— Article initialement publié le 27 juin 2014
Communiquer, surtout sur Internet, c’est beaucoup trop facile. Les gens saisissent immédiatement l’intention et le ton de chaque message, il n’y a jamais aucune engueulade sur un quiproquo, jamais un point d’exclamation de travers… Bref, toute cette entente universelle, c’est d’un ennui mortel. Vous le savez bien.
C’est pourquoi je vous propose ce petit guide, qui a pour seule prétention de vous proposer une introduction au petit monde joyeux de la ponctuation malsaine, et ainsi vous aider à altérer de façon significative le moindre de vos échanges sur la Toile Mondiale.
Commençons par le commencement : la ponctuation malsaine, qu’est-ce donc ?
Il s’agit tout simplement d’utiliser la ponctuation basique de la manière la plus inattendue et la moins logique possible, de façon à instaurer chez votre interlocuteur le doute quant à vos véritables intentions – et ainsi le malaise. Vous allez voir !!! C’est très facile ?
Les points d’exclamation ET L4ABUS DE CAPSLOCK !!!!!!
Le point d’exclamation est, avec le phénomène du clavier bloqué en majuscules (ou capslock), le signe de ponctuation le plus expressif qui soit. Utilisez-le seul et de manière modérée, et vous donnerez l’impression d’un enthousiasme timide, des premières flammes de l’ardeur.
Il saura certes ajouter un peu de piment à votre prose, mais si vous voulez signifier votre amour de la cuisine italienne à quelqu’un, que vous choisissiez d’écrire « j’aime les pâtes » ou « j’aime les pâtes ! », vous demeurerez aux yeux de votre interlocuteur aussi inspirant qu’un plat de nouilles au beurre trop cuites.
En revanche, écrivez « j’aime les pâtes !!!!!!! », voire même « J’AIME LES PÂTES !!!!!!1 »… Et l’attention de votre public sera aussi à son comble que si vous lui aviez envoyé le plat de nouilles dans la tête. C’est donc, dans l’ensemble, un moyen efficace pour rendre votre message aussi énergique qu’intrusif. Surtout si vous mettez suffisamment la dose !!!!!!! pour fatiguer !!!!! le lecteur !!!!!!! PARCE QU’ON SE REND PAS COMPTE À QUEL POINT L’ÉCRITURE PEUT ÊTRE FATIGANTE !!!!!
Sauf que ce n’est pas tout. Prendre de la place et épuiser les gens sans même ouvrir la bouche, c’est bien, c’est beau, c’est un peu comme un super-pouvoir… Mais ce n’est rien à côté de ce qu’un simple ajout abusif de ponctuation peut faire à un texte pour le rendre équivoque. Prenons par exemple un extrait d’un poème de Victor Hugo, issu de ses si belles et si tristes Contemplations :
Oh ! comme j’étais triste au fond de ma pensée Tandis que je songeais, et que le gouffre noir M’entrait dans l’âme avec tous les frissons du soir !
– Victor Hugo (1802-1885), Les Contemplations (1856), Livre V, XXIV
Grâce à ces deux petits points d’exclamations qui introduisent et concluent la strophe finale, on est tenté de lire avec une légère emphase, pour marquer la subtile envolée lyrique du poète et la souffrance de son âme…
Maintenant, remanions le paragraphe selon le principe de la ponctuation malsaine :
Oh !!!!!!!! COMME J42TAIS TRISTE au fond de ma pensée Tandis que je songeais, et que le gouffre noir M4ENTRAIT DANS L4ÄME avec tous les frissons du soir !!!!!!!!!!!!!!!
On est d’accord : ce remaniement nous amène à nous demander sur quoi il a bien pu s’asseoir. Et paf. Ainsi fut pété le groove du poète.
Le point d’interrogation qui n’a rien à faire là ?
Comment ça, toute cette agitation stylistique digne de votre premier Skyblog vous fatigue ? Je N’aI pOuRtAnT pAs ÉcRiT cOmMe Ça. Ah Ça, LeS pOiNtS d’ExClAmAtIoN, Ça FaTiGuE, mAiS lÀ, vOuS aVeZ bIeN lE mAl De MeR. Beuh.
Soit !!!!!! Partons sur un type de ponctuation malsaine d’un autre genre. J’ai nommé : le point d’interrogation qui n’a rien à faire là ? puisque ce n’est pas une question, mais qui suffit à irriter le lecteur ou la lectrice par la seule absurdité de sa présence ? Posé à côté d’un « ça va. » péremptoire qui se voulait une question, c’est toujours du plus bel effet.
Oui, parce que l’absence du point d’interrogation est au moins aussi irritant. Souvenez-vous de vos discussions Caramail :
Bogossdu93 : Salut sa va. moi : sa va et toi Bogossdu93 : koi de 9 moi : 8 lol Bogossdu93 : lol moi : … Bogossdu93 : asv.
À lire avec la voix la plus monotone du monde, bien sûr. Une voix molle et ronchonne qui n’en a rien à foutre de votre personne et vous ordonne de répondre au sacro-saint ordre de l’Âge-Sexe-Ville. Alors qu’avec un petit point d’interrogation, l’ordre devient une requête, et l’inquiétude quant à votre bien-être devient sincère.
Mais le point d’interrogation n’est pas toujours le petit élément salvateur d’une conversation bien équilibrée. Il peut aussi venir vous pourrir votre journée en se faisant passer pour une faute de frappe ?
Mais on ne sait pas si c’est une faute de frappe. Vous voyez le point d’interrogation que j’ai placé il n’y a même pas deux phrases ? Peut-être qu’au fond, je voulais vraiment vous poser une question… Mais laquelle ? Ça n’a aucun sens.
