Lorsque j’ai rencontré Pauline, nous étions dans un endroit où le public ne va jamais : le service alimentation de la Ménagerie de Paris, dans le sous-sol du parc zoologique du jardin des Plantes. Noyée derrière un troupeau de journalistes tout juste débarqués, elle a semblé considérer avec amusement cette espèce animalière un peu excitée équipée de micro et de caméras.
Pauline est discrète, visiblement pas très à l’aise pour parler d’elle-même. C’est du moins ce que j’ai cru au premier abord. Une fois abordé le sujet des animaux, ses yeux ont pétillé et elle est devenue intarissable. Et pour cause : Pauline est soigneur. Elle s’occupe en particulier de trois espèces du zoo : les pandas roux, les perroquets et les binturongs, des mammifères pas très connus qui ressemblent à de gros ratons laveurs.
Rêves d’enfant et changement de parcours
Pauline travaille à la Ménagerie depuis trois ans, mais son intérêt pour les animaux est né il y a bien plus longtemps, même si elle n’avait pas forcément en tête d’exercer un métier en particulier :
« Quand j’étais petite, je venais souvent à la Ménagerie avec mes grands-parents. Je voulais faire zoologiste, et à l’âge de 10 ans, j’ai écrit au Muséum pour savoir comment m’y prendre. Ils m’ont répondu qu’il fallait que je me renseigne auprès du service d’orientation, mais bon, j’étais à l’école primaire… »
Bien plus tard est venu le lycée, le moment des choix, où Pauline parle d’une mauvaise orientation. Elle a atterri en bac comptabilité-gestion, ce qui l’a amenée à travailler comme chargée de clientèle dans une banque. Et elle le dit naturellement :
« J’avais besoin du grand air. Je me faisais chier. J’ai décidé de démissionner du jour au lendemain pour repasser un bac agricole. »
Une décision dans laquelle ses parents l’ont soutenue :
« Quand j’ai annoncé que je me réorientais vers le monde animalier, ils ont d’abord eu peur pour mon avenir. J’allais me retrouver au chômage, perdre mon salaire… Mais leur seconde réaction a été de m’encourager vers cette voie, qui était plus épanouissante pour moi. Le zoo, c’est quand même mieux que d’être enfermé dans un bureau. »
L’opportunité de la ménagerie
Pendant son baccalauréat agricole, Pauline a fait plusieurs mois de stage. À la Ménagerie, elle a commencé au service alimentation, puis a découvert les petits carnivores et la faisanderie (les oiseaux) et est enfin passée par la fauverie. Son diplôme en besace, elle a tenté le concours d’entrée à l’école de soigneurs de Vendôme, mais après les entretiens, sa candidature n’a pas été retenue. Une semaine après, le destin a eu la main heureuse : l’adjoint chef soigneurs de la Ménagerie lui a proposé un poste.
« J’ai choisi l’alimentation, c’est ce que je préférais parce que c’est là où on est le plus polyvalent. On a notre boulot de soigneur à plein temps, et on est vraiment en contact avec tous les services, les vétérinaires, mais aussi l’administration, parce qu’on gère les commandes. »
À plein temps, c’est le cas de le dire : Pauline ne perd pas une seconde, et pendant qu’on cause, continue à confectionner les enrichissements, des tiges de bambous dans lesquelles elle cache des noix pour les perroquets.
Être soigneur, ça s’apprend tous les jours
Préparer les aliments, faire la tournée des animaux, nettoyer les fosses, s’occuper de la cuisine, les journées passent vite, très vite.
« Une grande partie du temps, au moins 50%, est consacrée à préparer les enclos et s’assurer qu’ils sont propres. On fait aussi des travaux techniques. Par exemple, la structure des pandas roux est assez vieille, on va la refaire dans deux mois. Nous préparons les plans et faisons la maquette, et nous allons faire le chantier avec le chef soigneur et l’atelier. »
Tout s’apprend sur le tas, dès le premier contact avec les animaux :
« Au début tu accompagnes un autre soigneur. On te donne un peu moins d’une semaine pour savoir comment ça fonctionne. Ensuite, on te lâche tout seul un week-end, et il faut que tu assures un max. »
Pauline l’avoue humblement : l’apprentissage n’est jamais terminé. Même après trois ans à la Ménagerie, il reste de nombreuses tâches dont elle ne peut pas se charger.
