Ce témoignage est accompagné d’un article de Maëlle Le Corre sur le sexisme et l’inertie de la médecine face aux maladies et aux douleurs vulvaires. À ouvrir aussi pour compléter votre lecture !
Si vous avez une application de suivi de vos règles sur votre smartphone, vous connaissez peut-être déjà la fem-tech, ce secteur du numérique focalisé sur la santé féminine.
Moi, j’ai découvert ce monde presque par hasard, en travaillant dans les milieux de l’innovation et des start-up. Dans cette branche, je pouvais allier mon expertise dans l’innovation à mes valeurs féministes. J’ai commencé à m’y intéresser il y a quatre ou cinq ans, en faisant de la veille, des analyses de marché…
Medfem collective, ma première association
Et puis, face aux nombreux témoignages qui affluaient autour du sexisme rencontré par les patientes dans la médecine, j’ai lancé mon premier projet :
Cette association avait pour but de faire la lumière sur des pathologies surreprésentées chez les femmes, mais ignorées par le monde médical — un milieu où le sexisme règne !
Avec cette plateforme, il était possible de parler de certaines douleurs ou de certains problèmes propres aux corps perçus comme féminins, et souvent minimisés par les professionnels de santé. J’ai eu beaucoup de retours sur cette création : des personnes qui me disaient merci, ou d’autres qui m’appelaient pour me demander de l’aide ou des conseils sur leur parcours médical.
Parmi les thématiques récurrentes de ces appels, il y avait les problèmes de vulves. Des douleurs, des inconforts, des gênes… des symptômes ignorés par les professionnels auxquels s’adressaient les gens qui les rencontraient.
Non, il n’est pas normal d’avoir des douleurs vulvaires
Je me suis penchée sur le sujet, et j’ai constaté beaucoup de choses. Ou plutôt, beaucoup de problèmes qu’il fallait résoudre !
D’abord, j’ai constaté qu’on ne trouvait que très peu de choses sur le sujet. Peu d’informations, et peu de recherches. Ensuite, j’ai constaté qu’on répétait toujours la même chose à celles et ceux qui en souffraient :« ça va passer, ce n’est rien d’important, c’est dans votre tête ».
Pourtant, je recevais des témoignages terribles. Des femmes qui racontaient des brûlures, des douleurs si intenses qu’elles ne supportaient plus d’aller au travail car elles ne pouvaient pas rester assises, qui ne pouvaient plus faire du vélo, qui ne pouvaient plus marcher très longtemps…
Cette inertie du corps médical m’a rappelé mon expérience à moi, à l’adolescence, quand je faisais du vaginisme et que les gynécologues me répondaient « c’est normal ». Ce n’était absolument pas « normal ».
Face à la douleur des personnes à vulves, il n’est pas acceptable que l’on réponde sans cesse cette même chose. Alors, je me suis dit qu’il fallait qu’on agisse sur la question.
Un carnet pour suivre les douleurs vulvaires
En parallèle de ces réflexions, avec Medfem Collective, nous réfléchissions à l’intérêt du suivi quotidien dans le soin : le fait de noter, chaque jour, la manière dont on se sent. Et le déclic est né ! On s’est dit « On a le sujet, les douleurs vulvaires, et l’outil thérapeutique, le suivi ».
En juin 2020, il y a un an, nous avons donc commencé à travailler sur un outil de suivi. Sans ressources pour développer quelque chose de très complexe, nous avons commencé par un petit carnet, simple à créer et peu coûteux.
On a fait ça bénévolement, en dehors de notre temps de travail. Cela a été intense et nous a coûté beaucoup d’énergie, mais trois mois plus tard, nous sortions notre premier carnet, Maux de vulve.
Ce petit livret permettait de faire un suivi de ses douleurs vulvaires sur 35 jours, et d’y noter au jour le jour comment on se sentait, où se situaient les douleurs par rapport à son cycle menstruel ou à son état de santé psychologique.
Sans aucune communication, nous avons réussi à en vendre plus de 650, à des patientes comme à des médecins.
Et les retours étaient positifs ! Pour certaines personnes, ce carnet était une preuve qui obligerait leur médecin à les écouter. Pour d’autres, c’était un outil de relativisation qui permettait de réaliser qu’elles n’avaient pas mal en permanence. Mais nous avons vite réalisé que ce petit carnet ne suffisait pas à tous les besoins relatifs aux maux de vulves.
Un peu trop petit, pas assez personnalisable, critères manquants… Nous avions besoin d’un outil plus complexe. Alors, sept mois et un carnet plus tard, nous avons décidé de lancer une véritable application. C’est comme ça qu’est née Vulvae !
C’est quoi, le principe de Vulvae ?
L’application, dans la suite de ce premier projet, est pensée comme un carnet de santé.
