Imaginez disposer d’un outil qui puisse remplacer vos yeux, vos bras, votre voix, vos oreilles… Roman d’anticipation ? Film de science-fiction ? Pas vraiment. C’est ce que permettent déjà de nombreuses fonctionnalités parfois bien cachées dans nos smartphones ou objets connectés. Et ça tombe bien, puisque selon l’OMS, 15 à 20% des utilisateurs de téléphones sont en situation de handicap.
Concrètement, à quoi ces fonctionnalités ressemblent-elles ? Comment aident-elles, par exemple, à pratiquer un sport de haut niveau ? Tous les handicaps sont-ils d’ailleurs couverts par ces outils ?
Pour répondre à toutes ces questions, Madmoizelle a eu l’opportunité de rencontrer Nantenin Keita, athlète paralympique mutlimédaillée mondiale, qui milite pour la visibilité des personnes en situation de handicap et Sarah Herrlinger, directrice senior pour l’accessibilité et les initiatives d’Apple. Entretien croisé entre sport et tech.
Interview croisée de Nantenin Keita et Sarah Herrlinger
Madmoizelle. Vous êtes toutes les deux engagées à votre niveau pour montrer qu’un monde plus accessible existe et s’offre aux personnes en situation de handicap. À quoi cela ressemble-t-il, dans vos quotidiens respectifs ?
Sarah Herrlinger. Dans mon monde, il s’agit surtout de faire tout mon possible pour rendre les produits développés par Apple accessibles pour les personnes en situation de handicap. Tout ce qu’Apple fait, de nos produits à nos services en passant par nos magasins, est pensé pour que les utilisateurs se sentent indépendants, qu’ils aient le sentiment que la technologie leur apporte quelque chose d’utile, et les aide à réaliser leurs rêves.
Au quotidien, cela se traduit par des journées toutes aussi différentes les unes des autres, mais surtout passionnantes, à travailler à répondre à des besoins, des problématiques, et à évangéliser tant à l’intérieur d’Apple qu’à l’extérieur, afin que chacun œuvre à faire de ce monde un lieu plus accessible pour les personnes en situation de handicap.
Nantenin Keita. De mon côté, cela se traduit à travers des actions de sensibilisation, en venant parler d’accessibilité pour tous les types de handicaps sur les plateaux télé ou lors de conférences. C’est une partie importante de mon action, car on parle souvent de l’accessibilité des personnes en situation de handicap “connus”, en oubliant souvent ceux qui le sont moins, ou qui sont moins visibles. Parler de l’accessibilité et de toutes les formes de handicap qui existent, cela me permet de contribuer à ma manière à rendre le monde plus accessible. D’autant qu’un monde plus accessible aux personnes en situation de handicap l’est finalement aussi pour ceux qui n’en ont pas, et leur facilite même la vie.
Nantenin, vous avez grandi en même temps que les technologies se sont développées. Quel regard portez-vous sur cette évolution, et comment ces technologies ont-elles changé votre quotidien ?
Nantenin Keita. Quand j’étais jeune, on parlait beaucoup de handicaps, l’accessibilité n’était abordée que pour les personnes à mobilité réduite, pas pour des personnes qui avaient des handicaps différents. Par exemple, lorsque l’on parlait des personnes avec des problématiques de vue, c’était la plupart du temps pour parler des aveugles. Mais il n’y avait que peu de choses autour des personnes, comme moi, dans un entre-deux, avec une multitude de formes de basses visions. Je peux dire aujourd’hui que c’est le jour et la nuit. Ma vie est beaucoup plus facile, et c’est, en effet, en grande partie grâce aux technologies. J’utilise comme tout le monde VoiceOver* ou encore la loupe de l’iPhone. Et, au-delà de me rendre le monde accessible, cela me permet surtout d’être bien moins fatiguée dans mon quotidien, et d’être plus performante au travail, comme au sport.
Vous avez longtemps lutté pour être considérée comme une sportive, une performeuse avant d’être perçue comme une personne handicapée. Avez-vous le sentiment aujourd’hui d’y être enfin arrivée ?
Nantenin Keita. Oui, et de plus en plus. Aujourd’hui, les parasports, c’est de la performance. On ne parle plus d’une personne handicapée qui fait du sport, mais d’une sportive de haut niveau en situation de handicap. Le mot sportif et le mot performance arrivent désormais avant la mention du handicap. Ce n’est pas quelque chose qui est à gommer, évidemment, car je suis fière d’être qui je suis, albinos et déficiente visuelle, cela fait partie de moi. Mais cela ne me définit pas dans mon entièreté.
Sarah Herrlinger. Je voulais rebondir sur ce que disait Nantenin, à propos de son usage au quotidien des technologies. C’est peut-être un peu cliché, mais, de notre côté, il s’agit vraiment de mettre tout le monde au même niveau, il faut que chacun ait les mêmes possibilités : une athlète est une athlète. En cela, l’idée est vraiment que les technologies permettent à tout un chacun de travailler comme il l’entend, et avec les outils dont il a besoin, et de permettre aux athlètes de faire ce qu’ils veulent. Nous voulons faire en sorte que Nantenin, par exemple, puisse faire exactement ce qu’elle souhaite faire de la même manière que si elle n’avait pas de handicap, qu’il s’agisse de s’entraîner, de se faire coacher, de suivre des compétitions, etc.
