Résumé de l’épisode précédent : notre héroïne était allée tester une “formation porte-à-porte” organisée par le Parti Socialiste. Ayant compris que prendre part à cette opération revenait davantage à être un rempart contre l’abstention qu’un instrument de propagande, Marie.Charlotte a sacrifié une deuxième soirée pour aller frapper aux portes. Oui, je parle de moi à la troisième personne, c’est pour accentuer le suspense dramatique de cette intro.
Trois binômes pour convaincre
Connectée au Doodle de mon arrondissement, je n’avais que l’embarras du choix : tractages et porte-à-porte sont organisés tous les jours de la semaine et plusieurs rendez-vous simultanés sont parfois proposés aux volontaires. Je me retrouve un soir à 18h dans un café de l’avenue de Clichy. Surprise, j’y retrouve Mireille, que j’avais rencontrée une semaine plus tôt lors de la formation. L’ambiance est très détendue au PS, tout le monde se tutoie. Arrive le mobilisateur ; nous serons 3 équipes de 2 pour cette session. Deux étudiants en journalisme demandent à accompagner une des équipes, ils réalisent un sujet sur le PAP. Il est vrai que la démarche du Parti Socialiste éveille beaucoup de curiosité ; c’était d’ailleurs la raison pour laquelle j’étais moi-même présente ce soir là.
Chaque équipe se voit remettre un lot de programmes, deux badges “François Hollande”, mais surtout une pochette contenant des cartes de visite pour contacter le PS de l’arrondissement en cas de besoin de procuration, des fiches permettant de prendre les coordonnées des potentiels volontaires et enfin : le reporting. Car à chaque session, nous inscrivons le nombre de portes frappées, de portes ouvertes et de contacts obtenus. Laissez-moi vous dire que si tous les volontaires font leur reporting aussi scrupuleusement que moi, les chiffres communiqués par le PS doivent être béton : à la fin, je vérifie même que le nombre de portes frappées correspond au nombre d’appartements de l’immeuble !
À la rencontre du quotidien invisible
Ce premier immeuble, je passe devant chaque matin pour aller travailler, chaque soir pour rentrer chez moi. Tous les jours. Je connais le nom des troquets de la rue, l’enchaînement des enseignes, les horaires d’ouverture des pressings, celles de ses bars et de ses restos. Je connais ses boulangeries, ses arrêts de bus et ses stations de métro. Pour la première fois depuis mon arrivée à Paris, j’ai franchi le seuil d’un de ces immeubles anonymes, jusqu’ici simple décor de mes migrations pendulaires. Aujourd’hui, je suis allée à la rencontre de mes voisins virtuels. Et j’ai pris une claque.
Plus de dix étages, quatre à six appartements par étage et toutes les portes qui s’ouvrent sur le même agencement de l’espace. À chaque fois, le couloir a été colonisé par des placards et rangements de fortune. Le mode opératoire est toujours le même : on sonne, on attend, si rien ne bouge, on passe à la porte suivante. Si on nous interpelle à travers la porte, répondre, se présenter. Souvent, la porte s’ouvre, la discussion peut s’engager. En moins de quatre minutes et sans quitter le palier de la porte, j’ai ainsi fait des dizaines de rencontres éphémères. Extraits.
“Bonjour, nous sommes volontaires de campagne pour François Hollande”
Je ne vous cache pas mon extrême nervosité face aux premières portes. Comment vont-ils réagir ? Pour mémoire, je n’avais pas moi-même une excellente image du porte-à-porte… Peu de patience pour les colporteurs en tout genre, même si j’ai à leur égard une certaine indulgence : il faut bien qu’ils vivent. Les vendeurs de foi et autres militants, n’ayant pas cette excuse, ne trouvaient aucune grâce à mes yeux.
Je suis surprise et même émue par la réaction de ces inconnus qui m’ouvrent leur porte, touchée par leurs encouragements. “Ah oui, oui je vais voter le 22 avril ! Vous pensez bien ! » (Clins d’oeil et sourires appuyés vers le programme que nous distribuons) « Et bravo pour ce que vous faites !” Est-ce que vous voulez nous rejoindre, devenir volontaire à votre tour ? Nous prenons leurs coordonnées. Et l’on se quitte rapidement, nous avec le sentiment du devoir accompli, eux avec la satisfaction d’apporter une modeste pierre à l’édifice.
