L’annonce a été faite le 25 novembre 2022, lors de la soirée Ça va bien se passer, une remise de prix (forcément) ironiques pour saluer le sexisme des hommes politiques, organisée par l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. Sur scène, entre deux récompenses, Nadhéra Beletreche et Assia Hifi ont présenté pour la première fois la création de l’Observatoire du Racisme en Politique et son lancement le 3 décembre, date anniversaire de l’arrivée de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.
« Aujourd’hui le constat est alarmant et sans appel », déplorait Assia Hifi à la tribune : « le racisme dans le débat public s’est banalisé. Le RN et les autres partis racistes progressent de manière spectaculaire et cumulent plus de 13 millions de voix. 89 députés d’extrême-droite ont fait leur entrée à l’Assemblée nationale. »
Pour comprendre cette banalisation du discours raciste en politique et plus globalement dans les médias, mais aussi en savoir davantage sur ce nouvel outil de lutte qu’est l’Observatoire du racisme en politique, on a rencontré Nadhéra Beletreche. Cette militante antiraciste, féministe et engagée contre les LGBTQIphobies, conseillère municipale de Cachan de 2008 à 2014, a été candidate aux législatives pour la Nupes en 2022. Elle est aussi l’autrice de Toxi-cités, pour en finir avec les ghettos.
Un laxisme face au racisme
La montée des idées de l’extrême-droite, cette militante la voit depuis 2005, année du début de son engagement militant et année de la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois, deux adolescents qui tentaient d’échapper à un contrôle policier. C’est à cette époque qu’elle participe à la création du collectif Racailles de France, un nom volontairement provocateur pour pointer « cette dichotomie que faisait Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, entre les vrais jeunes qui font des études et les racailles qui brûlent des voitures » : « Nous, on était des jeunes étudiants et on ne voulait pas de désolidariser des émeutiers. »
Le racisme est-il laissé dans l’angle mort de la lutte contre les discriminations ? Elle va même plus loin :
« Je ne vois aucune réponse politique au racisme, aucune mesure sérieuse. Je suis d’autant plus à l’aise pour le dire que je suis militante contre les LGBTphobies et féministe, et je vois la différence de traitement.
Les luttes féministes ont un écho maintenant, même si c’est loin d’être facile, et les luttes contre les LGBTphobies aussi, le gouvernement a annoncé 1,5 million d’euros sur cette mandature. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait sur le racisme ? Il y a zéro politique publique sur le sujet. »
S’ajoutant à ce premier constat, un deuxième a abouti à la création de cet Observatoire du racisme en politique, celui « d’une sous-représentation des personnes racisées, des personnes non blanches » sur le terrain politique : « L’Assemblée nationale n’est toujours pas une assemblée représentative de la diversité des Français. »
La gauche aussi doit affronter son propre racisme
On aurait tort d’attribuer la diffusion des idées racistes à un seul parti politique. Nadhéra Beletreche le rappelle, le racisme est non seulement partout, mais il fait surtout partie de la façon dont le pouvoir est organisé : « On voudrait nous faire croire que le racisme c’est simplement le Rassemblement national, alors que comme l’homophobie, le sexisme, ça structure toutes nos institutions. »
Elle pointe aussi un impensé très fort sur cette question du racisme dans des formations politiques perçues comme progressistes :
« Les partis de gauche se croient naturellement antiracistes, mais concrètement, que font-ils contre le racisme ? Est-ce qu’ils ont des cellules d’écoute ? Est-ce qu’il y a des formations ? Et pourquoi ont-ils investi si peu de personnes non blanches et des quartiers populaires aux législatives ? »
Et même investies, elles ne sont jamais à l’abri d’un revirement de leur propre camp. En mai 2021, durant la campagne des élections départementales, Sara Zemmahi, une candidate LREM de Montpellier, est violemment attaquée par Jordan Bardella et le Rassemblement national au motif qu’elle porte le voile sur son affiche de campagne. Loin de la soutenir, le délégué général de LREM Stanislas Guérini avait alors menacé de retirer le soutien du parti si la photo n’était pas changée. En France, une femme qui porte le voile n’a donc pas sa place sur une affiche de campagne.
Des exemples de racisme ordinaire, Nadhéra Beletreche en a vécu elle-même :
« Quand j’ai été candidate aux législatives, on me confondait systématiquement avec une candidate de droite issue de l’immigration nord africaine. On ne se ressemblait pas du tout. On ne se rend même pas compte de ce qui se joue quand il n’y a que deux Asiatiques ou que deux Noirs, et qu’on pense que c’est la même personne. »
Elle met enfin en garde contre une forme d’instrumentalisation quand des partis choisissent d’investir des personnes racisées, mais sans aller beaucoup plus loin : « C’est de la figuration. Clairsemer son exécutif de deux ou trois Arabes, ou deux Asiatiques, ça ne fait pas une politique publique antiraciste. »
Un déni français ?
Comment expliquer le manque d’engagement politique contre le racisme ? Pour Nadhéra Beletreche, la réponse est forcément multifactorielle. La militante y voit déjà un lien avec cet universalisme à la française, une « histoire qui a écrasé les particularismes mais qui se croit vraiment universaliste ».
Impossible aussi de contourner l’histoire coloniale de la France :
« Cela nous amène directement à un passé dont la France ne veut plus entendre parler, dont une partie des Français ne veut plus entendre parler. Même si les discours évoluent, même si on ne parle pas des personnes racisées de la même manière aujourd’hui que pendant l’époque coloniale, il y a des stéréotypes qui sont issus de cette histoire-là. Parler de racisme, c’est aussi parler du passé colonial esclavagiste de la France. Je pense que c’est un autre point de blocage. »
Un observatoire pour quantifier les discriminations raciales
Des leviers d’action sont possibles, mais pas sans volonté politique claire. Nadhéra Beletreche prend pour exemple les lois imposant des quotas pour les femmes, sous peine de pénalités afin d’atteindre la parité. Pour autant, la France reste un pays réfractaire aux mesures coercitives et à des statistiques sur le manque de représentation de personnes racisées. « On est mal à l’aise avec ça, alors que si on le faisait, je pense qu’on mesurerait l’ampleur du phénomène. Mais faire ce diagnostic-là, ça voudrait dire aussi mettre en place des mesures. »
Premier objectif pour l’Observatoire, obtenir des financements pour le lancement d’études pour quantifier les discriminations dans les institutions, identifier les plafonds de verre, et d’un appel à témoignages pour recueillir la parole de celles et ceux qui subissent le racisme en politique.
Pourquoi pas aussi une cérémonie sur le modèle de Ça va bien se passer pour épingler des propos racistes trop peu reconnus comme tels : « Il y a un laisser-faire total. Tous les jours, des paroles racistes s’expriment avec zéro réaction en face, ce sont des éditorialistes qui ont pignon sur rue et qui nous construisent comme une menace sur à peu près tous les sujets : sur la sécurité, sur la laïcité, même sur le féminisme, et sur l’identité de la France maintenant, avec le “grand remplacement”. Cette parole qui s’exprime en toute impunité, évidemment qu’elle a des conséquences. »
Les créatrices de l’Observatoire veulent installer un « rapport de force » avec les institutions : « On veut aussi aller déranger le gouvernement », insiste Nadhéra Beletreche. « On va demander des comptes, comme le font les féministes qui demandent deux milliards d’euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. »
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Crédit photo : Richard Ying et Tangui Morlier, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
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