Je suis navré, mais il faut bien vous préparer mentalement. Dans quelque temps, un certain Hayao M. devrait nous offrir son dernier film, l’adaptation du livre Et vous, comment vivrez-vous ?.
Si un tel évènement finit par arriver (la production est vraiment lente), ce cher Miyazaki se remettra en retraite, se lancera peut-être dans un nouveau projet, ou plus vraisemblablement disparaîtra… et il faudra passer à autre chose — le grand public, les cinéastes et les exploitants ne comprennent pas toujours que Ghibli est, depuis un bon lustre, un artéfact du passé.
La bonne nouvelle ? De nombreux artistes de talent sont déjà présents sur l’échiquier de l’animation japonaise moderne. Il y a par exemple Masaaki Yuasa, le subversif qui tente tout et ne se plante presque jamais ; Naoko Yamada, une fine esthète venue de la télévision ; Makoto Shinkai qui a tout rebattu depuis Your Name … et Mamoru Hosoda le meilleur espoir de succès commercial en France, car il a choisi de ne jamais vraiment sortir de sa zone de confort.
Le réalisateur de toutes les familles
Il y a quelque chose qui force l’admiration, avec Mamoru Hosoda. Comme quelques-uns de ses pairs au sein du studio Chizu, il sort chaque film avec un timing de production millimétré de trois ans. Ils sont tous parfaitement plaisants, et il réutilise ses obsessions sans jamais verser dans le recyclage.
Hosoda parle toujours avec les mêmes codes, les mêmes figures, et du même truc : la famille.
Et de toutes sortes de familles. Pas nécessairement la famille nucléaire un peu neuneu, mais bien du lien qui unit — thématique chère à de nombreux blockbusters récents de japanime. Le superbe Les Enfants Loups (2012) évoque la monoparentalité, avec deux gremlins qui peuvent se transformer en canidés, certes. Avant lui, Summer Wars (2010) est un portrait de famille japonaise étendue à l’ancienne, puis Le Garçon Et La Bête (2015) parle de la famille qu’on choisit, de la connexion qui se cultive. En l’occurrence, celle qui lie un jeune orphelin et un gros ours qui fait vont faire du kung-fu.
Enfin, Mirai (2018) revient à la cellule familiale plus traditionnelle pour évoquer la jalousie du premier enfant à l’arrivée du second. Plus terre-à-terre, clairement très personnel pour Hosoda, on ne sort de cet improbable appartement d’architecte de Yokohama que pour plonger dans des tableaux fantaisistes qui déroulent l’arbre familial de ce vilain garnement.
Comme tous les autres, c’est un film qui s’avale sans souci aucun, il a juste eu le malheur de sortir en même temps qu’Une Affaire de Famille de Kore-Eda. À sujet similaire, traitement bien plus politique et subversif. Enfin, c’est un rituel un peu mignon, il y a toujours quelqu’un qui pleure de manière très réaliste dans chacun de ses métrages.
Ainsi, Belle, son sixième long-métrage (je n’ai pas parlé de ses incursions dans la série Digimon ou de La Traversée du Temps, super morceau de SF qui contient déjà toutes ses marottes) sort le 29 décembre au cinéma. Soudainement, le schéma est déconstruit, puisque c’est un film qui, cette fois, débat davantage de l’absence de famille ou de lien, de celui qu’on a perdu et comment évoluer sans.
Croyez le iencli : c’est bien chouette, et voici pourquoi.
Belle, quand Disney rencontre le fantasme du métavers
Belle nous narre la vie de Suzu, lycéenne de 17 ans qui vit au fin fond de la campagne et a du mal à communiquer avec son papa depuis la mort de sa propre mère, soudainement disparue quelques années plus tôt.
Complexée par ses tâches de rousseur, passionnée de musique et technophile, elle a un secret qui lui sert d’exutoire : elle se connecte régulièrement sur U, l’univers virtuel mondialement fameux. Elle y devient Bell, l’une des artistes les plus célèbres du réseau. Bientôt, les autres utilisateurs vont naturellement ajouter un « e » à son pseudo. La comparaison avec le conte bien connu va se filer quand l’un de ses concerts sera interrompu par un vilain monstre qui, on l’apprendra très vite, a aussi ses problèmes derrière l’avatar.
Après quelques entrechats, cette rencontre lui permettra d’un peu faire la paix avec elle-même.
Belle est un film bien plus actuel qu’il n’imaginait l’être. Il parle du fantasme du métavers, ce mot maintenant très à la mode qui excite inexplicablement tous les actionnaires de boîtes tech. Une marotte d’Hosoda, dès le tout début — il y a toujours une matrice virtuelle quelque part (et elle a toujours la même gueule). Celui d’un univers parallèle où tout le monde peut se réfugier, avec ses propres codes et son économie.
N’importe quel jeu de rôle en ligne (l’envie de faire comme tout le reste de l’humanité et de se réfugier dans Final Fantasy XIV est terriblement grandissante) est un métavers, Second Life était un métavers, VRChat désigne exactement la même chose… et U est celui de Belle.