“Ah non, surtout pas vous !” La porte timidement entrouverte se referme brusquement. Nous n’avons pas pu parler. Les portes qui claquent sont rares, mais elles résonnent dans mes tempes comme une violence sourde. Je compatis avec ces portes fermées. Quelque part, j’imagine que nous sommes arrivés trop tard. Personne n’est venu frapper à cette porte depuis trop longtemps. Cette réaction n’est pas celle des pro-UMP, beaucoup plus sympathiques d’après ma modeste expérience : « Aaaaah non, je suis désolé(e), moi c’est UMP ! » Oups ! Désolées de vous avoir dérangé(e) monsieur/madame ! « Y a pas de mal, bonne soirée ! »
Trop de portes s’ouvrent sur des sourires qui nous répondent “Aaaah merci ! Bravo ! Mais je n’ai pas le droit de vote… Je n’ai pas la nationalité française”. À ceux-là, qui ne sont différents que par leur nationalité, j’indique, non sans une pointe de fierté, que François Hollande s’est prononcé en faveur du vote des étrangers aux élections municipales (proposition n°50). Ils prennent volontiers des programmes pour leurs enfants majeurs et français, qui iront aux urnes. Une dame nous retiendra une dizaine de minutes sur son palier, trop heureuse de pouvoir nous montrer sa carte d’électeur. “Moi j’ai toujours voté, depuis que j’ai la nationalité, je vote à toutes les élections. Et mes filles, c’est pareil !”. La plus jeune, agrippée au bras de sa mère, nous demande l’adresse du site Internet, par curiosité. “Allez maman laisse-les maintenant, il faut qu’elles fassent aussi les autres appartements !”
Promesses et méfiance
Entrer dans les immeubles n’est pas toujours évident, surtout lorsqu’il y a un(e) gardien(ne). Nous avons dû renoncer à toute une résidence : le syndicat de copropriété interdit tout démarchage. Et si une campagne nationale de porte-à-porte contre l’abstention était lancée par l’État, ce “démarchage” serait-il aussi interdit ? Une autre équipe se fera expulser d’un immeuble, un habitant ayant prévenu le syndicat, puis appelé le gardien pour demander au binôme – dont la députée de l’arrondissement faisait partie ! – de quitter les lieux. Heureusement, dans la cour, l’ambiance est différente. Les habitants qui profitent des premières soirées de printemps nous interpellent gentiment. “Vous faites campagne ! Vous avez bien raison !” D’autres partis sont-ils venus à leur rencontre ? “Personne, on ne voit que vous !” S’ensuivent quelques échanges, principalement autour du traitement médiatique plutôt médiocre de la campagne électorale. L’occasion pour nous de leur donner des informations sur le programme de François Hollande. Je n’ai aucun souci à le faire : j’ai fini par le lire, ce programme, et je ne m’éloigne jamais du texte lorsque je réponds. Les gens peuvent entrer en contact avec le PS via Internet s’ils ont une question précise. On peut également prendre leur numéro de téléphone et noter leurs interrogations ; ils seront rappelés par la section de l’arrondissement. Mais nous avons rarement à traiter de sujets techniques sur la fiscalité des entreprises de plus de vingt salariés… La question qui revient le plus souvent est très simple, bien plus que la réponse :
“Mais vous, vous y croyez ? Vous croyez qu’il va faire ce qu’il dit ?”
Moi ? J’en sais rien. Je ne suis pas dans les petits papiers de François Hollande. Je ne suis pas encartée au Parti Socialiste, ni ailleurs. Je ne fais pas partie d’un lobby qui aurait un intérêt à son élection. J’ai 25 ans, j’ai un travail, et si je prends sur mon temps libre pour vous inciter à venir voter le 22 avril, c’est que je suis convaincue que voter peut amener des changements de société, les changements dont nous avons besoin et que nous espérons. Si votre choix est déjà fait, je ne suis pas là pour le discuter. Si vous avez des questions, je veux bien essayer d’y répondre. Mais je ne viens pas vous promettre que François Hollande changera votre vie au matin du 7 mai s’il est élu. Je suis trop jeune pour être déjà désabusée ; je n’ai pas de vérité et de promesses à vous donner, seulement ma conviction intime, et beaucoup d’espoirs.
Cette réponse, la mienne, n’aura pas convaincu René.