« On apprend tous les jours. Comme je n’ai pas fait d’école de soigneur, ça se fait aussi en autodidacte. Il faut se renseigner, tout le temps, au jour le jour, sur un tas de choses. Il faut être bosseur, énergique, hyper patient aussi. C’est important d’être observateur et aux aguets sur tout. Un animal qui allait très bien hier peut avoir un souci aujourd’hui. »
Un métier physique
Selon elle, la plus grande difficulté du métier reste la fatigue physique : décharger les livraisons, porter les sacs de graines, ramasser des brouettes de crotte et de fumier. Tout ça pèse sur le dos des soigneurs :
« À 35-40 ans, c’est vrai qu’on est un peu cassé. Certaines personnes arrivent à s’en sortir physiquement et continuent, mais il y a assez peu de gens proches de la retraite qui travaillent en parc zoologique. Beaucoup se réorientent, cela dit, en général, ça reste dans le milieu animalier. »
Les soigneurs n’ont pas d’obligation de bouger dans leur carrière, et Pauline s’estime bien lotie là où elle est. Pendant son cursus, elle a aussi fait l’expérience des fermes pédagogiques. Elle était la seule soigneur, et a ressenti bien plus fort les effets de la fatigue :
« Quand on reçoit huit tonnes de fourrage, et qu’on est que deux pour le déplacer, on galère un peu. Idem quand il faut s’occuper de 50 clapiers de lapin et gérer des enfants en même temps. C’est dur, et en même temps c’est une super expérience. »
Bourdonnement dans le talkie-walkie. Même si les soigneurs sont nombreux à la Ménagerie, il est l’heure d’aller nourrir les perroquets et leurs autres voisins à quatre pattes. À cause de moi, Pauline est déjà en retard, mais reste concentrée et rigoureuse :
« Il faut que tout soit bien chronométré. Il faut savoir que j’ai des réveils pour tout ! »
Rangement. Vite. Chargement des caisses dans la petite camionnette que les soigneurs utilisent pour se déplacer dans la ménagerie. Les portes claquent. Démarrage.
« Ce ne sont pas des animaux de compagnie »
Quelques minutes plus tard, nous voilà dans les cages de perroquets. Pauline distribue les graines germées et les enrichissement. Elle appelle les oiseaux par leurs prénoms, que les soigneurs essayent de choisir en fonction des origines géographiques des animaux.
«Ca nous permet de les identifier. Je ne sais pas s’ils les reconnaissent, à part Boss et Furie qui sont là depuis longtemps et qui viennent prendre la nourriture dans la main. »
Pauline est bien claire là-dessus, les interactions entre animaux et soigneurs restent professionnelles :
« Ils vont venir vers nous parce qu’ils ont envie de nourriture. Ils ne sont pas là pour qu’on les pouponne. Il n’y a pas de contact physique comme on pourrait avoir avec un animal de compagnie, ils n’aiment pas la caresse. »
On ne traite pas les pensionnaires de la ménagerie comme s’ils étaient des chats ou des chiens domestiques, et oui, il lui est déjà arrivé d’avoir peur en présence des animaux :
« Un animal sauvage est imprévisible, et il faut donc toujours être vigilant. Ce serait mentir que de dire qu’on a jamais une petite appréhension quand on rentre pour la première fois dans un enclos. »
Cela dit, les soigneurs ont un rapport privilégié avec les pensionnaires du zoo. Pauline ne renie pas une certaine affection pour les animaux, et se dit en riant passionnée et un peu gaga.
« Le bonheur, en fait, c’est tout les jours. Les naissances, mais aussi quand on fait du training et que ça se passe super bien, et qu’un véto arrive et peut faire une manipulation sur un animal qui n’est pas du tout stressé… »
Les animaux en captivité
Descente dans la fosse des pandas roux. Difficile de ne pas aborder le sujet qui fâche : la présence d’animaux sauvages dans des cages et des enclos. Pauline n’a pas l’air surprise par la question :
« Ces animaux sont nés en captivité. On peut parfois se dire qu’ils ont l’air d’être tristes, mais ils ne savent pas comment c’est dehors, ils n’ont jamais connu la nature. »
Elle m’explique que les animaux en zoo servent aussi de base de données, pour pouvoir les étudier et préserver des espèces en voie de disparition :
« Le panda roux est en danger dans son habitat naturel, notamment à cause du braconnage et de la déforestation. Le binturong aussi. Créer des réserves, ce serait génial si on le pouvait, mais c’est long et compliqué. »
Les programmes de réintroduction se déroulent sur plusieurs générations. À chacune d’elle, les groupes d’animaux sont amenés dans des espaces naturels différents et les relations avec des humains sont progressivement diminuées. Mais ces programmes sont limités :
« Les individus nés en captivité ne sont jamais relâchés directement dans la nature. Certaines espèces, comme le binturong ne peuvent pas l’être : il faudrait que les populations locales soient beaucoup plus sensibilisées, même si des associations sur place y travaillent »
Dans l’espace restreint qu’est la Ménagerie, Pauline l’affirme : les soigneurs travaillent au bien-être des animaux. Dans la nature, ces derniers ne s’ennuient jamais car ils sont toujours à la recherche de quelque chose – un partenaire, à manger. Au zoo :
« On essaye de faire revivre ces instincts, par exemple grâce aux enrichissements, depuis environ une dizaine d’années, en cachant la nourriture. »
Les soigneurs ont aussi besoin de faire des examens médicaux, qui, souvent encore, nécessitent des captures dans les enclos. Pour éviter aux animaux le stress lié à ces opérations, Pauline, avec les autres soigneurs, fait aussi du medical training : elle apprend peu à peu à ses pensionnaires à rentrer dans une boîte de contention, à se positionner, pour qu’ils acceptent d’être palpés et vaccinés par le vétérinaire.