Mais ce n’est pas tout. Reprenons le dialogue précédent :
Bogossdu93 : Salut sa va. moi : sa va et toi Bogossdu93 : koi de 9 moi : 8 lol Bogossdu93 : lol ? moi : … Bogossdu93 : asv.
Non vous ne rêvez pas. Dans cette nouvelle version agrémentée d’un « ? » nuisible, Bogossdu93 émet un doute quant à la qualité de votre humour. Nul doute que vous allez lui faire payer cet affront.
Et voilà comment tuer dans l’oeuf ce qui aurait pu être une formidable romance Caramail.
De la perplexité du point-virgule ;;
Ceci étant dit, le point d’interrogation mal placé n’est pas l’élément de la ponctuation du malaise le plus à même de créer les plus beaux quiproquos. Le maître en la matière est incontestablement celui qu’on surnomme parfois « l’opium de la grammaire », c’est-à-dire le point-virgule.
Personne ne sait bien utiliser un point-virgule.
Et c’est ce qui le rend fabuleux. Pendant que certains ajoutent des signes de ponctuation à notre belle langue, le reste de la population s’entre-déchire sur les réseaux sociaux pour un point-virgule de trop. Le point-virgule, plutôt comme une point, comme une virgule, ou comme deux points ? La perplexité est à son comble.
Si vous voulez tirer profit de toute la fourberie dont est capable cette petite touche discrète sur votre clavier, c’est très simple ; il vous suffit d’en mettre partout ; surtout dans un texte assez long, si jamais vous aviez dans l’idée d’écrire un pamphlet contre les canards d’Amazonie sur Facebook ; parce que ça rallonge les phrases comme pas permis ; tout le monde s’y perd.
Vous avez également la possibilité de jouer sur l’ambiguïté du point-virgule dans une conversation. Si vous côtoyez les Internets depuis quelques temps, vous avez peut-être remarqué que le « ; » trouvait parfois son utilité pour achever de former un smiley, comme une petite goutte de transpiration exprimant la gêne ou le malaise.
Patron : qui a mis un godemichet dans le vase ? Sophie : euh c’est pas moi ^^;
Mine de rien, le smiley étant un élément-clé de la communication sur Internet, quiconque l’a déjà utilisé va prendre des réflexes de lecture. Et ainsi voir dans le point-virgule… une goutte de transpiration ;
J’ai retrouvé un godemichet au milieu des fleurs ;
Alors, ce « ; » placé en fin de phrase ? Faute de frappe ? Témoignage d’une gêne palpable ? Comment répondre à cela ? Avec humour ? Avec prudence ? Faut-il seulement répondre ? Qu’a pensé cette personne de sa découverte, et comment la vit-elle ? ;
Angoisse.
Les trois petits points de l’horreur…
Tiens, en parlant d’angoisse ! N’est-ce pas justement ce que vous ressentez lorsqu’une personne que vous ne connaissez pas si bien que ça répond à vos emails en ajoutant des points de suspension à la fin de toutes ses phrases ? À l’école, la maîtresse avait beau essayer de vous faire cracher que les « trois petits points » servaient à produire du suspense… Il vous apparaît désormais clairement que trop de suspense TUE le suspense…
Prenons un exemple de la vie de tous les jours. Vous venez d’envoyer un mail au service après-vente de votre supérette pour vous plaindre que votre paquet de gruyère râpé était plus fade que d’habitude, et vous recevez ceci en retour :
Bonjour mademoiselle…
Nous avons bien reçu votre réclamation, et allons en prendre compte dans les plus courts délais… N’hésitez pas à venir nous voir directement au bureau du service après-vente pour recevoir un nouveau paquet…
En vous souhaitant une bonne journée…
Cordialement, le SAV
Nous sommes bien d’accord que vous lisez plus ou moins ceci :
Bonjour mademoiselle… (et allez, encore une emmerdeuse)
Nous avons bien reçu votre réclamation, et allons en prendre compte dans les plus courts délais… (On s’est frotté l’anus sur ton mail.) N’hésitez pas à venir nous voir directement au bureau du service après-vente pour recevoir un nouveau paquet… (ou un taquet dans ta face)
En vous souhaitant une bonne journée… (si on ne te tombe pas dessus d’ici-là)
Cordialement, le SAV
Notez que c’est entièrement déclinable et adapté à toutes les situations. Réponse à un mail professionnel : « nous avons bien reçu votre candidature… » (et on s’en tape). Mail d’un client difficile : « je n’aime pas ce bleu… » (je pense que je vais aller voir chez un vrai graphiste). Appel à l’aide de votre maman en détresse : « je n’arrive pas à lire mes mails… » (j’ai déjà explosé ton ordi de rage mais je me trouve une justification avant de te le dire).
Toute la force du « … » réside dans le moment de flottement, et ainsi de doute horrible, qu’il instaure. Vous connaissez sûrement ce sentiment de sourde panique de vos années séduction au collège, lorsque Jean-Eudes, le beau gosse du lycée, répondait à votre SMS fougueux d’un « ok… » laconique.
Que veut dire ce « ok… » ? Est-ce qu’il sous-entend que je l’ennuie ? Ou est-ce qu’au contraire, ces « … » sont des « … » de séduction, qui laissent entrevoir un intérêt hormonal subtil pour ma personne ?
…
Au final, vous n’avez jamais su ce que Jean-Eudes pensait de vous (mais vous subodorez une certaine indifférence depuis que vous l’avez vu rouler un patin à Vanessa). Au moins, vous savez désormais ce que ressent la victime du « … ». C’est pourquoi il est grand temps pour vous de vous venger.
Mettez-donc des points de suspension un peu partout…
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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