Bien entendu, je ne connais pas son prénom. Il a ouvert sa porte, nous a vues et a souri ; son sourire avait une ombre triste, entraînant son regard vers le sol. Jamais je n’avais vu une telle expression de résignation. « Oui je vais voter mais au premier tour seulement. Et pas pour vous. » C’était dit sans haine, sans rancœur, mais avec une insoutenable déception. René me raconte qu’il avait déjà voté socialiste, en 1981. Il avait voté pour celui qui promettait de « changer la vie » mais il n’avait pas goûté au « tournant de la rigueur » pris par le gouvernement socialiste pour redresser la situation économique de la France. Nous échangeons quelques minutes mais je sens bien que je n’aurai pas gain de cause.
Un message pour François Hollande
Voilà près d’un mois que je participe régulièrement aux sessions de PAP organisées dans mon arrondissement. Plutôt que de prêcher dans le désert, je participe à un pèlerinage citoyen, à la rencontre de mes voisins. Je côtoie de nouveaux volontaires, recroise ceux que j’avais rencontrés en formation. Certaines portes claquent ou restent closes, d’autres s’entrouvrent, certains habitants nous ouvrent leur porte, mais aussi leur coeur et leurs espoirs. Il reste René. Dans un coin de ma tête, je n’oublie pas cette insupportable résignation. Je n’irai pas voter pour un comptable ou un économiste. Qu’il ou elle doive rétablir l’équilibre budgétaire et résorber la dette, c’est son problème et c’est le minimum syndical. Mais ce n’est pas une fin en soi. J’attends autre chose, j’attends davantage, j’attends un véritable projet de société, qui recréerait du lien là où il n’existe plus. J’aime la métaphore des portes ouvertes. Nous ne sommes pas allés leur promettre la lune, à ces habitants des quartiers dits « populaires », abonnés aux promesses et aux déclarations d’intentions. Nous sommes simplement venus leur dire que leur voix compte autant que la nôtre. Je voulais qu’ils s’expriment, ils voulaient être écoutés. C’est la première fois que je participe à une opération de cette ampleur, mais c’est sans doute la dernière. Si le changement ne tient pas ses promesses, je n’aurais jamais le courage de revenir frapper à la porte de René.
À la fin de chaque session, rendez-vous est donné aux volontaires dans le café d’où nous sommes partis. L’occasion d’échanger sur nos rencontres, de faire remonter des questions, des interpellations, des ressentis. Tous ces messages sont communiqués au Parti Socialiste par les volontaires et les mobilisateurs.
J’ai un message pour François Hollande. Si vous êtes le prochain Président de la République Française, vous n’aurez pas droit à l’erreur. Les résignés sont encore minoritaires, mais tous les autres, ceux qui croient aux discours politiques, ceux qui ont gardé la conviction qu’un changement de gouvernement peut « changer leur vie »‘, ceux-là ne supporteront sans doute plus une nouvelle déception. J’ai 25 ans et je suis trop jeune pour être désabusée, trop jeune aussi pour être raisonnable. Je me suis investie dans la campagne par curiosité, j’ai continué par conviction, conviction qu’un changement de société est encore possible. La France mérite mieux que sa caricature vue à la télévision.
Je n’ai pas fait de promesses aux portes qui se sont ouvertes. Mais je me suis fait une promesse à moi-même, en forme d’espoir. J’espère pouvoir, dans 5 ans, retourner frapper à la porte de René. Et ne plus voir, sur son sourire, cette ombre résignée.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
L'abstention me fait peur, et elle est vraiment présente. Mon copain en vient à hésiter à aller voter parce qu'il veut voter blanc et il a l'impression d'être inutile, puisque le vote blanc n'est pas représenté.
De "J'irai à 9h, mais s'il y a trop de monde tant pis, je ne voterai pas, ça ne sert à rien de toute façon" je l'ai convaincu de "J'irai à 9h, et s'il y a trop de monde je réessaierai à 19h". Il veut voter blanc, moi je vais voter pour un candidat, on est pas vraiment toujours d'accord en politique mais je veux qu'il aille voter, ça me fend le c?ur d'entendre "ça ne sert à rien".
Cet article me fait aussi un peu culpabiliser, en 2007 j'étais allée à un meeting du PS, cette année je n'ai rien fait. Je ne suis pourtant pas moins convaincue, juste dégoûtée de la campagne, je me suis mis des ?illères niveau actualités.
Quand ce soir ma mère m'a dit "Tu étais à Vincennes hier ?", j'ai regretté de ne pas y avoir été, et de n'avoir rien fait pour cette campagne, de me réveiller trop tard.
Ça me donne envie de me bouger un peu, je ne sais pas encore comment, mais je vais voir.