Dans son dernier livre, l’essayiste américaine Maggie Nelson disserte sur la liberté et nous oblige à nous confronter à des questions importantes : qu’est ce que la liberté aujourd’hui et surtout, est-on si libre qu’on pourrait le penser ?
Je suis depuis quelques années le parcours de Maggie Nelson, essayiste dont la lecture tout d’abord des Argonautes, puis des Bleuets m’a laissé à chaque fois complètement chamboulée. Je dois prendre à chaque fois quelques mois pour m’en remettre : ça m’arrange donc énormément qu’elle ne sorte pas des livres tout le temps.
Elle sort aujourd’hui De la Liberté, un essai organisé en quatre problématiques majeurs, l’art, le sexe, les drogues et le climat. Un livre qui se penche sur ce fameux mot magique qui ne cesse de faire parler les peuples, les politiques, les philosophes, et surtout de nombreuses personnes mal intentionnées en quête de popularité. Oui, on vous voit, les éditorialistes.
Mais en vrai, est-ce possible de définir clairement en 2022 le mot liberté, alors que tout semble partir en sucettes comme dans un blockbuster mal réalisé ? Et surtout, suite à la lecture de ce livre, suis-je en mesure de me l’appliquer ? Suis-je aussi libre aujourd’hui que je pouvais le penser ?
La réponse de l’autrice prend des airs de dissertation philosophique
Bien sûr, en lisant le titre de cet article, vous avez dû vous remémorer non sans traumatisme la prise de tête pendant les quatre heures d’un devoir de philosophie. Rappelez-vous, votre réflexion de terminale s’articulait toujours de la même façon : « oui / mais non / enfin peut-être ça dépend de quel point de vue on se place ».
Personnellement, l’exercice m’a toujours un peu gonflé. Pourtant littéraire convaincue, le flou de certaines notions, comme la liberté, ne me plaisait pas. Je cherchais toujours une vérité unique et universelle, que ce soit pour la valeur du beau, à la notion de responsabilité ou à la définition de l’audace (non ça c’est une blague évidemment, vous savez qu’un lycéen aura forcément répondu à cette question, et aura mis sur sa copie « C’est ça » et l’aura rendu à son correcteur. Il a eu 18, si, promis juré).
Et pourtant, plus le temps passe, plus je vois que le monde n’est pas en noir et en blanc, et que ce sont dans les subtilités et les plis que se cachent une vérité qu’il ne faut cesser de questionner.
Dans De la Liberté, Maggie Nelson prend le parti de plonger cette notion dans le réel chaotique de 2022. Elle interroge sans juger les attentes liées à ce mot que beaucoup actuellement répètent sans savoir ce qu’il évoque, le confronte au soin, à la contrainte (et oui, est-ce que la liberté de ne pas se faire vacciner ne nuit pas à la liberté de rester en bonne santé ?) et force même à s’interroger sur son propre rapport à la liberté. Une notion qui n’a jamais été aussi chamboulée qu’actuellement, où tout le monde se retrouve à réfléchir à son rapport à la liberté individuelle et à la liberté collective.
Notre liberté est normée et conditionnée par notre environnement
Si on m’avait demandé avant la lecture de cet ouvrage comment je me définirais, j’aurais évidemment gueulé haut et fort que je n’ai jamais été aussi libre. J’ai eu la chance de grandir dans un environnement bienveillant, d’avoir accès à l’éducation dans un pays riche. Je suis une adulte indépendante, et en vrai, je fais ce que je veux, quand je veux, avec qui je veux.
Et puis finalement, au fil de la lecture, il a fallu que j’affronte certaines vérités. Suis-je aussi libre que je peux le penser ?
Ne suis-je pas conditionnée par certaines normes, par l’image qu’on attend d’une femme, d’une féministe, même d’une personne qui se considère libre ? S’est-on vraiment émancipé du regard des autres, ou entretient-on encore des relations toxiques avec certains produits, certaines substances, certaines personnes ? Et ce qu’on prône comme une liberté, comme la liberté sexuelle, n’est-ce pas encore faire face à des comportements qui ne sont plus tolérables ? Et en 2022, alors que ce mot est servi à toutes les sauces, que les politiques les mettent sur leurs affiches de présidentiables, a-t-il encore du sens ?
