Odile s’est suicidée le 1er janvier 2021 sur la plage de Toulon. Ses frères et sa sœur en sont convaincus : si elle en est arrivée là, c’est à cause de son mari, avec qui elle était en couple depuis dix ans. C’est cet homme qui lui aurait fait vivre un enfer au point que la seule échappatoire était de commettre l’irréparable.
Pour cette raison, les proches d’Odile ont porté plainte contre cet homme pour suicide forcé. C’est une première en France.
« Il a pris le contrôle de sa vie »
Pour Fadila, la sœur de la victime, le conjoint d’Odile a joué un rôle certain dans son suicide : « Je suis convaincue à 200% de la responsabilité du mari de ma sœur dans son décès, dans son suicide », a-t-elle affirmé dans une interview pour RMC, avant de raconter la descente aux enfers qu’aurait vécue sa sœur :
« Jusqu’en 2010, jusqu’à ses 40 ans, c’était une femme indépendante, qui vivait seule, très joyeuse, indépendante financièrement qui travaillait, qui avait une vie sociale très riche, qui avait des amis, une vie, des activités. Elle a rencontré ce monsieur sur un site de rencontres et très rapidement ce monsieur s’est installé chez elle, a pris le contrôle de sa vie, il a éloigné tout son entourage. »
Fadila affirme que sa sœur a été isolée, empêchée de pouvoir communiquer avec ses proches, qu’elle envoyait des SMS en cachette, ou même qu’elle ne pouvait pas se déplacer librement. L’homme aurait exercé un contrôle, une emprise totale : sur son argent, sur ses allées et venues, sur ses repas, bref sur toute sa vie. Fadila parle même d’un changement de personnalité : « C’est comme si c’était lui qui parlait à travers elle. »
La sœur d’Odile souhaite qu’une enquête soit ouverte rapidement par le procureur.
« Les circonstances de sa disparition permettent d’établir un lien sans équivoque avec sa relation entretenue avec H. depuis 2010, même si le passage à l’acte est forcément plurifactoriel », explique au JDD l’avocat des proches d’Odile, Victor Zagur.
« Le texte de loi n’exige d’ailleurs pas que le harcèlement soit l’unique cause du suicide. »
Une loi récente pour reconnaître le suicide forcé
C’est lors du Grenelle sur les violences conjugales organisé à l’automne 2019 que le groupe de travail sur les violences psychologiques et l’emprise a exprimé la nécessité de reconnaitre comment les comportements d’un conjoint peuvent entrainer le suicide
dans les cas de violences conjugales.
Courant 2020, l’article 222-33-2-1 du Code pénal qui reconnaissait les « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » a été modifié pour intégrer les cas où ces comportements ont entrainé un suicide ou tentative de suicide, qui sont désormais passibles de dix ans d’emprisonnement et de 150.000€ d’amende.
La question du suicide forcé est épineuse d’un point de vue juridique : comment faire reconnaitre le suicide forcé, quelles preuves amener quand la victime n’est plus là pour parler ?
Une loi difficile à mettre en pratique ?
En l’absence de sa parole, il faudra que le dossier contienne des témoignages de l’entourage qui atteste du harcèlement vécu par la victime, des preuves matérielles montrant un isolement forcé, une emprise psychologique. Une « autopsie psychologique » pour « remonter toute l’histoire de la victime, des violences qu’elle a subies », préconisait la députée Yael Mellul lors du Grenelle.
Dans Libération, Audrey Darsonville, professeur de droit pénal à l’université Paris-Nanterre, pointait les difficultés pour mettre en pratique de cette récente loi :
« La prise en considération des violences psychologiques est une avancée considérable dans la lutte contre les violences conjugales, même si la preuve de telles violences reste très difficile. La création de l’emprise sera-t-elle de nature à faciliter cette preuve ? L’emprise qui s’entend comme la mise en place d’un processus de domination sur autrui risque d’être soumise à des difficultés de preuve similaires. Comment démontrer ce qui n’est pas une atteinte au corps, mais à l’intégrité psychique ? »
Pour l’avocat de la famille d’Odile, cette première plainte sera un « test » qui permettra de voir « si cet article est réellement pris au sérieux. »
Si cette plainte pour Odile est la première, faut-il s’attendre à ce que d’autres cas émergent ? Selon le groupe d’experts Psytel, 217 femmes se sont donné la mort en France en 2018 en raison de « violences psychologiques, physiques et/ou sexuelles subies » dans le cadre conjugal.
N’hésitez pas à joindre le 39 19 : l’appel est gratuit, n’apparaîtra pas sur la facture téléphonique, et vous pourrez parler à des personnes qualifiées qui soutiennent, renseignent et conseillent sans jamais porter de jugement. Un site Internet est également mis à la disposition de tous.
Si vous avez des pensées suicidaires, ou que l’un de vos proches est concerné, vous pouvez contacter des lignes d’écoute :
- Le standard du Fil Santé Jeunes : 0800 235 236
- La site de l’Assurance Maladie : Crise suicidaire : agir avant la tentative de suicide
- Suicide écoute : 01 45 39 40 00 (7j/7, 24h/24)
- SOS suicide phénix : 01 40 44 46 45 (7j/7, de 13h à 23h, prix d’un appel local.
À lire aussi : Grenelle des violences conjugales : que faut-il retenir des dernières annonces du gouvernement ?
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Les Commentaires
Beaucoup de suicides cachent des agresseurs qui s'en sortent blanc comme neige, et il est temps de changer ça.