Pour cette première chronique, j’avais envie de revenir sur un moment de cette campagne qui m’a beaucoup marquée et qui je crois pourra avoir des conséquences sur les mois à venir. Cela s’est passé mardi 18 janvier, pendant l’émission La France dans les yeux sur BFM qui accueillait sa toute première invitée, la candidate Valérie Pécresse,
Le concept de l’émission politique est assez simple : le ou la candidate doit répondre aux questions d’un panel d’une cinquantaine de personnes, en l’occurrence les habitants d’une ville de Corrèze, Uzerche.
C’est le journaliste et animateur Jean-Jacques Bourdin qui est aux commandes, et alors même que l’émission allait commencer, il s’est passé quelque chose. Quelque chose auquel je ne m’attendais pas. Voilà ce qu’a dit Valérie Pécresse :
Pour rappel, on a appris très récemment qu’une journaliste et ancienne collègue de Jean-Jacques Bourdin l’accuse d’agressions sexuelles, des faits qui remonteraient à 2013.
Précisons aussi – et je l’ignorais en découvrant l’émission mardi soir – qu’il ne s’agit pas d’un moment de spontanéité. Valérie Pécresse n’a pas décidé, comme ça, au débotté, sans prévenir personne ni la chaîne ni son équipe de communication, d’aborder les accusations qui pèsent contre Jean-Jacques Bourdin.
En effet, la candidate avait émis cette exigence, c’était même une condition à sa venue qu’elle avait exprimé à la chaîne celle de dire :
« Ok, je viens, mais je veux pouvoir m’exprimer en introduction à ce sujet. »
Avec ce moment, Valérie Pécresse a posé les bases. C’est elle qui va paraître plus vigilante, plus concernée, plus engagée sur les questions de violences faites aux femmes par rapport à ses adversaires.
C’est très habile, car cela induit que si les autres candidats et candidates, un Yannick Jadot ou un Jean-Luc Mélenchon, ne voient pas le problème à se retrouver face à Jean-Jacques Bourdin, de fait, que penser alors de leur engagement quant à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ?
Ce qui m’a frappé aussi, c’est qu’on a peu l’habitude de voir une femme confronter un homme de cette façon. Valérie Pécresse le confronte d’ailleurs avec une grande précaution, comme elle le rappelle, elle respecte la présomption d’innocence, elle ne dépasse pas cette ligne jaune.
Mais autour d’elle, c’est comme si tout le monde retenait son souffle. Le Point parle même d’une « gifle symbolique » à Jean-Jacques Bourdin, car oui, l’espace d’un instant, c’est elle qui renverse la situation pour dire que les femmes ne se tairont plus, qu’elles n’auront plus peur. C’est elle qui le remet à sa place.
C’est néanmoins assez bref, et rapidement, après avoir regardé Jean-Jacques Bourdin droit dans les yeux – Jean- Jacques Bourdin qui semble complètement médusé, abasourdi –, elle finit par regarder autour d’elle.
Ce n’est pas à lui qu’elle s’adresse, en vérité.
Rappeler ces accusations constitue un prétexte pour parler des violences faites aux femmes et pour prouver son intransigeance sur le sujet.
Cette séquence montre que Valérie Pécresse a compris que le monde a changé depuis 2017, avec la déferlante de témoignages portés par Balance ton porc, le ras-le-bol aussi de voir que l’impunité perdure dans de nombreux milieux.
Aborder une émission politique, en pleine campagne présidentielle, en commençant par ce sujet, aurait été impensable il y a quelques années encore.
Cette séquence, elle n’est possible que parce que nous avons vécu pendant ce quinquennat des changements majeurs dans la perception globale de ce que sont les violences sexistes et sexuelles.
Stratégiquement, c’est un très bon coup de la part de Valérie Pécresse. Au coude-à-coude avec Marine Le Pen, avec qui elle se dispute actuellement la deuxième place dans les sondages derrière Emmanuel Macron, elle cherche à incarner un féminisme de droite, conservateur, mais qui a compris les enjeux posés par MeToo depuis 2017.
Féministe, voilà bien un mot que Valérie Pécresse manie avec d’extrêmes précautions. Elle ne le rejette pas, mais si elle peut éviter un mot qui la place dans un camp trop radical ou trop « woke » à ses yeux, elle le fait. Valérie Pécresse veut un féminisme gentil qui ne froisse pas trop les hommes et qui ne leur fait pas peur.
En cela, elle est sûrement sincère : comment ne pas croire qu’elle-même, en tant de femme politique, n’a pas vécu du harcèlement sexuel, des remarques, des insultes ?
Mais il s’agit aussi de rester lucide devant cette minute, certes surprenante, certes inédite, mais qui n’exonère pas Valérie Pécresse des positions des Républicains sur bien certains sujets. Car oui, sur les questions d’accès à l’IVG, Valérie Pécresse aura beau salué la mémoire de Simone Veil, son parti n’hésite pas à mettre un anti-IVG notoire en tête de la liste aux élections européennes.
Et que dire de certaines positions défendues par Valérie Pécresse elle-même ? Quand elle était opposée au mariage pour tous par exemple et qu’elle défilait avec la Manif pour tous ? Quand elle proposait de démarier les couples de même sexe ? Ou bien quand elle confiait la commission Famille du conseil régional d’Ile-de-France à une femme engagée contre le mariage pour tous et l’ouverture de la PMA ?
Et pour en revenir aux violences sexuelles, Valérie Pécresse a été bien peu entendue lorsqu’il s’agissait de défendre au hasard, les victimes de George Tron, ancien maire Les Républicains, condamné en appel en 2021 pour viol et agression sexuelle. Au contraire, elle se félicitait de son non-lieu prononcé en 2013.
Que Valérie Pécresse saisisse cette occasion pour s’adresser à Jean-Jacques Bourdin en le mettant face aux accusations qui pèsent sur lui, c’est très bien joué et c’est indéniablement un moment marquant de cette campagne. Cela prouve que la candidate LR compte bien montrer qu’elle se place du côté des femmes et engagée contre les violences sexistes et sexuelles. Et en tant que femme, cela la différencie de certains de ses adversaires.
C’est bien là une stratégie politique qui montre qu’en quelques années, ce sujet est devenu incontournable et qu’un candidat à l’élection présidentielle aurait tort de l’oublier.
Un coup de pied dans les urnes est un podcast de Madmoizelle écrit et présenté par Maëlle Le Corre. Réalisation, musique et édition : Mathis Grosos. Rédaction en chef : Mymy Haegel. Direction de la rédaction : Mélanie Wanga. Direction générale : Marine Normand.
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Crédit photo : capture YouTube
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