Derrière sa devanture vert d’eau et ses grandes baies vitrées, Un Livre et une Tasse de Thé, est une librairie unique. Ouverte à l’automne 2020 rue Boulanger, à deux pas de la Place de la République, elle a acquis, en moins de trois ans, la réputation de petite enclave féministe et cosy, un safe space où l’on peut siroter un golden latte maison avant de s’offrir Vieille Fille de Marie Kock ou le dernier Pierre Lemaître.
Ce lieu vivant, pensé tout à la fois comme une librairie de quartier, une librairie spécialisée dans les écrits engagés et un salon de thé, a été pensé par Juliette Debrix et Annabelle Chauvet. Amies de longue date, les deux jeunes femmes ont imaginé ce projet ensemble. « On l’a pensé comme un lieu qui réunit ce qui nous anime dans la vie, nous explique Annabelle : la littérature, mais aussi l’engagement politique. Et parce qu’on est gourmandes ! On a voulu créer un lieu de vie, un espace de rencontres et d’échanges d’idées. On s’est demandé comment faire pour que la librairie ne soit pas qu’un lieu de passage, un endroit où on se croise. »
Mais aujourd’hui, cette librairie unique à Paris est menacée. D’où le lancement, lundi 5 juin, d’une campagne de crowdfunding pour assurer son avenir. Les deux fondatrices ont déjà récolté 65 000 € mais ont encore besoin de 15 000 € pour régler toutes leurs dettes, envisager une augmentation des salaires à hauteur de l’inflation et, surtout, lancer de nouveaux projets. Et la date limite pour participer à la cagnotte approche : elle se terminera le 13 juillet à minuit.
Un lieu accueillant et engagé
Un Livre et une Tasse de Thé n’est pas née dans un contexte facile. La librairie a ouvert ses portes en novembre 2020. « Très exactement le jour du deuxième confinement », précise Juliette Debrix. Même si les ouvrages féministes occupent une large place dans les rayons, les deux libraires ont aussi fait une place de choix aux ouvrages non-militants. Un parti pris assumé, pour séduire à la fois les féministes affirmées et une clientèle de quartier, peut-être plus habituée à acheter un thriller qu’un essai sur l’écoféminisme. « Il y a des gens qui ne viennent qu’au salon de thé, qui ne regardent que les couvertures ou viennent acheter le dernier Virginie Grimaldi, et c’est très bien aussi », assure Annabelle Chauvet.
Pour autant, pas question pour les deux co-gérantes de déroger à leur ligne éditoriale. Qu’il s’agisse de romans, d’essais, de livres jeunesse ou de BD, les livres passent le filtre « féministe, de gauche » des deux jeunes femmes, très attentives aux ouvrages qu’elles disposent dans leurs rayonnages. « On est identifiées comme féministes par notre clientèle. Les gens viennent aussi pour notre sélection. »
Et quelle sélection ! Depuis son ouverture, Un Livre et une Tasse de Thé a accueilli des dizaines de rencontres avec des autrices et auteurs, organise des ateliers d’écriture, des soires pop culture mensuelles avec l’autrice Jennifer Padjemi et la docteure en études cinématographiques Célia Sauvage, un book club féministe… « Notre objectif est de créer de l’émulation d’idées, de faire du lieu entre les mouvements de pensée, entre les différents publics », développe Annabelle Chauvet, qui pointe aussi le rôle-clé de la librairie dans le « soutien à la littérature engagée », « aux auteurices et aux maisons d’édition indépendantes qui ont l’audace de proposer de nouveaux textes ».
« Le troisième axe que l’on développe de plus en plus, c’est le travail de matrimoine, complète Juliette Debrix. On constate que les pensées féministes, et plus globalement de contre-culture, disparaissent plus rapidement. On tient donc à les entretenir, pour ne pas qu’elles disparaissent. » Après avoir mis à l’honneur la féministe italienne Carla Lonzi en mars, la librairie organise début juillet une soirée à l’essayiste américaine Gloria Steinem.
Un avenir en péril
C’est là tout le paradoxe. Alors qu’Un Livre est une Tasse de Thé a réussi, en deux ans et demi d’existence, à fédérer une clientèle fidèle, la librairie est menacée. « On arrive à un équilibre financier pour cette année fiscale, c’est plutôt encourageant. On a doublé le chiffre d’affaires des anciens propriétaires », se félicitent les deux fondatrices. Mais la période de Covid, durant laquelle a ouvert le lieu, met en péril son avenir. « On s’est lancées avec assez peu d’argent au départ. On pensait réussir à faire vivre la librairie assez rapidement. Il se trouve qu’avec les confinements successifs, le salon de thé n’a pas pu ouvrir avant quasiment un an. Toute notre économie en a été un peu remuée. On a accumulé des dettes sur cette période-là. »
Ces dettes ne sont pas tant le fait de l’absence de clientèle, mais plutôt de certains fournisseurs, peu enclins à se montrer bienveillants envers une petite librairie. « Celui qui nous demande le plus d’argent, c’est le groupe Hachette, propriété de Bolloré, constate Juliette Debrix. On n’a aucune marge de manœuvre, aucune marge de négociation, et c’est avec eux qu’on a les plus petites remises, le moins de flexibilité, le moins de prise de risque… On se fait écraser. »
Une campagne de financement joyeuse et militante
Pour survivre et proposer une sélection tout à la fois féministe et grand-public, Un Livre et une Tasse de Thé a désormais besoin de ses lecteurices. Objectif des deux co-gérantes : récolter au moins 80 000 € pour éponger les dettes de la librairie et augmenter les salaires à la hauteur de l’inflation – en plus d’elles deux, elles emploient une libraire et une apprentie libraire à temps plein, et une chargée de communication à temps partiel. Récolter une telle somme leur permettrait aussi de continuer à se développer. « On a plein d’idées, comme la refonte de notre site internet défaillant, inviter des auteurices étrangères à la librairie, produire un festival, mettre en œuvre un archivage des luttes féministes… », écrivent les deux cogérantes d’Un Livre et une Tasse de Thé sur leur page KissKissBankBank.
En contrepartie de leur coup de pouce financier, les lecteurices obtiendront des contreparties, et pourront même espérer remporter aux enchères des « dons » précieux et exclusifs de 18 personnalités militantes. « De jolies surprises », promet Annabelle Chauvet, comme des illustrations de Pénélope Bagieu, des ateliers podcasts, des ateliers d’écriture… « Il y a cette urgence et cette gravité de sauver la librairie qui est un lieu politique, mais on aimerait que ce soit joyeux. C’est pour ça qu’il y aura aussi une soirée organisée fin juin, avec des artistes musicaux qui nous offriront de leur temps et de leur talent. »
Pour aider Un Livre et une Tasse de Thé, et donc soutenir une librairie féministe, engagée et indépendante, leur campagne KissKissBankBank est ici.
Vous pouvez aussi leur commander plein d’ouvrages (féministes ou non) et ainsi assurer la pérennité de leur activité. C’est toujours ça de moins donné à Amazon…
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Par contre, j'ai eu beau chercher depuis la parution de l'article, je n'ai trouvé nulle part d'informations sur la soirée dédiée à Gloria Steinem qui y serait organisée.