qu’il fallait que j’essaye, que l’évidence et la révélation viendraient une fois que l’enfant serait là.
Mon compagnon a toujours été très réticent à l’idée d’avoir des enfants. Avec du recul, on était dans la même situation sauf que lui a rapidement assumé son non-désir et pas moi.
Je ne voulais pas me sentir rejetée et jugée par la société. Je n’étais pas encore assez forte pour affirmer qui j’étais et ce que je voulais. Alors j’ai commencé à lui mettre un peu la pression, l’air de rien. Cette période de notre couple a été horrible et avec du recul je me dis « Que de temps perdu pour rien, quel malentendu stupide ».
Les premiers temps, avec les moyens de contraception, il n’y avait pas de risque que je tombe enceinte mais l’ombre de « l’enfant » planait au-dessus de notre couple au quotidien. Une incertitude sur la suite, sur notre avenir. Allions-nous en avoir, en avions-nous envie, était-ce une bonne idée ?
Puis, j’ai arrêté de prendre la pilule parce que je vivais mal ce rituel contraignant et ses effets sur ma libido ; et lui, petit à petit, a arrêté de faire attention. Pas vraiment un choix, plutôt une espèce de résignation et l’idée de remettre notre sort entre les mains du destin puisque nous étions tellement perdus…
Et, rien. Un an plus tard nous apprenions que monsieur était stérile. Il faut croire que, dans notre cas précis, le destin est plutôt bien foutu.
« Mais vous pouvez quand même tenter une FIV, ça devrait pouvoir marcher. »
Il a fallu plusieurs semaines pour sortir du brouillard et y voir clair. Non. NON ! Non, nous ne voulons pas faire une FIV. Parce qu’en fait, non nous ne voulons pas d’enfants. Nous ne voulons pas d’enfants ! La société veut que nous en ayons.
Nos amis, notre famille, nos collègues. Mais nous non ! Il a fallu en arriver jusque-là pour avoir le déclic. Le fait de ne pas avoir pu avoir d’enfants naturellement nous a sauvé la vie.
Le bonheur d’assumer que je ne veux pas d’enfant
C’était il y a 5 ans. C’était le début d’une nouvelle vie. Le début de la libération et de l’épanouissement. À partir de là, j’ai commencé à dire « Je ne veux pas d’enfants » quand on me posait la question, en me fichant pas mal des réactions et du jugement en face.
J’ai réalisé que ce n’était pas ma voie, que cela ne l’avait jamais été mais que je ne m’autorisais pas à m’écouter à cause de la pression sociale. Nous avons tous les deux ressenti dans les mois qui ont suivi un profond sentiment de soulagement, comme si un poids énorme sur nos épaules s’était envolé, que nous devenions enfin les véritables maitres de notre vie.
C’était même grisant et jouissif et ça l’est toujours.
Pas un jour ne passe depuis sans que je ne sois heureuse de ce choix. Pas une seule fois je n’ai douté ou regretté. Je suis entourée d’amis qui ont des enfants (et aussi pas mal qui n’en ont pas) ; ils sont surement très heureux mais non seulement leur vie ne me fait pas envie, mais elle fait plutôt office de repoussoir pour moi.
Quand je vois les contraintes, la fatigue, les sacrifices que cela implique, je me dis que ce n’était vraiment pas fait pour moi et que surtout cela ne m’aurait pas rendue heureuse.
Je suis libre. J’adore mon métier dans lequel je m’investis beaucoup, j’aime voyager, randonner, lire, prendre du temps pour moi, passer du temps avec mes amis. Je m’intéresse à une tonne de choses et j’ai du temps pour tous les projets et toutes les envies qui me passent par la tête.
À 41 ans, je ne me suis jamais sentie aussi bien dans ma peau et sereine. Aussi sûre de moi.
Mes réponses aux personnes qui jugent mes choix de vie
À ceux, de moins en moins nombreux, qui continuent à me dire que notre choix est bizarre, anormal, que je « serai seule quand je serai vieille » (il faut croire qu’ils ne trouvent plus d’autres arguments pour me convaincre que j’ai tort), je réponds que pour moi le fait d’avoir une vie riche et remplie d’amour n’a rien à voir avec le fait d’avoir des enfants.
Déjà, on ne fait pas des enfants pour ne pas être seul plus tard… Mais surtout, pour moi les liens du sang ne sont pas supérieurs aux autres liens, ceux que l’on tisse tout au long de notre vie avec nos amis, nos collègues, nos voisins, etc.
Justement, n’ayant pas d’enfants, j’ai beaucoup plus de temps à accorder aux âmes qui me sont chères et plus d’occasion de partager des moments forts avec plein de personnes différentes. Il y a beaucoup d’amour et de joie dans ma vie.
Je comprends l’envie d’enfant mais j’aimerais que celles et ceux qui en ont comprennent que leur désir n’est pas universel et que leur mode de vie ne correspond pas à tout le monde. J’aimerais que certains cessent de juger, de culpabiliser les personnes qui ont fait un choix différent et qu’ils cessent de croire qu’ils savent mieux qu’elles ce qui peut les rendre heureuses.
À celles qui ne veulent pas d’enfant
À 20 ans, je savais déjà ce que j’assume enfin pleinement à 41 ans. J’aurais aimé ne pas avoir à passer par ces étapes douloureuses avant d’en arriver où j’en suis actuellement. C’est pour cela que je veux te dire à celles qui a 20, 30 ans et ne sentent pas en elles l’envie d’être mère : cela n’a aucune importance !
Peut-être que vous en aurez envie plus tard ou peut-être pas mais cela ne conditionne en rien le fait que vos vies soient réussies, et que vous soyez heureuses et épanouies. Une femme épanouie n’est pas une femme qui a des enfants, c’est une femme qui suit sa propre voie, qui s’écoute et se respecte.
Ne réfléchissez pas trop, ne vous mettez aucune pression, faites ce qui vous anime et vous fait briller, faites ce qui vous fait du bien et vous rend heureuse. Si vous faites cela, vous avez peu de risques de vous tromper de voie. Car ce n’est pas votre utérus qui définit ce que vous êtes, qui définit votre féminité. N’écoutez pas les autres autour. Vous seules savez ce qui est bon pour vous.
Je vous souhaite d’être plus fortes et assurées que je ne l’ai été car j’ai perdu trop de temps inutilement à douter. Je suis sûre que si j’avais eu un modèle au-dessus de moi pour me dire tout ça, j’aurais certainement su affirmer et assumer beaucoup plus tôt mon non-désir d’enfants.
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Crédit photo : Max Ilienerwise / unsplash
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