Dès très petite, et jusqu’à l’âge de 19 ou 20 ans, j’ai eu deux complexes physiques majeurs, qui ont affecté mon existence :
- Mon nez
- Ma couleur de peau
Le gros avantage du premier, c’est que j’aurais pu chirurgicalement y remédier.
Mon nez, entre amour et haine
Ainsi, pendant douze piges, je me suis mis en tête qu’une fois arrivée à la majorité, je passerais sur le billard pour faire corriger par un expert ce nez trop imposant, dont la pointe tombait sur ma bouche de manière disgracieuse, et venait entamer un sourire que je n’osais du coup plus arborer.
Et puis une fois la majorité acquise, j’ai reconsidéré cette décision.
Mon nez faisait désormais partie intégrante de ma personnalité, et ceux qui le critiquaient ne méritaient pas mon attention.
Désormais, je vis très bien avec, même si parfois, je retombe dans mes vieux travers, et envisage de nouveau la chirurgie.
Ça n’est pas grave, les baisses d’estime de soi, ça arrive de temps en temps, et il ne faut pas les dramatiser.
Les miennes finissent en tout cas toujours pas passer.
Mais le complexe qu’il m’a été le plus compliqué à gérer pendant mon enfance et qui m’a poursuivie jusqu’à la fin de l’adolescence, est bien plus grave d’après moi, bien plus symptomatique des tares de nos sociétés.
Ce complexe, c’était ma couleur de peau.
Il est né très tôt, dans ma jeune enfance, dès l’école primaire…
Mon enfance et la naissance d’un complexe
Je suis née dans le quinzième arrondissement de Paris, mais j’ai grandi à Levallois-Perret.
Une banlieue parisienne très bourgeoise, un peu à l’instar de Neuilly. J’y ai passé le plus clair de mes années avant de déménager, une fois adulte, dans un quartier bien plus populaire : le 18ème arrondissement de Paris, vers Porte de Clignancourt.
À l’école primaire de Levallois, tout était chouette. L’établissement était mignon, les profs trop sympa, la cour était pleine de jeux ludiques, et j’ai rencontré des copines que j’ai encore aujourd’hui.
Seul hic ? Dans cette école, il n’y avait presque… que des blancs.
Toutes mes copines étaient blanches, tous les profs étaient blancs, et à l’exception de 6 ou 7 élèves tous niveaux confondus, tout le monde était blanc.
Ce qui n’avait jamais vraiment marqué l’enfant que j’étais jusqu’au jour où un garçon que j’aimais bien m’a demandé, à la sortie de l’école, « pourquoi t’es marron, et ton père encore plus marron ? ».
Je ne me souviens plus de ma réponse, c’était il y a 20 piges.
Quelques mois plus tard, un autre garçon m’a apostrophé : « Eh, la Chinoise, tu joues à chat perché ? »
Ainsi, j’ai compris que j’étais différente des autres.
Le racisme dans l’enfance
Les autres élèves n’avaient droit à aucun surnom relatif à leurs origines. Puisqu’étant blancs, personne ne s’interrogeait sur l’endroit où étaient nés leurs parents.
Je me souviens, pour le coup, avoir expliqué à ce petit garçon que je n’étais pas Chinoise du tout, mais que mon papa venait de l’Île Maurice, un pays de l’Océan Indien très joli, avec plein de poissons exotiques dans l’eau.
Une clarification don le gamin n’avait rien à secouer puisqu’il m’a appelé « La Chinoise » pendant encore quelques temps, sous prétexte que j’avais « les yeux bridés ».
Bref, j’ai traversé le primaire en sentant bien que je n’étais pas comme mes copines.
J’en ai parlé à ma mère, qui m’a expliqué que tous les parents n’avaient pas forcément éduqué leurs mômes sur ce qu’était le métissage, et qu’ils finiraient tôt ou tard par l’apprendre, grâce à l’école.
Et même si ma mère m’a toujours répété qu’il fallait être fier de ses origines, qu’elles apportaient à chacun une richesse inestimable, j’avais surtout intégré une info : j’étais différente des autres.
Et cette différence faisait de moi quelqu’un de moins bien, d’après l’enfant désormais complexée que j’étais.
À l’époque, l’idée d’être différente était insupportable.
D’autant que l’enfance est un moment charnière de l’existence où tu dois te construire, t’intégrer, apprendre à vivre avec d’autres humains etc.
Être différente, dans ma tête, c’était être moins bien
Oui mais voilà, les autres humains que je fréquentais n’étaient pas comme moi.
Et être blanche, ça avait l’air mieux, surtout auprès des garçons.
En tout cas, c’est ce que je me suis fourré dans le crâne.
En primaire, toujours, j’ai remarqué que mes copines plaisaient aux petits garçons. Ils se tiraient les cheveux les uns, les autres, se faisaient des bisous en cachette, et parfois même jouaient à « se marier ».
Sauf que personne ne voulait faire semblant de se marier avec moi…
La seule fois où j’ai osé exprimer mon transport à un petit garçon, je lui ai écrit une carte. Le problème ? Mes deux meilleures copines aussi lui ont écrit une carte, et nous avons attendu que ce petit mec dont nous étions toutes les 3 amoureuses, choisisse celle qu’il préfère.
Il a répondu : « Toi et toi ça va, mais Kalindi je la jette à la déchetterie. »
Vingt ans plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier.