Les binturongs, plus qu’un animal, une passion
Enfin, il faut bien l’avouer, dans la Ménagerie, Pauline a ses favoris. Les binturongs, dont elle s’occupe depuis un an. Ces viverridés (mammifères) viennent d’Asie du sud-est, mangent des fruits à 80% mais sont carnivores. Ils s’accrochent par la queue dans les arbres pour passer de branche en branche. Bref, des boules de poils d’1m60, qui pèsent entre 15 et 20 kilos et que Pauline affectionne énormément :
« Je crois que j’ai eu un coup de coeur pour eux, ils sont vraiment spéciaux. En fait, il n’existe que deux mammifères au monde à avoir cette queue préhensile ! [qui permet de s’enrouler sur un support pour s’y tenir, NDLR] »
Alors l’année dernière, avec une autre soigneuse et une étudiante en écologie, elle a créé la première association sur le binturong, dont elle est la présidente :
« Je cherchais des informations sur eux, je ne trouvais pas de réponse et je devais à chaque fois demander à des scientifiques, à des chercheurs. D’autres personnes étaient dans ce cas, et c’est comme ça que l’idée de l’association est venue. »
Pauline et ses associées ont constitué une bibliographie sur l’animal pour faciliter la recherche d’informations :
«Très peu d’études ont été faites dans la nature sur eux. Ca a été un gros travail de fond d’écrire des articles, et de faire quelque chose d’à peu près logique pour que les gens puissent comprendre cette espèce et comment elle fonctionne.»
Pour l’instant, elle travaillent leur communication : elles ont ainsi lancé la première Journée mondiale du binturong, à laquelle participent différents zoos et réserves. Pauline et ses acolytes ont aussi monté un dossier de financement, pour partir faire des actions au Vietnam, et en Malaisie, à Bornéo. Elles feront de l’observation en direct, aidées par un docteur en viverridés du Muséum, et récupéreront des données génétiques. Pauline partira dans le cadre de son temps libre :
« Pour la suite, on verra. Mais dans une association, on ne gagne pas sa vie en restant sur le terrain. Il faut beaucoup de subventions. Pour le moment ça ne peut rester qu’un loisir. »
Pauline a déjà fait différents voyages, lors desquels elle a visité des réserves et des centres de sauvegarde, et compte réitérer l’expérience en fin d’année en Asie du Sud-Est :
« Je suis allée en Afrique de l’Ouest, au Burkina Faso, au Togo et au Bénin, où j’ai pu visiter la réserve de la Pendjari, un super souvenir. J’ai aussi voyagé sur les côte Est et Ouest du Canada, où j’ai fait de la randonnées et du camping en pleine nature. J’ai vu des ours, des loups, des wapitis, des chèvres des rocheuses…»
Pour elle, l’essentiel reste d’apprendre, afin de toujours s’améliorer dans son boulot :
« Il y a encore beaucoup de lacunes, de choses qu’on ne connaît pas. Je pense que plus j’en saurai sur le binturong et mieux on arrivera à s’en occuper en captivité. »
L’association et le travail occupent une grande partie de ses journées, si ce n’est la majorité. Et visiblement sans regrets :
« Déjà, à 8-9 ans, je voulais contribuer à la protection de l’environnement. Ma mère, à ma demande, m’imprimait des affiches « Sauvez les animaux », que j’accrochais à mes fenêtres pour que tout le monde les voie ! »
Pour aller plus loin
L’association de Pauline, Arctictis Binturong Conservation
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