Elle permet de faire un suivi quotidien de ses sensations et de leur fréquence, via le remplissage d’ un questionnaire régulier et entièrement personnalisable. Il peut prendre en compte le mode de vie, la sexualité, les soins et traitements mis en place et leurs effets… Le tout, en fonction des besoins et des envies de chacun et chacune !
Compiler toutes ces informations, cela permet de voir les facteurs qui influencent les douleurs positivement ou négativement, et de les identifier : on peut se dire, « je suis anxieuse, j’ai plus mal que d’habitude », ou bien « j’ai eu un rapport sexuel non pénétratif, ça n’accentue pas mes douleurs ».
Évidemment, ce n’est pas un traitement médical — l’application vient en soutien du parcours de santé. Mais cela permet aux personnes concernées d’être actives dans la gestion de leurs symptômes et de connaître mieux leur corps et leur vulve.
En plus, au quotidien, une douleur chronique, ça se gère, et il faut pour cela des outils très différents d’une personne à une autre. Avoir des solutions de bien-être, des conseils, ou des recommandations, cela peut réellement aider. C’est ce que Vulvae veut proposer !
Comment nous avons lancé le projet
Entre cette première idée et aujourd’hui, un peu plus d’une année s’est écoulée. Il y a trois mois, j’ai pris la décision de quitter mon travail pour me lancer à plein temps sur l’application.
J’avais atteint la capacité maximale de ce que je pouvais faire sur mon temps bénévole, et j’étais épuisée de cumuler ce projet avec mon travail de manager dans l’innovation.
Et puis, j’ai eu de la chance : mon ancien employeur, dont le secteur d’activité n’est pas très éloigné de celui de ce projet, a fait le choix de me soutenir dans cette création ! Ils nous ont alloué un petit budget. Pas assez pour me rémunérer, mais assez pour démarrer le développement de l’application, et pour faire un peu de communication autour.
À présent, il faut encore financer le reste du développement, s’occuper du community management, et beaucoup de choses pour en faire un support utile et agréable, avec toutes les fonctionnalités dont les patientes ont besoin. C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui un crowdfunding !
Une application qui répondra à des enjeux d’importance
Si Vulvae a autant besoin d’exister aujourd’hui, c’est parce que le monde de la médecine moderne est un monde créé par et pour des hommes, où le corps masculin est considéré comme un neutre.
Quand une femme, ou une personne perçue comme telle partage une expérience négative, on va avoir tendance à minimiser son vécu, au point d’oublier certains savoirs.
C’est le fruit d’une longue histoire. D’un côté, la douleur fait partie de la manière dont l’imaginaire collectif pense la féminité. De « tu enfanteras dans la douleur » à « la première fois, ça fait mal » ou « les règles, ça fait mal », c’est une constante attribuée au féminin depuis très longtemps.
Puis, d’un autre côté, on a longtemps associé la douleur féminine (surtout quand il s’agit de douleurs sexuelles) à la psychologie. Alors, on balaie souvent d’un revers de bras ces plaintes, quand les femmes et personnes à vulve les expriment.
C’était le cas avec l’endométriose, qui commence aujourd’hui à être reconnue comme une réalité médicale qu’il faut traiter avec justesse. C’est la même chose pour les douleurs de vulve ! Aujourd’hui, peu de médecins sont à l’écoute et formés à la prise en charge des souffrances vulvaires, un constat dramatique quand on sait le nombre de personnes concernées par ces problèmes.
Dans les témoignages que nous récoltons, une minorité de personnes nous disent être tombées sur des spécialistes capables de répondre à leur plainte par un diagnostic. Et puis, lorsqu’ils ne sont pas formés, peu de médecins savent dire « je ne sais pas ce que vous avez, mais nous allons chercher ensemble ». La majorité est laissée de côté avec un « je ne sais pas, je ne peux pas vous aider ». Sans parler des violences gynécologiques et obstétricales…
« Les maladies vulvaires existent et sont courantes »
Pourtant, les maladies vulvaires existent et sont courantes : la vulvodynie toucherait selon les études 10 à 15% des personnes à vulves selon les études, le vaginisme 9 à 17%, le lichen vulvaire 2%… Sans parler des mycoses, des cystites ou des vulvovaginites à répétition, souvent mal traitées — qui peuvent donner lieu à des suites plus graves !
Ces maladies méritent d’être traitées à la hauteur des souffrances qu’elles imposent aux personnes qui les vivent. La santé sexuelle ne doit pas être une santé au rabais : elle est importante !
Et même si avec cette application, nous ne remplaçons pas les médecins, nous pouvons au moins offrir de l’écoute, de l’accompagnement et du soulagement. Avec Vulvae, nous sommes là inconditionnellement, et pouvons aider les personnes qui en ont besoin à se faire entendre par leurs médecins.
Le projet d’application Vulvae est décrit plus en détail sur son site internet. Vous pouvez aussi soutenir le projet via sa cagnotte participative !
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
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