La liberté est finalement un spectre, et en voir ses frontières, les accepter et accepter qu’elles bougent en fonction d’événements intérieurs ou extérieurs. Souvenez-vous de la célèbre « liberté d’importuner », prônée par des nombreuses femmes dans une Tribune du Monde en 2018, et qui n’a jamais autant eu peu sa place dans notre société contemporaine. Surtout à l’heure de #MeToo et de toutes les agressions sexuelles subies depuis le début de l’humanité par des femmes dont certaines arrivent aujourd’hui à prendre la parole. Toutes les libertés ne sont pas forcément les bonnes, et ne peuvent s’appliquer à tous et à toutes.
Suis-je alors libre ? Dans le spectre que je me suis définis, je pense que oui. Dans une certaine limite, évidemment, dictée par la société et que je me suis fixée. Je n’ai jamais autant acquiescé à la manière dont cette dernière est définie dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres».
« De la liberté » perturbe les schémas de penser pris pour acquis
À travers ces quatre sujets brûlants d’actualité — l’art, le sexe, les drogues et le changement climatique — Maggie Nelson arrive à nous montrer que tout n’est pas si simple et qu’il faut accepter qu’il n’y a pas de bonne réponse à ces questions.
Elles existent à un temps donné, et le fait de pouvoir à chaque fois se demander à quoi ressemble la liberté aujourd’hui et de s’en accommoder nous permet de tenir debout en tant que société et de savoir où on souhaite aller.
Oui, je suis libre. De faire ce papier, de lire Maggie Nelson et de ne pas être forcément d’accord avec tout, et de me poser toutes ces questions pour avancer. Pour ne rien vous cacher, j’ai même buggé dans le métro alors que je l’avais terminé. Où vais-je ? Que suis-je et à quoi suis-je en train de jouer ? Bousculée par ce livre, il m’a permis de secouer comme de vieux draps certains de mes schémas de pensée.
C’est vrai : mon quotidien est contrôlé par des milliers et milliards de petites règles que j’ai discrètement ingéré pour grandir en société, pour être acceptée, pour pouvoir avancer. De nouvelles arrivent avec les grandes problématiques qui secouent actuellement notre société capitaliste et patriarcale, de Trump à la pandémie, sans oublier la hausse des températures et me font m’interroger ? Dois-je les déconstruire pour arriver dans une société qui me semble plus juste mais que je ne connais pas ? Ou font-elles partie dorénavant du paysage et faut-il vivre avec alors qu’elles n’ont dorénavant aucun sens ?
À travers ses livres, et plus particulièrement ce dernier De La Liberté, Maggie Nelson nous force à toujours interroger, questionner, tordre les idées et concepts qu’on nous sert sans nous les expliquer. Toujours avec justesse, et en se référant à son expérience personnelle, Maggie Nelson nous donne des pistes qu’on choisit ou pas de prendre.
N’empêche : il faut se plonger dans De la Liberté et repenser actuellement toutes les idées majeures qui vont nous être servies et resservies jusqu’au haut-le-cœur à l’aube des élections présidentielles.
« De la liberté » de Maggie Nelson, traduit de l’américain par Violaine Huisman, Éditions du sous-sol, 416 p., 23 €
Crédits : photo de Joshua Abner provenant de Pexels
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Les Commentaires
Ensuite, elle est limitée par le regard des autres sur soi. Par ex, actuellement, je n'ai plus aucune liberté sexuelle car je suis engoncée par les jugements la dessus (c'est sale, ca se fait pas quand t'es une femme d'avoir envie et j'en passe...)
Actuellement, la liberté est énormément bridée par le contexte C.. on se rends compte que c'est quelquechose de fragile. Et avec l'inflation galopante, ca bride d'autant plus. Tu te retrouves réduit à rester la ou tu es car tout devient très cher.