Cette dernière est également une « Youtubeuse » virtuelle, à un moment où ce médium est déjà une industrie bien installée. Ce fait induit des problématiques passionnantes : l’identité, se cacher derrière un avatar, incarner n’importe qui et performer à envi… Mais ce n’est pas ce qui intéresse Hosoda — comme son confrère Shinkai, pas grand-chose n’est politique dans ses films, et il veut faire du divertissement avant tout.
Le contrat est rempli : parfaitement plaisant d’un bout à l’autre, Belle accumule les marottes du créateur. Dans une grosse [RÉFÉRENCE DISNEY], un [MACHIN FURRY] fait du [KUNG-FU] dans une [MATRICE VIRTUELLE], on y apprend que c’est [PAS FACILE LA FAMILLE]. Ils sont tous là, les réflexes d’Hosoda viennent y défiler tels les avatars qui paradent dans la toute première scène du film ; un spectacle éblouissant qui nous prouve que ouf, le studio Chizu fait de meilleures foules en 3D. Ou, du moins, il les soustraite et ça règle la question.
Dans l’ensemble, la comparaison avec La Belle Et La Bête est surtout un prétexte pour rendre un hommage au Disney, avec une scène iconique décalquée, un faux Gaston et quelques petits trucs semblables mais décorrélés de la véritable intrigue, qui se dévoile vers la fin.
Un film foutraque ? Pas tant que ça, il dégaine ses cartes tardivement, et navigue juste entre deux intrigues assez limpides, avec une articulation qui laisse un peu de place à l’amélioration. Car Belle sera le Hosoda des mauvais procès, comme l’on reprochait parfois à son précédent, Mirai, d’être trop simpliste et mécanique. Comme si un réalisateur n’avait pas le droit de réduire son champ d’action, quand bien même ledit film fait tout pour installer un dispositif métaphorique !
Du moins bon Hosoda, c’est toujours du bon cinéma
Belle a des défauts — il n’essaye même pas la moindre tentative de discours sur l’énorme arnaque technologique que constitue l’univers virtuel, et use de raccourcis dantesques pour faire avancer le scénario (un zoom improbable qui fera grincer les dents de tout le monde) mais il confirme toujours plus le savoir-faire de son créateur qui, enfin, anime son premier vrai personnage féminin depuis quelques éons.
C’est un best-of qui exploite — encore — les lieux communs installés par les précédents films, mais aussi un gloubiboulga de genre. Numéros musicaux, drame intime (la première vingtaine de minutes est excellente), scène de quasi-théâtre filmé rigolard à la japonaise et une ambiance au vert — de nombreux éléments qui rappellent Summer Wars, qui rend nostalgique tout une génération d’otakus. Belle brille toujours par son efficacité et son dosage, prouve que son réalisateur soigne un peu plus son storytelling et ses personnages tout en s’y détachant un peu pour une fois.
Bien sûr qu’on vous conseille Belle, surtout si la menace de refermer les salles obscures repointe le bout de sa truffe. Le film n’a pas l’évidente maestria du West Side Story de Spielberg, mais il s’y approche et a cette même pulsion de cinéma. Il a d’ailleurs quelque chose de très Spielberg dans Hosoda, avec cet amour du jeu de perspectives.
Enfin un personnage principal féminin
Enfin, Belle met en valeur un personnage féminin un peu plus complet et intéressant. Même si Suzu est lycéenne et a des problèmes de lycéenne, elle est bien moins personnage-fonction que son équivalente dans Le Garçon et la Bête, juste cantonnée à être intérêt amoureux du héros.
Et c’est le problème — les femmes d’Hosoda n’existent, parfois, que pour être articulées à leur féminité. Même Shinkai, qui tombe parfois dans le neuneu, a su nous intéresser à quelques personnages adultes dans Les Enfants Du Temps (ils ont aussi leurs drames intérieurs, bon sang). En attendant, toutes les adultes d’Hosoda sont des mamans, toutes les ados sont une composante d’amourette lycéenne. Mais c’est parfois fait avec un peu plus de subtilité que d’habitude — justement, le papa de Mirai a plus de facilités à se pavaner auprès des copines de maman que de faire attention au bébé, on sent une confession derrière.
Mamoru Hosoda a d’abord écrit sur lui, sur sa propre famille, sur la paternité, puis sur le fait d’avoir un autre gosse. Pour la première fois, il rend un métrage moins personnel, technophile mais visiblement pas très renseigné sur le sujet, où la technique, le storytelling et l’envie demeurent intacts.
Voir un Hosoda, c’est une garantie de passer un bon moment — Les Enfants Loups, c’est aussi une garantie d’être ému. Ça vous fait six films à découvrir, inégaux, mais pour le moment, un moins bon Hosoda reste encore du bon cinéma.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
C'est vrai mais c'était il y a dix ans ! Et la nana du Garçon et la Bête était vraiment rien de plus qu'un accessoire narratif, c'était pas terrible. Ce serait vraiment chouette s'il pouvait tenter d'écrire un perso qui ne soit pas une lycéenne vaguement amoureuse ou une maman. Je suis un gros otakes, j'aime bien ce genre de perso, mais même Shinkai a prouvé récemment qu'il pouvait écrire des personnages adultes.
Et il y a les mamans... mais ce que je reproche au gars, en sus, c'est de n'écrire que par le prisme de ses propres expériences. J'aimerais qu'il tente un peu autre chose.