Couper, tailler, raser, lisser… Le sujet semble anodin, mais il ne l’est pas tant que ça : quels rapport entretient-on avec nos poils ? Que disent-ils de nous ? Comment les juge-t-on ?
Le poil est genré et les féministes sont poilues, c’est bien connu
Dans un article pour Cerveau&Psycho, le psychologue social Nicolas Gueguen revient sur quelques expériences velues.
En 1998, les psychologues Susan Basow et Amie Braman ont diffusé à des jeunes hommes la vidéo d’une jeune femme sortant de sa douche. Dans l’une, les bras et jambes de la jeune femme sont épilés ; dans l’autre, ils ne le sont pas. Après le visionnage, les participants doivent évaluer les qualités de la jeune femme (sociabilité, intelligence, gaieté, agressivité, niveau d’activité, force, positivité) ainsi que son attrait sexuel.
Eh bien, madmoiZelles, figurez-vous que les jugements masculins sont beaucoup plus positifs à propos de la jeune femme épilée : elle est perçue plus sociable, plus intelligente… et plus attirante. La jeune femme non épilée, pour sa part, est jugée plus agressive, ayant plus de force physique, moins attirante… Tenez-vous bien : elle est même jugée plus féministe (AH BEN TIENS) ! Allo, non mais allo quoi, j’sais pas, vous me recevez ?
Très clairement, l’expérience menée par Basow et Braman met en évidence des traits stéréotypiques associés aux femmes ayant de la pilosité (même non « excessive ») et contribue à montrer que nous jugeons négativement les porteuses de poils… Si le poil est proscrit des corps féminins, qu’en est-il du corps masculin ?
Les hommes attirants ont le poitrail velu et une jolie barbichette, évidemment
Pour nos homologues masculins, ce serait l’inverse. Le psychologue Robert Wildman (et al., comem d’hab) a demandé à des étudiantes d’indiquer, à partir de photographies d’hommes, leurs caractéristiques préférées. Pof : 46% d’entre elles plébisciteraient une poitrine très velue, 46% une poitrine modérément velue, et 8% une poitrine poils-free – autrement dit, poils ou pas poils, chacun sa croix !
De la même manière, les poils du visage devraient également répondre à des normes. Dixie Fletcher et Charles Kenny ont demandé à des étudiants de regarder la photo d’un homme (pour les unes, l’homme porte une barbe, pour les autres, il est rasé de près) et de le décrire. Résultats : l’homme est perçu comme plus enthousiaste, sincère, généreux, masculin et solide lorsqu’il a une légère barbe (il est probable que si la barbe est longue et bien sauvage, ces résultats ne fonctionnent pas).
Et donc ?
On est d’accord : ces études-là ont un aspect sacrément genré et hétérocentré. Reste qu’elles permettent de montrer que les poils ne sont pas si anodins qu’ils peuvent paraître et qu’il existerait des pressions sociales en matière de normes « pileuses ».
Dans notre société, par exemple, l’épilation féminine serait la norme et ne pas se conformer à cette norme, ce serait risquer d’être la cible de jugements négatifs. Si l’on nous demande pourquoi nous nous épilons, que pouvons-nous répondre ? Pourrons-nous apporter une réponse autre que normative (« C’est plus beau », « C’est plus hygiénique ») ?
La fameuse pub Veet, Mon Minou tout doux, rapidement retirée.
Les justifications sont complexes : l’épilation est un comportement qui n’existe pas partout, pas dans toutes les sociétés, il n’y aucune justification pratique, aucune vérité (ce n’est ni bien ni mal d’être poilée ou dépoilée). Pourtant, l’épilation est associée à une attribution de valeur (si nous ne nous épilons pas, nous risquons d’être dévaluées) et est prescrite de façon implicite (aucune règle institutionnelle ne nous y oblige). Selon Sakoyan (2002), nous sommes relativement conscient-e-s que l’épilation est une norme… et pourtant, nous l’internalisons, nous y souscrivons sans nous poser trop de questions – s’épiler, cela irait de soi.
L’épilation serait donc un bon exemple, mais la plupart de nos pratiques poilues seraient des marqueurs sociaux – parfois, les cheveux ont été symboles d’émancipation, d’empowerment, de domination… Les poils, les barbes, les cheveux sont des attributs visibles, qui varient selon les cultures et marquent une identité de groupe (les hippies ont porté les cheveux longs, les hipsters ont arboré des moustaches au second degré – coucou à mon frangin), de genre, d’âge…
Et vous savez quoi ? Ma copine Cécile aux cheveux qui brillent m’a conseillé de vous avouer la difficile vérité : j’ai beau comprendre (à peu près) ce que je viens de vous dire, j’ai toujours du mal avec mes poils, conditionnée que je suis.
À vous, mes velues ou non-velues !
Pour aller plus loin :
- Un article sur les dégoûts pileux
- Le papier de Nicolas Gueguen
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Les Commentaires
Et oui, c'est fou comme certains hommes se montrent psychorigides avec les poils de leur copine... Je sais qu'il y en a qui bloquent aussi sur les leurs, mais le comble c'est quand même le gars recouvert d'une forêt vierge qui exige de toi d'être impeccablement lisse car tes poils le DEGOUTENT !
Heureusement, il y a aussi des tas de gars qui ne pensent pas que le poil, c'est vilain/pas féminin/sale, et qui ne rechignent pas à faire mumuse avec un frifri velu...