Et dans mon esprit à peine formé, ceci ne pouvait signifier qu’une chose : j’étais moins bien que mes copines.
Et pourquoi j’étais moins bien ? Sans doute parce que j’étais différente ! Et pourquoi j’étais différente ? Parce que je n’étais pas blanche.
Ainsi, le complexe s’est gravé en moi.
Au lycée, j’aurais aimé changer de regard sur moi-même
Je n’ai quasiment aucun souvenir du collège. Je me rappelle de mes copines et de quelques heures de colle, toujours dues à l’oubli permanent et systématique de mes livres de cours, but that’s all.
Ce dont je me rappelle parfaitement, c’est du jour qui a précédé mon entrée au lycée.
Je m’étais mis dans la tête que pendant ces 3 années, j’allais m’épanouir, embrasser ma personnalité, apprendre à me plaire et à plaire tout court.
Mon objectif secret, que je n’avais révélé qu’à l’une de mes meilleures amies ? Avoir un petit copain.
Mais là encore, mes complexes, très incrustés dans mon cœur, ont mené la vie dure à mes ambitions.
Comparée aux autres filles, je me sentais moche.
Et surtout comparée à Dana, une fille immense aux cheveux châtains et aux yeux verts, qui faisait un tabac auprès de tous les ados boutonneux à mèche pour lesquels mon cœur s’emballait.
J’imaginais qu’elle allait finir mannequin.
Je n’étais ni blanche, ni noire
Quant à moi, avec ma peau sombre qui faisait « sale » comme on m’avait dit une fois au collège (où il y avait toutefois une diversité ethnique bien plus élevée), mes cheveux noirs, mes yeux bridés (j’ai appris plus tard qu’on appelait ça des yeux en amande), mon nez fort et mes tâches de rousseur qui n’avaient rien à foutre là, je me trouvais terne et bizarre.
D’autant que ma couleur de peau n’était pas franche. Je n’étais ni blanche, ni noire, et je n’étais même pas « caramel », comme mon amie Mélanie, dont le métissage franco-péruvien était superbe, d’après mes critères de beauté.
Moi, je me trouvais « kaki-jaune ».
Une couleur qui faisait un peu maladive selon moi, et qui m’a handicapée pendant encore tout le lycée.
Et puis au sortir du bac, j’ai rencontré un garçon de 12 ans mon aîné, dont je suis tombée folle amoureuse.
S’il s’est finalement avéré être un gros con doublé d’un danger public, il m’a au moins appris une chose qui m’avait jusqu’alors échappée : ma différence, c’était ma force, ma puissance et MON histoire. Celle qui me rendait unique.
Que ces paroles viennent d’un mec qui me plaisait, et surtout à qui je plaisais énormément, a tout changé pour moi.
Je déteste avouer que c’est par le regard d’autrui que j’ai appris à m’accepter, mais c’est pourtant la stricte vérité.
C’est grâce à ce type que j’ai appris à me trouver jolie et surtout à faire de mon métissage une vraie force. Alors que mes parents avaient essayé de m’aider à m’accepter bien avant.
Mais quelle est la valeur de l’avis d’un parent à côté de la première personne qui te témoigne du désir ?
Aujourd’hui, j’aime raconter l’histoire de mes parents : la manière dont ils se sont rencontrés, dont ils sont tombés amoureux, le regard qu’ont posé les belles-familles sur cette union inter-raciale, etc.
Ma couleur de peau et mes origines, de gros complexes à grande fierté
Mon métissage, c’est mon histoire.
Je sais qu’elle ne ressemble à aucune autre, et elle fait du coup ma fierté.
Aujourd’hui, par ailleurs, le monde a changé.
Quand j’étais môme, j’adorais les magazines féminins. Je bavais devant les fringues que je ne pourrais jamais m’offrir, et je rêvais de ressembler à ces filles blanches, blondes, aux yeux clairs qui rentraient dans des fringues minuscules.
J’ai grandi avec la blancheur comme quasi-seul modèle de beauté.
Désormais, les magazines, la télévision, la mode et la publicité s’efforcent de jouer le jeu d’une plus grande diversité ethnique.
Alors j’ai bon espoir que plus aucune petite fille ne complexe de n’être pas blanche.
L’idée d’une supériorité et à l’inverse d’une infériorité dues à une couleur de peau, ça n’est ni plus ni moins que du racisme.
Ce que les autres enfants ont instigué, involontairement bien sûr, dans ma tête de petite fille, c’est que ma couleur de peau faisait de moi quelqu’un de trop différent pour être considéré au même titre que les autres gamines.
Le rejet que j’ai moi-même fait de cette différence a dessiné les contours d’une hiérarchie par couleurs dans ma tête.
Aujourd’hui, ça me semble absurde, complètement dingue, mais à l’époque… j’étais donc raciste.
Et je me considérais du « mauvais côté de l’humanité » : le côté des non-blancs.
Un schéma atroce, raciste et archaïque que la société a instauré dans mon crâne à coups de pubs, de films, de magazines, de séries, et par des cours d’Histoire lors desquels j’ai appris que les populations persécutées étaient souvent non-blanches.
Si en 2020, la société est partie pour changer, je pense qu’il reste du boulot à faire quant à la représentation des diversités, dans les médias, la pub, la pop-culture, et dans les mentalités.
Mais je reste positive, car en 2020 les petites filles ont droit à plus de modèles qu’elles n’en avaient dans les années 90.
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