« J’ai tué ma copine. » Voici les premiers mots que Filippo Turetta, 22 ans, a adressé à la police allemande le soir du 18 novembre, lors de son interpellation. Sale et en état de choc, il a improvisé une fuite après le féminicide de Giulia Cecchettin, du même âge, qui n’était plus « sa » copine depuis plusieurs mois.
Une semaine plus tôt, le 11 novembre, Giulia avait retrouvé Filippo pour un dîner au McDonald’s. Ils avaient été en couple pendant un an, elle avait rompu. Il était trop possessif, avait-elle confié à sa famille, mais avait accepté sa demande de rester amis. « J’aimerais qu’il disparaisse », confiait-elle à ses copines dans un message vocal envoyé sur WhatsApp. « En même temps, il me dit qu’il est dépressif, qu’il a arrêté de manger. (…) J’aimerais disparaître de sa vie, mais je me sens coupable. Peut-être qu’il me dit tout ça seulement pour rester collé à moi, mais la pensée qu’il puisse se blesser et que ce soit ma faute… me tue. »
La nuit du 11 novembre, Filippo Turetta agresse Giulia Cecchettin à 150 mètres de son habitation. Elle perd connaissance, il la charge dans sa voiture. Son corps ne sera retrouvé qu’une semaine plus tard, au fond d’un ravin, martyrisé de 26 coups de couteau.
L’histoire de la mort de Giulia Cecchettin fait écho à celle de toutes les victimes de féminicide et a profondément ému l’Italie. Pourtant, cette fois-ci, l’écho résonne faux.
« Pour Giulia, brûlez tout »
Dans une interview en direct pour l’émission télévisée Dritto e Rovescio du 19 novembre, Elena Cecchettin, sœur cadette de Giulia, rebat toutes les cartes.
« Filippo Turetta a été défini comme un monstre », lance-t-elle avec lucidité, le regard droit dans la caméra. « Mais il n’est pas un monstre. Un monstre est une exception, une personne étrangère à la société et dont la société n’a pas la responsabilité. Au contraire, la société est responsable. Les monstres ne sont pas des malades, ils sont les fils sains du patriarcat et de la culture du viol. » Elena termine ainsi son appel : « Pour Giulia, pas une minute de silence. Pour Giulia, brûlez tout. » Ces mots, relayés sur tous les réseaux sociaux, ont enflammé la société italienne.
Mercredi, à la place des deux minutes de silence en hommage à Giulia Cecchettin demandées par le ministre de l’Éducation Giuseppe Valditara, les élèves ont choisi de se faire entendre. Deux minutes de « rumore » (« bruit » en français), pour les femmes qui n’ont plus de voix, symptôme d’une rage qui gronde dans les écoles comme dans les rues.
Elena Cecchettin a réussi non seulement à nommer les évènements liés à la mort de sa sœur, mais a complètement changé le schéma narratif habituel du féminicide en Italie. Isabella Borrelli, activiste transféministe et LGBTQIA+, porte-parole de l’association italienne Non una di meno, commente : « Pour la première fois, la narration à l’égard de la victime d’un féminicide n’a pas été culpabilisante ni humiliante. Elena a opposé une nouvelle narration à celle des médias. Et la réponse de l’opinion publique n’a jamais été aussi forte et compacte. » Le téléspectateur italien s’attendait à écouter une sœur cadette affligée. Il s’est retrouvé nez à nez avec une jeune femme coriace, énumérant les responsabilités de la société patriarcale italienne dans la mort de sa sœur.
L’appel d’Elena a enclenché une discussion publique la semaine même du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. L’association Non una di meno a organisé pour samedi à 14 heures deux grandes manifestations à Rome et à Messine. « Nous serons la voix de Giulia Cecchettin et de toutes les autres femmes qui n’ont plus de voix », promet Isabella Borrelli.
L’Italie, un pays patriarcal ?
L’histoire de Giulia Cecchettin et la dynamique de sa relation avec Filippo Turetta ont contribué à l’ouverture d’une discussion publique sur les féminicides et sur le patriarcat en Italie. Un des six pays en Europe (avec Lituanie, Pologne, Roumanie, Bulgarie et Chypre) qui ne propose pas d’éducation sexuelle et affective obligatoire dans les écoles. Un sujet controversé pour des raisons « sociales, culturelles, religieuses et politiques », selon le rapport EduForIST de 2020, financé par le ministère italien de la Santé. Un pays où, si les meurtres ont diminué de moitié ces derniers vingt ans (711 en 2004, 314 en 2022), les féminicides sont restés stables. Les femmes tuées par leur partenaire ont été 72 en 2004, 70 en 2022, selon les chiffres publiés par l’ISTAT.
Ce mercredi, le ministre italien de l’Éducation Giuseppe Valditara a présenté le plan « Éduquer aux relations », pour introduire une éducation sexuelle et affective dans les lycées. Il ne sera pas obligatoire et prévoit le consensus des étudiants et de leurs parents.
Il est jugé superficiel et incohérent par l’association « Cattive Maestre », qui milite depuis des années pour l’éducation sexuelle dans les écoles. « Dans son plan, le ministre ne parle jamais de consensus », explique Vanessa Bilancetti, porte-parole de l’association : « Il ne parle jamais de sexualité ni d’identité de genre. Ce n’est pas ce que nous demandons. » Sur sa page Instagram, « Cattive maestre » définit le plan du ministère comme étant « offensif à l’égard de la rage diffusée et transversale de ces derniers jours ».
Pour l’instant, la réponse du gouvernement n’est que de l’huile sur le feu allumé par Elena Cecchettin.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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