Nantenin Keita. C’est précisément ça. C’est se dire que la technologie, le monde, va me permettre de vivre la même expérience que tout un chacun. Ce qui est important, c’est de se dire que l’on peut arriver au même résultat sans avoir fait le même calcul. Il est important d’avoir des outils appropriés à nos besoins. L’idée, comme le soulignait Sarah, c’est que la technologie, et de fait le monde s’adapte à moi, et non l’inverse. Ce n’est pas à moi de m’adapter au monde et à la technologie.
Sarah, vous contribuez à rendre l’accessibilité possible chez Apple, et ce, depuis plus de quinze ans. Comment avez-vous vu les choses évoluer au sein de l’entreprise ?
Sarah Herrlinger. L’accessibilité est un sujet central pour Apple, depuis bien longtemps avant mon arrivée. En 1985, Apple a ouvert son premier bureau dédié à l’accessibilité de nos produits, cela fait donc plusieurs décennies que ce sujet est au cœur de nos préoccupations. Par ailleurs, l’accessibilité n’est pas un sujet que nous considérons abouti, il est en au contraire en constant développement, qu’il s’agisse de nouvelles fonctionnalités, ou de moins récentes qui existent depuis des années, et que nous tentons d’améliorer constamment pour qu’elles soient le plus pertinentes et adaptées à notre époque.
C’est, par exemple, le cas de la fonctionnalité “Détection des personnes”, qui est intégrée à la Loupe, un outil qui permet aux personnes déficients visuels de voir mieux. C’est une fonctionnalité que nous avons développée pendant les premiers temps de la Covid car nous anticipions que la distanciation sociale serait un vrai sujet pour de nombreuses personnes, nous voulions donc permettre à la communauté des déficients visuels de pouvoir continuer à se déplacer sereinement.
Pour la plupart de nos fonctionnalités, nous procédons ainsi. C’est-à-dire que nous n’arrêtons jamais le développement de nos fonctionnalités, et sommes constamment en quête de nouvelles façons d’utiliser la technologie pour construire de nouvelles choses.
Comment travaillez-vous avec les personnes qui sont les principales concernées, dans le développement de vos nouvelles fonctionnalités ?
Sarah Herrlinger. Nous croyons fermement dans ce slogan utilisé par la communauté des personnes en situation de handicap : “Rien sur nous sans nous”. Cela fait véritablement partie de notre philosophie.
Ce que nous construisons, nous le construisons pour, mais surtout avec la communauté. Cela passe d’abord par le fait qu’Apple compte dans ses rangs des personnes en situation de handicap. Cela est d’autant plus vrai dans notre équipe. De fait, de nombreuses idées éclosent chaque jour dans notre équipe, de la part de personnes utilisant nos fonctionnalités
Nous travaillons aussi avec des organisations partout dans le monde qui nous permettent d’avoir des feedbacks de la part d’utilisateurs. Nous recevons également des feedbacks directs via notre adresse [email protected] ou de la part de personnes que nous rencontrons pendant des conférences par exemple. Cela nous permet de mieux comprendre comment les outils que nous développons sont utilisés concrètement au quotidien, et ainsi de savoir comment les améliorer.
Nantenin, concrètement, comment utilisez-vous la technologie au quotidien ?
Nantenin Keita. En tant qu’amatrice de sport, cela me permet de suivre les compétitions comme tout un chacun quand j’arrive sur un stade. En tant qu’athlète pratiquante, j’utilise beaucoup la loupe pour chercher mon entraineur lorsque j’arrive sur le terrain. Auparavant, j’étais obligée de scanner les couleurs de ses vêtements, car ce sont les seules choses que je vais voir. Je peux désormais avoir l’esprit tranquille, et je suis totalement sereine, cela fait toute la différence. Quand j’arrive sur un stade, on me prévient que mon coach est, par exemple, au 200 mètres, je n’ai plus qu’à pointer ma loupe à cet endroit pour le chercher. Cela me facilite clairement la vie, et m’enlève une fatigue et du stress qui sont engendrés par le handicap.
Sarah, quels sont les objectifs pour Apple pour la suite ?
Sarah Herrlinger. Mon objectif est de continuer sur ce chemin sur lequel on se trouve. Apple a un bel historique d’engagement dans les questions d’accessibilité dans le développement de ses produits, et c’est quelque chose qui fait partie de nous et de nos process. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup de chance de participer à une telle entreprise, et, si je puis dire, de pouvoir porter ce flambeau. J’aspire à ce que ce travail se poursuive, dans le respect, et avec les personnes concernées.
*VoiceOver est un lecteur d’écran intégré qui décrit à haute voix les éléments apparaissant sur un écran
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